DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Red Like the Sky (2006)
Cristiano Bortone

Le cordonnier mal chaussé

Par Mathieu Li-Goyette
Particulièrement lorsqu’une vie s’écoule à regarder des images, à vouloir en créer, en discuter, l’idée de perdre la vue peut paraître comme le pire des supplices. Pire que la mort, pourrait-on penser, c’est privé de sa vision que celui qui voue un culte à l’image doit renouveler sa manière d’entrer en contact avec le monde sensible. Pedro Almodóvar nous faisait déjà part de ses craintes à travers le personnage du cinéaste aveugle dans Étreintes brisées, un héros qui poursuivra tout de même le montage de son dernier film à l’aide de ses proches. Destiné à ne plus rien voir, il pouvait au moins « sentir » la puissance de sa représentation et la mener à terme pour une dernière fois. Et telle est, à peu de choses près, l’histoire de Rouge comme le ciel, film italien tout ce qu’il y a de plus classique dont le récit suit les traces d’un jeune homme de douze ans qui apprendra à vivre dans une école pour aveugles après un accident malchanceux.

Nous sommes en 1970. L’Italie baigne dans ses années de plomb. Les luttes politiques se font chaudes et la cause communiste prend de l’ampleur - on se rapportera au Conformiste et au 1900 de Bertolucci à ce sujet. Mirco n’est pas aveugle de naissance. Il a déjà apprécié les couleurs, les paysages et le cinéma. On le voit avec son père dans une salle de province se régaler devant un western spaghetti, on le voit supplier ses parents d’acheter une télévision. Il est, comme tous les garçons de son âge, obsédé par des univers lointains et imaginaires. Lorsque sa vue lui est enlevée, il croit perdre définitivement cette capacité d’accéder au merveilleux par l’image jusqu’à ce qu’un professeur le prenne sous son aile et encourage sa nouvelle passion : l’enregistrement sonore. En effet, Mirco se balade dans l’école et enregistre des sons, en crée et en simule d’autres. D’abord pour offrir un radio-roman à la belle petite voisine du coin, ensuite pour réunir les autres étudiants non voyants (autant ses amis que ses ennemis) dans un grand projet qui raconterait l’histoire d’un groupe de chevaliers qui, pour ne pas être terrifiés à la vue d’un dragon (geôlier d’une princesse en détresse), se fermèrent les yeux pour l’affronter et en triompher. Malgré les réticences du directeur de l’école, l’intervention in extremis d’un groupe de manifestants communistes avec qui Mirco s’est lié d’amitié le fera changer d’avis et le spectacle aura bel et bien lieu devant les parents. Tout est bien qui finit bien. L’oeuvre se termine et précise au passage que le gamin est aujourd’hui l’un des ingénieurs sonores les plus réputés de l’industrie du cinéma italien.

On aura compris à la simple lecture du résumé que Rouge comme le ciel est infiniment « déjà vu » (expression horripilante, mais dont l’oeuvre de Cristiano Bortone ne fait rien pour s’éloigner) et rappellera ces films d’enfants rebelles réunis dans l’art et ces films populaires tous publics des années 90. Non pas que le récit de Rouge comme le ciel soit tant problématique - les sujets ennuyeux peuvent parfois faire de merveilleux films - c’est dans l’exécution mièvre et mielleuse, dans le manque d’audace dans les scènes supposées représenter la force de la poésie et « ce que les enfants voient » à travers les sons que le cinéaste s’emmêle en ne parvenant pas à élever le sujet de son oeuvre au-dessus de celui du fait vécu. Touchant, il va sans dire, Rouge comme le ciel passe à côté de trop de détails, de trop de possibles pour que l’on en soit complètement satisfait. Les communistes, aussi importants dans la progression de la diégèse que des mascottes présentes pour encourager les enfants à ne pas abandonner leurs rêves, perdent l’importance historique qu’ils avaient et effacent la possibilité de faire de Rouge comme le ciel (dont le titre pouvait paraître au départ volontairement politisé) une métaphore du climat politique de l’époque, chose qu’il aurait dû être.

Sans ce sous-texte, les efforts des enfants et de leur professeur bienfaisant passent pour un très mièvre « success story » dont la beauté ne se trouve pas tant dans l’exécution que dans les performances des jeunes et les scènes de complicité entre eux. Creuser dans une époque pour le plaisir du drame biographique ne suffit pas lorsque la personnalité n’est pas en soit historiquement intéressante. Et encore moins lorsque les communistes qui bataillaient pour chaque mètre carré en Italie passent, au mieux, pour des hippies en grève. L’Histoire semble au service de l’anecdote et non l’inverse. Comme si l’essence du film ne restait qu’à l’arrière-plan, Rouge comme le ciel sauve au moins la mise avec de belles qualités techniques, un talent certain pour la reconstitution et un montage dynamique permettant à l’oeuvre de ne pas traîner de la patte et de receler quelques séquences remarquables (en particulier celles où Mirco travaille le son). Ayant, d’une certaine manière, l’industrie cinématographique comme sujet et l’utilisation du septième art comme échappatoire à un morne quotidien, on conseillerait volontiers l’oeuvre aux plus jeunes spectateurs. Ils y verront une émouvante histoire sur l’enfance (et en italien de surcroît - cela fait changement pour un film destiné aux enfants) et auront un premier contact avec le travail chevronné des artisans du cinéma, la complexité derrière chacun des sons d’une scène, les multiples sens possibles que peuvent prendre un bruit lorsqu’il est lié à une image en particulier... De belles et grandes leçons, voire l’abécédaire de la qualité qui, visiblement, a échappé dans ses nuances et sa finesse à Cristiano Bortone, réalisateur égaré d’un film non créatif sur le plaisir de créer.
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Critique publiée le 12 juin 2011.