DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Capricorn One (1977)
Peter Hyams

Profession : illusioniste

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Peter Hyams est un cinéaste de la vieille école, un professionnel de la profession dont la mise en scène ne se démarque pas de prime abord par ses extravagances. La première caractéristique qui semble définir son travail est une expertise classique, une rigueur technique qui confère à son cinéma une certaine solidité. Il n’en demeure pas moins qu’il existe un « style Hyams » — une sorte de sensibilité journalistique qui découle sans doute de ses expériences formatives à titre de reporter et de présentateur de nouvelles pour la télévision. C’est-à-dire qu’il y a chez Hyams une rigueur, une attention au fonctionnement des choses qui ancre ses fictions dans une logique proche de celle du documentaire. Même ses films de science-fiction, notamment Outland (1981) et 2010 : The Year We Make Contact (1984), sont tributaires d’un regard porté sur les détails concrets, sur la mécanique des choses. Mais cet intérêt se manifeste dès l’excellent Busting (1974) qui, en plus de jeter les bases du registre du « buddy cop film » auquel le réalisateur reviendra une décennie plus tard avec Running Scared (1986), capte avec une sincère volonté d’authenticité les conditions de travail de deux policiers de la brigade des mœurs de Los Angeles.

Les personnages de Peter Hyams travaillent. C’est cette réalité qui, dans un premier temps, les définit. Jean-Claude Van Damme, dans le surprenant Sudden Death (1995), joue le rôle d’un pompier qui n’est plus capable d’exercer son métier. Outland consacre une quantité inhabituelle de scènes à cette idée de rendre tangible le quotidien de ses ouvriers de l’espace. Il n’est donc pas surprenant que ce que le cinéaste retienne du All the President’s Men (1976) de Alan J. Pakula soit le méticuleux portrait qu’il propose du métier de journaliste. D’abord, bien entendu, parce que Hyams l’avait lui-même exercé auparavant. Mais surtout parce que le film de Pakula approche le thriller à contresens, s’intéressant plus à la manière dont les procédures professionnelles font avancer l’intrigue qu’au suspense généré par celle-ci. Capricorn One reprend de nombreux éléments de All the President's Men, à commencer par ces notions de conspiration et de paranoïa qui l’inscrivent indéniablement dans un certain courant du thriller américain des années 1970. Ce qui en fait un film de Peter Hyams, cependant, c’est plutôt cette idée que le travail y est le moteur de l’action.

C’est d’abord l’étincelle initiale sur laquelle repose la tension principale ; le personnage de savant qu’interprète avec son aplomb habituel Hal Holbrook met son plan en action lorsqu’on lui retire les moyens nécessaires pour faire son travail comme il faut. C’est ensuite une certaine intégrité professionnelle qui incite le trio d’astronautes incarné par James Brolin, Sam Waterston et O.J. Simpson à refuser dans un premier temps de se prêter au complexe jeu imaginé par Holbrook. Entre-temps, Hyams dépeint avec l’exhaustivité qui caractérise son style tout le labeur mobilisé pour exécuter ce complot et s’amuse, par le fait même, à révéler l’envers d’un autre décor : celui du cinéma, son propre champ d’expertise. Car Capricorn One est aussi un film sur la mise en scène, ainsi que sur toutes les professions qui s’y rattachent : de l’éclairagiste au décorateur en passant par le preneur de son, le complot devient une façon pour lui d’exposer l’aspect technique de la fabrication d’une image. On pourrait même extrapoler en affirmant que ce qui fait échouer ce plan méthodique, c’est justement le fait qu’il exige d’astronautes qu’ils deviennent des acteurs. Qu’il tient pour acquis que des astronautes peuvent jouer ce rôle à la perfection puisqu’il s’agit de leur profession, alors que c’est l’acteur qui possède cette capacité d’interpréter.

La manière dont le personnage d’Elliott Gould met à jour ce vaste complot, quant à elle, ne possède pas la fluidité du scénario de cinéma. C’est un processus complexe, ponctué de hasards et de temps morts. Son métier de journaliste ne répond pas aux exigences de l’écriture dramatique. Et quand il arrive finalement à exposer la vérité, c’est encore une fois le cinéma qui est au cœur de tout ça. Comme si cette idée de conspiration était une parfaite analogie du mythe de la « magie » du cinéma, du mensonge bien exécuté qui permet d’inventer de fausses vérités. Hyams lui-même a recours à tous ses subterfuges pour construire son film et témoigne à maintes reprises de sa propre expertise en la matière : la spectaculaire poursuite finale opposant un biplan piloté par ce bon vieux Telly Savalas à deux hélicoptères s’avère, encore aujourd’hui, d’un réalisme remarquable. Mais elle n’est pas vraie pour autant, pas plus que ne le sont ces images trafiquées d’une soi-disant expédition américaine sur Mars. Voilà pourquoi le cinéma est si apte à parler du complot, semble nous dire Hyams. Les deux relèvent, essentiellement, des mêmes champs de compétence. Les deux tiennent de l’illusion et reposent sur ce fait indéniable que l’image et notre perception peuvent être trafiquées. Il faut douter de tout, semble-t-il admettre, y compris de ce que l’on voit. Il parle d’ailleurs en toute connaissance de cause : il est lui-même menteur professionnel. Mais le journaliste, heureusement, sera toujours là pour exposer de telles conspirations.

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Critique publiée le 23 janvier 2019.