DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Fourth Kind, The (2009)
Olatunde Osunsanmi

Mystifier la fiction

Par Jean-François Vandeuren
Il faut croire qu’une bonne vieille histoire d’épouvante n’est plus suffisante pour terroriser le public d’aujourd’hui, lequel en a vu bien d’autres depuis toutes ces années. Nous remarquons à cet effet un désir de se rapprocher de plus en plus de la réalité dans le cinéma d’horreur, d’effrayer le spectateur en s’attaquant à ses peurs les plus viscérales. Le tout de la façon la plus directe possible. Les productions exploitant une violence particulièrement repoussante à des fins souvent fort discutables se sont d’ailleurs multipliées au cours de la dernière décennie. À l’opposé, avec une économie de moyens parfois surprenante, certains cinéastes seront parvenus à atteindre de tels objectifs en cherchant simplement à singer la réalité par l’entremise d’une mise en scène assez primaire tout en imprégnant celle-ci d’un contexte baignant dans le surnaturel. Le meilleur exemple de ce phénomène se veut évidemment le fameux Paranormal Activity d’Oren Peli. Mais le cas le plus facilement identifiable demeure sans aucun doute The Blair Witch Project qui, lors de ses premières projections au Festival de Sundance en 1999, avait réussi à faire croire à certains membres de l’auditoire que la suite de séquences qu’ils venaient de voir était véridique. Une hypothèse que les artisans du film auront même été jusqu’à appuyer en produisant un faux reportage vidéo (Sticks and Stones: Investigating the Blair Witch) revenant sur les événements de l’oeuvre de Daniel Myrick et Eduardo Sánchez, réussissant ainsi à faire oublier au public que si une telle histoire s’était réellement produite, nous en aurions forcément entendu parler bien avant la sortie du film. C’est ce qui nous amène finalement à ce Fourth Kind d’Olatunde Osunsanmi, qui tente pour sa part de repousser de telles limites grâce à un concept pour le moins fascinant nous présentant la reconstitution d’une enquête « réelle » juxtaposée à divers extraits visuels et sonores identifiés comme étant authentiques.

La présente expérience débutera sur une note d’autant plus intrigante alors que l’actrice Milla Jovovich, tête d’affiche par excellence des films de genre mijotés à la sauce hollywoodienne des dernières années, s’avancera vers la caméra, paysage de rêve en arrière-plan, afin de se présenter, elle et le personnage qu’elle interprètera au cours des cent prochaines minutes. Elle en profitera également pour nous avertir que les images qui seront projetées sous peu en perturberont probablement plus d’un et qu’il n’en reviendra qu’à nous de faire la part des choses entre ce qui est vrai et ce qui est faux. Cela prenait tout de même un certain culot pour introduire un tel objet cinématographique de cette façon. Mais une telle mascarade s’avère ici nécessaire. Car bien que The Fourth Kind possède plusieurs défauts de taille, son instigateur remporte son pari à suffisamment d’égards pour pouvoir dire mission accomplie. Nous revenons ainsi au début du mois d’octobre de l’année 2000. Alors que le reste de la planète découvrait enfin l’album Kid A de Radiohead, la ville de Nome en Alaska était aux prises quant à elle avec un tout autre genre d’ovnis. Jovovich interprète ici la psychologue Abigail Tyler. Au fil des rencontres avec certains de ses patients, Abigail réalisera que ces derniers évoquent des expériences sensorielles étrangement similaires qu’ils vivraient tous depuis plusieurs années. Celles-ci impliquent généralement la vision d’un hibou les fixant durant la nuit et pénétrant à l’occasion à l’intérieur de leur demeure. Croyant qu’il y a là beaucoup plus que de simples coïncidences, Abigail convaincra les individus concernés de s’adonner à quelques séances d’hypnothérapie afin qu’elle puisse découvrir ce qui est réellement enfoui dans leur subconscient. L’initiative tournera toutefois au cauchemar et engendrera des événements on ne peut plus terrifiants qui pousseront la protagoniste à croire que ses patients auraient tous déjà été enlevés par des extraterrestres.

