Harry Potter and the Deathly Hallows: Part 2 (2011)
David Yates
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Par
Mathieu Li-Goyette
Entamé il y a dix ans, la saga Harry Potter a vu défiler dans ses contrats quatre cinéastes et une pléiade d'acteurs et de techniciens. De la bande sonore de John Williams (l'imbattable), nous sommes passés à Alexandre Desplat (le générique). De la mise en scène de Chris Colombus (celui qui tourne pour les enfants), nous sommes passés à David Yates (celui qui tourne pour la télévision) et la série, si elle a connu des inégalités, a tout de même gardé le cap et accueilli huit opus dont ses créateurs peuvent être fiers. Sept bonnes suites, ce n'est pas mince affaire.
Cette stabilité, on la doit d'abord à une évolution constante du style. Au fil des épisodes, des réalisateurs de plus en plus matures se sont prêtés au jeu jusqu'à ce que le trio Radcliff-Grint-Watson soit en mesure de supporter, deux heures durant, le film sur leurs épaules. À ce stade, le bon Yates fait son apparition, se contente de filmer de manière contemporaine et tout à fait efficace une histoire s’étant de plus en plus resserrée autour de ses personnages plutôt que de la magie des lieux et de leur découverte. Ce changement de cap a coïncidé avec l'adaptation de livres qui, à leur tour, ont vu J.K. Rowlings se soumettre à tout un nouvel attirail de règles et de contraintes. Du cinquième au septième tome (qui frôlent ou dépassent le nombre ridicule de mille pages), les sorties se sont espacées et l'écriture s'est modifiée. Elle s'est déplacée vers un style plus cinématographique jusqu'à la conclusion du dernier volet (un peu moins d'un tiers du livre qui sera le sujet du dernier long métrage) où la succession sans relâche d'action, si elle était passionnante à dévorer dans la lecture, était visiblement écrite en prévision d'une conclusion au grand écran. Du récit d'initiation à la vie d'adulte, le destin de Potter a rencontré l'ambition d'une fresque épique à la Tolkien où sorciers, géants et gobelins s'affrontent sur le champ de bataille. En effet, sorts et malédictions sont au rendez-vous, car Harry, si près de la destruction du dernier des horcruxes, attire au sein de Poudlard l'armée sans pitié de Voldemort et de ses mangemorts.
On ne verrait dans la décision de diviser le dernier livre en deux volets qu'une seule raison : l'argent. Toujours plus d'argent, c'est la raison insatiable qu'a défendue la franchise à l'approche de sa fin en prolongeant le plaisir des clients satisfaits jusqu'à l'inauguration d'un nouveau parc d'attractions à l'effigie du sorcier. Les deux derniers films s'en seraient probablement mieux sortis s'ils avaient été unis, résumés, transformés (comme les autres) par une narration plus concise et moins déstabilisée entre la surenchère de la deuxième partie et le calme plat de la première. Alors que les moments forts de la conclusion sont absolument renversants, ils s’avèrent néanmoins inégaux et laissent transparaître bon nombre de lacunes dans le scénario, à commencer par la disparition précipitée de plusieurs personnages (Lupin ou Fred Weasley sont expédiés dans l'autre monde dans une ellipse sans jamais qu'on les voit livrer leurs derniers coups de baguette). Pour le reste, on s'en doutait, Potter détruit les derniers horcruxes, combat Voldemort, triomphe et près de vingt heures de cinéma se terminent haut la main. Les créateurs ont cru bon de conserver l'épilogue du livre (le fameux « dix-neuf ans plus tard ») et il faut dire que cette décision, à l'écran, passe mieux qu'à l'écrit. Vieilli, le trio Harry-Ron-Hermione nous dit au revoir pendant qu'un fondu au noir pave la voie au thème composé il y a dix ans par Williams. Comme quoi la série, par-delà ses aspirations de film d'action, aura conservé jusqu'au dernier plan un immense respect pour ses débuts enfantins.
Puisqu'il est vrai que la série nous a fait basculer d'un genre à l'autre, il est aussi vrai qu'elle a su merveilleusement garder le cap jusqu'à la toute fin. Accumulant rires, pleurs et craintes, les différents épisodes ont tous à leur manière contribué à faire de la conclusion une finale si grandiose qu'elle ne pouvait que provoquer les frissons tant désirés. Dans l'exécution, le film nous laisse pantois après une quinzaine de minutes et nous traîne par la main sans aucun moment de répit. Aucun. En ce sens, la grande qualité de Yates ayant été de rythmer les films à une cadence d'enfer tout en sachant uniformiser le style lors du dernier droit de l'histoire, il se surpasse à l'occasion de nombreuses séquences d'action où la somme des événements montrés à l'écran enrichi d'une trame sonore pompeuse à tambours battant en fera vibrer plus d'un.
La structure atypique du dernier volet prouve qu'il existe des alternatives au squelette narratif si connu des grandes productions d'été. Complètement originale, celle du dernier Harry Potter a comme prémisse l'ensemble de la série et n'a d'autres scènes que celles lui permettant de conclure, de nouer dans un même centre l'intrigue de tel ou tel personnage. D'emblée, le défaut d'un tel pari s'apparente au manque de consistance que le film, pris en solitaire (donc sans une séance de visionnement qui inclurait la première partie), aura par la suite. Les personnages ne sont pas intéressants parce que nous les voyons évoluer, mais bien parce que nous les voyons une dernière fois, comme si la finale s'apparentait plus au dernier épisode d'une série télévisée qu'à la conclusion d'une suite d’oeuvres au grand écran. Malgré tous les effets et les bons sentiments qui y ont été déployés, force est d'admettre que l'ensemble résonnera creux chez les spectateurs, à condition bien sûr de refuser d'être berné par l'avalanche de bons sentiments qui le feront pleurer au dernier plan, comme s'il disait adieu à de vieux amis.
Il ne nous restera qu’à s'attacher au grand « message » de la série. Message d'amitié, de fidélité et de persévérance, ce qui a commencé comme les mésaventures d'un jeune garçon à l'école des sorciers pour ensuite le lancer à la poursuite de celui qui a tué ses parents a pris des proportions absolument grandioses. Du petit professeur Quirrell dissimulant Voldemort dans son turban jusqu'à cette charge menée par des centaines de mangemorts sur le collège de Poudlard, un bond (en avant ou en arrière, à vous de décider) a été fait. Il faut dire qu'une certaine génération de spectateurs aura grandi en observant, année après année, Harry poursuivre ses cours dans un endroit bien plus intéressant que l'école secondaire du coin. Je me revois, Harry Potter à l'école des sorciers en main, à l'âge de neuf ans, me dire qu'il était plutôt bien ce monde magique. Et puis voilà, treize ans plus tard, la boucle est bouclée, le dernier livre cède sa place au dernier film. Dans cette ascension vers la maturité ce sont ces liens qui auront perduré tandis que d’autres se seront brisés dont il était finalement question dans ces quelque 5000 pages et 8 longs-métrages, une manière de faire grandir toute une génération dans le sillon de ses productions. C'est pour de telles raisons, sans compter pour la qualité de ses aspects techniques et la beauté de son conte, qu'il faudra, dans l'histoire du cinéma, faire survivre la légende du petit bonhomme à la cicatrice, de son ennemi mortel et des compagnons - même le spectateur - qui décidèrent de le suivre jusqu'au bout du chemin.
Critique publiée le 15 juillet 2011.