Dans le sillage des remakes largués dans nos salles depuis quelque temps, ce deuxième
The Thing a tout pour s'insérer dans la masse médiocre qui l'auréole déjà : un réalisateur inconnu, faiseur de publicité aguerri, mais cinéaste en herbe, un scénariste avec une carrière allant du remake de
Nightmare on Elm Street à
Final Destination 5 et une bande d'acteurs plus ou moins connus menés par Mary Elizabeth Winstead dont on attend encore les preuves du talent. Ajoutez à cela le culte érigé autour de l’œuvre de Carpenter et vous aurez un objet de plus en plus... Problématique.
Problématique, car
The Thing n'est pas médiocre, ni honteux, mais plutôt bien divertissant. Nouveau protégé de Zack Snyder et de la compagnie qui lança ce dernier avec le remake de
Dawn of the Dead, Heijningen Jr. a un certain avenir devant lui dans le paysage des productions du film de genre à gros moyens. Parce qu'il est précis et qu'il combat le cliché, son
The Thing évite de nombreux écueils qui ont fait des remakes la honte qu'ils sont malheureusement devenus : plus de consommation amoureuse, plus de consommation de cadavres, plus de plans, moins de tensions et plus de sauts. Imparfaite et certainement teintée du travail horripilant fait sur le scénario, la réinvention du mythe ci-présent a quelque chose de captivant puisqu'elle se situe à mi-chemin entre la redite et le «
prequel » annonçant le début des événements du film de 1982. On joue ainsi entre les scènes attendues (le test de sang, la fusion de la créature à un corps et son enlèvement, etc.) et sur des nouvelles (exploration du vaisseau extraterrestre) ramenant le récit à ses origines littéraires et à
Alien, son grand mentor.
Par la répétition de la structure du volet de Carpenter et par la mise en place d'une finale ouvrant vers l'univers déjà connu de la série, le film de Heijningen Jr. jongle avec des thèmes efficaces : trame sonore signée Marco Beltrami en hommage à l'ancienne, reproduction du look des années 80, références aux multiples états physiques du monstre, on prend plaisir à revoir
The Thing à la lumière du nouveau. De prime abord c'est donc mission accomplie.
Provoquant le désir de revoir l'ancien non par dépit, mais bien parce que le récit se saura tout aussi efficace dans une ère « reaganienne » qu'aujourd'hui où l'horreur a souvent quelque chose de juvénile et de moins édifiant qu'auparavant, la machine narrative de la série accompagne un groupe de Norvégiens et d'Américains au fond de l’Antarctique. À la découverte d'un vaisseau extraterrestre et d'un cadavre venu d'ailleurs, les festivités éclateront aussi rapidement que les organes et les crânes. La « chose » est encore vivante et elle peut prendre l'apparence de l'homme sans toutefois être en mesure de lui emprunter des objets non-biologiques (plombages, boucles d'oreille). D'une première apparition aux effets spéciaux numériques discutables dans un hélicoptère en plein jour jusqu'à des scènes réellement troublantes où les membres de l'homme se disloquent pour le rendre étranger, insectoïde grotesque tuant sa proie en fusionnant avec elle, le fameux lance-flamme fait son entrée avec grâce et les marionnettes à l'ancienne viennent remplacer les effets numériques dans un hommage réconfortant à cette époque du trucage et des bricoleurs du cinéma fantastique.
Et par ce plan l'indiquant avec joie (« voilà le lance-flamme que vous attendiez tant », nous lance le réalisateur grâce à une profondeur de champ forcée sur l'arme), un dialogue s'installe à la moitié de l’œuvre entre le cinéphile et la nouvelle métamorphose de la « chose ». Suite à une première moitié flirtant avec le déjà vu et une représentation assez barbare du Norvégien type, la seconde moitié s'inscrit, comme Snyder l'avait fait en son temps avec
Dawn of the Dead, dans les archétypes de son micro-genre tout en réinventant, par l'effet de surprise qu'impose les attentes d'un remake, les manières d'effrayer.
Ce fameux lance-flamme n'ayant pu être une arme à feu (trop de distance entre la cible et le tireur), il ne pouvait être non plus une hache ou une tronçonneuse. Situé dans un désert de neige, l'improbable inclusion d'une paire de lance-flammes a quelque chose de brillant. La flamme contraste avec les couleurs bleutées du paysage, le feu s'oppose à la neige et crée de l'enfer autour de lui. L'environnement enflammé fait suinter les visages et les longues focales brouillent les perspectives avec un flou de chaleur nous rappelant les valeurs élémentaires de sa puissance moléculaire ancestrale. Luttant contre un amas de chair sans fin, contre une créature qui tue par sa propre chair, soit ses tentacules griffés et ses multiples bouches, le feu renvoie la « chose » à son état animal, à celui qui craint le feu et en particulier celui de l'humain civilisé. On retourne donc au paradoxe qu'instaurait le premier
The Thing avec cette créature venue d'ailleurs, ce monstre intelligent qui craignait un élément que nous, nous avions maîtrisé depuis longtemps. Contre la brume épaisse des couloirs de la station de recherche et face à l'adversité d'un parasite possédant le corps d'un autre, le lance-flamme a quelque chose de l'exterminateur et renvoie à
Alien et à l'utilisation du feu pour tuer l'infestation du vaisseau Nostromo; dans les deux cas le corps étranger viral risquant de s'infiltrer dans notre corps est chassé par la maîtrise de la nature par l'homme.
De l’Antarctique à l'espace intersidéral, les lieux de l'hécatombe nécessitent une réclusion dans un espace hermétique où tout contact avec l'extérieur peut entraîner la mort. Pour y survivre et pour passer d'un module à l'autre, les survivants de la première attaque enfilent donc des combinaisons lourdes et encombrantes. Gênés dans leurs mouvements, l'extérieur apparaît comme le lieu d'une mort certaine face à un ennemi ne le craignant pas autant. Ainsi, on laisse des personnages s'éloigner du groupe principal et revenir avec en eux la possibilité d'être contaminés et d'être des « choses » encore latentes. La paranoïa s'installe, une chose plus particulière à la structure de
The Thing ou
Invasion of the Body Snatchers (quant à l'opposé, la science-fiction spatiale d'
Alien l'éloigne finalement des autres titres cités). Le corps devient tout à coup la deuxième peau d'une menace mortelle, les erreurs de jugement s'en suivent et la folie clôture le film tout en ouvrant sur celui de 1982 dans un des quelques brillants moments du cinéma d'horreur contemporain. Tout ça, ces codes, Heijningen Jr. les maîtrise assez pour quitter le banc des accusés, de ces ouvriers à la chaîne prisonniers d'une nouvelle politique du remake tentant d'attirer à nouveau les spectateurs chargés d'attentes, et rejoindre le mince peloton des jeunes réalisateurs d'horreur à surveiller. Sans réinventer la roue, il a simplement prouvé qu'il était en mesure de raconter une histoire avec l'efficacité d'un jeune conteur enthousiaste et qu'il pouvait tirer de quelques comédiens inconnus des performances décentes en plus de véritables tensions ficelées avec la perversité que l'on attendait. Y parvenir, avec le poids de Carpenter sur les épaules, c'est déjà tout un exploit.