Pour arriver à faire croire - du moins temporairement - au spectateur en la véracité d’une telle entreprise, le réalisateur se devait évidemment de faire preuve d’énormément de rigueur dans son élaboration. Le choix de Milla Jovovich s’avère ainsi des plus pertinents dans la mesure où il vient renforcer l’opposition entre images dites réelles et reconstituées, dévoilant un écart considérable entre l’apparence de l’actrice et celle que l’on identifiera comme la « vraie » Abigail (une Charlotte Milchard spécialement amochée pour les besoins du projet). C’est d’ailleurs autour d’une entrevue avec cette dernière conduite par le cinéaste lui-même que s’articule essentiellement la trame narrative du présent récit. Mais Osunsanmi ne s’en tient pas qu’à l’image pour édifier son canular, lui qui accorde une importance tout aussi marquée au support sonore. L’Américain se montrera particulièrement habile dans la façon dont il liera la « réalité » à sa représentation, introduisant certaines séquences par le biais d’enregistrements de conversations que les acteurs engagés pour reproduire les faits devront poursuivre par la suite. Le principal intérêt du film se retrouve, certes, dans ces images chocs on ne peut plus mémorables que le réalisateur utilisera ironiquement pour mettre davantage l’accent sur la suggestion, ne présentant que de cours extraits des incidents avant d’embrouiller ceux-ci et de ne laisser la place qu’à un mélange de sons et de cris pour le moins inhabituels. Osunsanmi montrera du coup un désir de falsifier la facture visuelle grossière généralement associée à ce type de documents. Le problème, c’est que la démarche de ce dernier finira par devenir contradictoire alors que la suresthétisation de l’ensemble se révélera à double tranchant et désamorcera considérablement la force d’une idée pourtant excellente en soi. Ce sera notamment le cas en fin de parcours alors que The Fourth Kind tombera dans le même piège que tant d’efforts avant lui en abandonnant le minimalisme pour passer à une approche ouvertement explicite.

Le deuxième long métrage d’Olatunde Osunsanmi contient évidemment son lot de failles scénaristiques et d’erreurs de mise en scène. Mais si celles-ci ne nuisent pas forcément à l’efficacité de l’oeuvre dans son ensemble, elles l’empêchent malgré tout d’atteindre les mêmes sommets que ses prédécesseurs les plus estimés. Ainsi, les quelques sous-intrigues devant miner la crédibilité de la protagoniste se révéleront complètement superflues tandis que le comportement de certains personnages secondaires semblera souvent des plus incongrus. On pense principalement à ce shérif interprété par Will Patton, qui jouera continuellement les incrédules simplement pour contrebalancer la version des faits livrée par Abigail, et à ce collègue de la psychologue (campé par Elias Koteas) qui, bizarrement, restera toujours de marbre, et ce, malgré tous les événements traumatisants dont il aura précédemment été témoin. Autrement, The Fourth Kind propose une expérience plus que captivante que son maître d’oeuvre aura d’autant plus l’audace d’exécuter jusqu’au tout dernier instant, allant même jusqu’à fournir quelques intertitres en guise d’épilogue comme si l’existence de ses personnages s’était poursuivie en dehors du cadre de son film. Le présent effort impressionne du coup de par l’attention qu’il porte aux détails propres à ce genre de productions, de la modification de certains noms aux changements plutôt adroits entre les différents niveaux de mise en scène en passant par ce soin de ne jamais rendre la reconstitution plus vraisemblable que la matière dite originale. Bref, si les méthodes employées par Osunsanmi se révèlent parfois inconsistantes et répétitives, la prémisse de son film s’avère suffisamment ensorcelante pour que nous acceptions de nous faire mener en bateau pendant un peu moins de deux heures, et ainsi assister à un lot de séquences horrifiantes qui nous resteront en tête bien après la tombée du générique de clôture. Si ce n’est que pour cette simple raison, The Fourth Kind vaut amplement la peine d’être expérimenté.
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Critique publiée le 22 février 2011.