« HUMORISTERIES »
Par
Mathieu Li-Goyette
Ce qui aura marqué les dernières années du cinéma québécois, ce ne sont pas les thématiques qu'empruntèrent les films (conflit père-fils, éloge du retour à la terre et autres idées que l'on traîne depuis 50 ans; ces idées vagabondent néanmoins à l'arrière-plan du Sens de l'humour), mais bien la relation particulière que notre cinématographie entretient avec les humoristes de la province. Nouvelles vedettes, ils sont tellement aimés qu'ils ont systématiquement priorité sur les premiers rôles de notre industrie. Un bon acteur ne suffit pas pour justifier le prix d'un billet partageant son tarif avec la dernière superproduction de l'été. En plus d'un film d'ici, le spectateur veut un humoriste d'ici : un deux pour un, une manière de payer moins cher son escapade au Festival Juste pour rire (dont l'ouverture correspond exactement avec la sortie en salles du présent effort). Essentiellement des comiques, ces gens de la scène ont des mimiques qui suivent leurs personnages - c'est ce que le spectateur désire. Ainsi, leur style d'humour fait habituellement plier l'échine du scénario à plus d'une reprise, car il est dont hilarant, au moins une fois par séquence, de se dire : « c'est tellement du Louis-José Houde ».
Dans le cas du fructueux duo Gaudreault-Houde, le cinéaste agit comme metteur en scène d'un spectacle d'humour, créant (depuis De père en flic) des véhicules commerciaux pour la star avec assez d'intelligence et de talent pour que l'on pardonne à l'équipe ce qu'on ne tolérerait chez personne d'autre. À chaque fois, le personnage semble écrit pour le comique et ce n'est pas un hasard si la prémisse du Sens de l'humour soit celle de la tournée de deux humoristes à travers la belle province. Encore une fois, Gaudreault signe une comédie d'été à succès qui, sans réinventer la roue, fait preuve d'une certaine honnêteté quant à son sujet.
Car en choisissant Houde et Brière dans le rôle des humoristes Luc et Marco, le cinéaste se montre au moins conscient de la tendance actuelle du cinéma québécois. Il trace tout au long de la première partie de son film (la plus intéressante), le quotidien des deux artistes, leurs escales de ville en village et les récurrences dans l'humour de chacun. Diamétralement opposé à son compagnon de tournée, Luc est d'une plus jeune génération et recherche dans le gag un quelque chose de plus raffiné, de plus original. Pour sa part, Marco plagie Gad Elmaleh et réutilise à chaque spectacle les mêmes tactiques : remercier outrageusement son public, mais surtout sélectionner une cible se répétant à chaque numéro. L'heureux élu de la soirée, comme à la cour d'école, se verra l'objet des pires insultes et remarques sur son style vestimentaire ou la grosseur de son sexe. Alors que l'autre n'en fait rire que quelques-uns par un humour plus distingué, plus ciblé, son binôme provoque des rires gras et barbares. Sauf qu'un soir, la cible sera Roger Gendron (Michel Côté, enfin dans un « nouveau » rôle où il est fils et non père). Cuisinier du casse-croûte de l'Anse-au-Pic, quinquagénaire prisonnier de son patriarche (Pierre Collin) et psychopathe gêné ayant pour cible les citadins prétentieux de la ville de Montréal, il avalera de travers les blagues à son sujet. Il n'en faudra pas plus pour mettre nos deux clowns, fraîchement arrivés de la région métropolitaine, dans le pétrin.
Le sens de l'humour est un film au « fonctionnement » bien simple. Une fois que les humoristes auront été séquestrés, ils réussiront à convaincre Roger de les épargner en échange de leçons d'humour. Ces « humoristeries », qu'il ne maîtrisera qu'après plusieurs essais, ont pour but de l'émanciper, de le rapprocher d’une serveuse (Anne Dorval) tout en le faisant triompher du concierge, une brute de bas étage. Mais Roger manque d'intonation, de charisme et d'assurance lorsqu'il s'exprime. Au point où les gags dictés par ses captifs ne suffiront pas à le sauver de l'humiliation. Le film progresse, les allers-retours entre le village et la maison sont de plus en plus longs, Le sens de l'humour nous dévoile graduellement son vrai visage, celui du film à sketchs. En effet, la capture des humoristes n'est qu'un prétexte au dévoilement des techniques du rire, des vieux trucs qui aident les comiques à faire s'esclaffer le grand public. À la fois film humoristique et film sur l'humour, l’oeuvre démontre que le rire a cela de particulier qu'il provoque lui-même la rigolade lorsqu'on en parle. Gaudreault s'en est aperçu et la réussite de son film reposera sur cette mise en abîme efficace. Face à Louis-José Houde qui explique la sonorité que doit avoir une blague, on rit à la fois du comédien, puis de Michel Côté qui n'a jamais incarné de personnage aussi raide et stoïque, puis de Benoît Brière qui tient le rôle d'un drôle de banlieusard kitsch et efféminé. La formule, parce que le trio principal du film occupe une place si importante dans notre éventail de personnalités populaires, sera un succès assuré.
Donc, un autre blockbuster québécois est sur le point de naître. Même si celui-ci a le net avantage de ne pas reposer sur des idées schématiques et clichées, même si Gaudreault semble être extrêmement à l'aise à la réalisation d'une comédie (aucun plan n'est gênant et la somme des péripéties n'ennuie pas), on reste sur notre appétit. La bande sonore a un petit quelque chose de La petite maison dans la prairie, les lettrages du générique ainsi que le style particulièrement fluide et les décors baroques d'un Québec rural tendent à nous rappeler peut-être trop régulièrement que l'on assiste à la mise en scène d'un conte moderne sur l'humour et ses vertus. Rien de trop neuf, rien de trop ennuyant, on a joué la carte de la prudence après l'immense box-office qu'avait engrangé De père en flic. C'est peut-être se contenter de peu, mais pour un cinéma national dont les comédies sont aussi nombreuses que mauvaises, quelques gros opus pour renflouer le portefeuille du « système », c'est parfois une offre qui ne se refuse pas.
Critique publiée le 7 juillet 2011.