Ultime trahison
Par
Alexandre Fontaine Rousseau
Kevin Smith n'a pas réussi de film depuis 1999. Le constat mérite d'être fait, car malgré sa piètre moyenne au bâton, le cinéaste américain trouve coup sur coup le moyen d'éveiller la curiosité d'un public qu'il déçoit pourtant film après film. Tragique conséquence d'une simple nostalgie refusant de se dissiper? Étrange amnésie du cinéphile lésé? Chose certaine, depuis Dogma le réalisateur de Clerks ne nous a plus donné de « film » à proprement parler - que des répliques isolées et quelques scènes entrecoupées par le nombre incalculable de soupirs de désespoir poussés par son auditoire. Mais force est d'admettre que même ses pires ratages possédaient jusqu'ici une qualité rédemptrice en commun : tous étaient, à ne pas s'y méprendre, signés Kevin Smith de bout en bout. Leurs pires défauts étaient propres à leur auteur, et leurs rares qualités éveillaient dans le coeur des fidèles le souvenir fugace des réussites du passé. Mais avec Cop Out le cinéaste franchit une nouvelle étape de sa progressive descente aux enfers en signant un film à toutes fins pratiques anonyme qui, à quelques détails près, aurait pu être réalisé par n'importe quel tâcheron espérant toucher son cachet au bout de la ligne. Pour la première fois de sa carrière, Smith met en scène un scénario qu'il n'a pas écrit - ce qui en soi s'avère ridicule puisque l'écriture a toujours constitué l'essentiel de son talent, aussi relatif soit-il. Et, pour la première fois de sa carrière, il s'efface derrière un film pour laisser des clichés (autres que les siens) parler à sa place.
Cop Out, qui se veut un hommage aux comédies policières des années 80, assume en quelque sorte qu'il n'est qu'un bête ramassis de lieux communs, d'images maintes fois filmées et de situations prévisibles. La toute première scène du film l'affirme, par l'entremise du personnage qu'incarne Tracy Morgan ; avec un enthousiasme absent du reste de ce métrage long, plus long en apparence que dans les faits, le « comique » du tandem cite une série de répliques bien connues au cours d'un interrogatoire hystérique que son partenaire Bruce Willis observe avec la même nonchalance ennuyée qu'il traînera d'un bout à l'autre du film. Il s'agit de l'une des rares occasions où ce goût pour la culture populaire qui conférait le gros de sa substance au style de Smith transparaît à l'écran. Willis, confronté à une célèbre ligne de Die Hard, admet qu'il ne sait pas de quel film celle-là est tirée ; Morgan se définit par l'amalgame de succès cinématographiques qu'il a dévoré ; et, par la suite, le film s'essouffle en cherchant à relever le pari formel de ressusciter un genre que l'on préférait sans conteste mort et enterré. Le problème, c'est que l'hommage ne s'élève jamais au-dessus du stade de la simple reproduction. Bien vite, nos deux policiers se lancent à la poursuite d'une carte de baseball rare qui atterrit finalement entre les mains d'un dealer de drogue mexicain - et s'ils courent à gauche et à droite au rythme d'une trame sonore signée Harold Faltermeyer, responsable du fameux thème de Beverly Hills Cop, Kevin Smith ne pousse jamais la référence plus loin.
Préférant se complaire dans son habituelle vulgarité, tristement édulcorée pour les besoins d'une telle production grand public, le réalisateur satisfait ici sa voix intérieure « d'auteur » en étirant des tirades grossières qui auraient au contraire méritées de rester courtes (ou mieux encore d'être coupées) et cède finalement le contrôle de son film à Tracy Morgan. L'acteur, qui n'est tout bonnement pas de la trempe d'un Eddie Murphy au sommet de sa forme, s'en donne donc à coeur joie en multipliant les pitreries irritantes tandis que son acolyte plus habitué à la compagnie des explosions s'efface dans un non-jeu parfaitement abyssal. Il n'y a tout bonnement aucune chimie entre les deux comédiens, qui ne partagent que l'écran alors que la réussite même de ce genre de « buddy movie » repose presque exclusivement sur le type de complicité qui fait cruellement défaut ici. L'autre ingrédient de la recette, l'enquête policière, est quant à lui si mal apprêté par Smith qu'il ne devient qu'un obstacle à la cohérence précaire de l'ensemble ; et les intrusions de l'intrigue ne font qu'ajouter à la pénible absence de rythme d'un film où les maladresses auxquelles nous a habitués le réalisateur n'ont plus rien d'attachant. Que Cop Out soit une machine, voilà qui au fond ne nous surprend pas. Mais Kevin Smith n'a pas le savoir-faire technique nécessaire pour qu'elle fonctionne selon les standards industriels établis par le manufacturier. Ses séquences d'action sont lourdes, laborieuses; elles ralentissent un film qui déjà ne fait que du surplace, scène après scène.
Par conséquent, ce désastre ne possède ni les qualités requises pour fonctionner dans le créneau mercantile qui est le sien, ni les particularités nécessaires pour s'en distinguer même marginalement et ainsi satisfaire les rares individus chez qui le nom de Kevin Smith est encore synonyme de certaines attentes aussi quelconques soient-elles. Mais, au fond, pourquoi espère-t-on encore quoi que ce soit de la part d'un cinéaste dont le malaise créatif s'avère si persistant? Est-il temps d'abandonner une bonne fois pour toute le « cas » Kevin Smith? Chose certaine, Cop Out donnera aux tenants de cette théorie les munitions nécessaires pour clore leur argumentation sans droit de réplique possible ; et les derniers fanatiques restant n'auront plus qu'à espérer un miracle suite à un dérapage de cette ampleur. Cop Out constitue l'exact moment où Smith abandonne l'ambition même de réaliser un « bon » film, se complaît dans le pastiche d'un genre qui d'emblée n'a rien de très inspirant et respecte la formule préétablie sans même considérer la possibilité de la chambouler un peu. Incarnant tout ce contre quoi son cinéma indépendant parfois bête, mais toujours honnête, d'antan cherchait à s'opposer, cette trahison en bonne et due forme pourrait se justifier de maintes façons : par le fait qu'elle n'a pas été écrite par Smith, notamment, et qu'il n'est ici qu'un pauvre mercenaire cynique armé d'une caméra. Mais, en bout de ligne, il s'agit tout simplement d'un divertissement exécrable - aussi violent que stupide - qui donne l'impression que des films comme 48 Hours et Lethal Weapon sont des chefs-d'oeuvre de finesse et d'intelligence. Voilà un faux-pas qui sera particulièrement difficile à pardonner.
Critique publiée le 5 mars 2010.