Depuis le début des années 2000, la filmographie de Peter Jackson ne semble plus vouloir se nourrir que d’adaptations et de relectures de classiques confirmés de la littérature, du cinéma, et même du jeu vidéo. De Lord of the Rings à King Kong en passant par le projet avorté d’un premier film basé sur la série Halo - pour lequel il devait agir à titre de producteur exécutif - le cinéaste continua néanmoins de clamer haut et fort son amour pour les histoires se déroulant à l’intérieur de différents mondes fantastiques. Le dévouement surhumain et l’esprit de grandeur ressortant de ces quelques productions auront également permis aux studios WingNut Films d’acquérir une notoriété des plus enviables sur la scène internationale. Pas mal pour un réalisateur dont les premières aventures derrière la caméra s’inscrivaient dans les registres d’une série B aussi juteuse que jouissive. Poursuivant sur sa lancée, le Néo-Zélandais nous propose à présent l’adaptation du roman The Lovely Bones de l’Américaine Alice Sebold. S’il s’agit là d’une première véritable incursion au coeur d’un cinéma à teneur plus dramatique depuis l’excellent Heavenly Creatures de 1994, la présente intrigue possédait tout de même déjà une aura suffisamment fantaisiste pour permettre au cinéaste d’orchestrer une nouvelle symphonie d’effets numériques (plus ou moins justifiée). Malgré tous les compromis qu’il aura dû faire en portant les écrits de Tolkien à l’écran, le réalisateur aura su se sortir brillamment d’affaire en effectuant des choix suffisamment justes et éclairés pour satisfaire les mordus et offrir à tous un spectacle pertinent sur le plan narratif. Si de telles prouesses pouvaient certainement nous mettre en confiance quant à la qualité du présent exercice, Jackson nous réserve malheureusement de biens mauvaises surprises cette fois-ci, simplifiant à outrance le récit de Sebold en plus d’évacuer la plupart des éléments qui en faisaient une oeuvre si fascinante sur papier.
La modification de plusieurs passages du roman est inévitable dans ce genre de circonstances alors que certains événements, tout comme leur place respective sur la ligne du temps de l’intrigue, se révèlent souvent complètement différents une fois à l’écran. Il s’agit d’un processus tout à fait normal visant à solidifier les bases d’un scénario là où une fidélité totale à l’oeuvre originale aurait pu s’avérer bien plus problématique d’un point de vue cinématographique. Le problème dans ce cas-ci, c’est que l’essence de l’histoire que nous racontent Peter Jackson et ses acolytes Philippa Boyens et Fran Walsh n’a en soi rien à voir avec celle du bouquin d’Alice Sebold. La prémisse de départ demeure évidemment la même : en 1973, alors qu’elle rentrait de l’école, Susie Salmon (Saoirse Ronan) rencontra l’un de ses voisins (Stanley Tucci) qui l’entraîna dans une pièce souterraine dont elle n’allait jamais ressortir. Violée, puis sauvagement assassinée, la jeune fille aboutira ensuite dans un endroit céleste entre la Terre et le Paradis tandis que son corps n’aura toujours pas été retrouvé et que les autorités ne sembleront pas avoir le moindre suspect dans cette affaire. Pourtant, il ne ressort de cette adaptation paresseuse qu’une fable étonnamment morne sur le deuil dont l’impact dramatique s’avère des plus limités. Car si l’approche de la romancière avait été un tant soit peu respectée, la trame narrative de The Lovely Bones s’apparenterait d’avantage à celle d’un film comme le Zodiac de David Fincher. À travers un récit s’échelonnant sur plus de dix ans, Sebold réussissait à rendre le temps pesant en nous faisant vivre l’effondrement d’une famille rongée par le doute, la tristesse et la colère. De son côté, Susie contemplait l’évolution du monde qu’elle avait habité, de ses parents comme de son bourreau et des gens qu’elle aurait voulu connaître et qui, à présent, vivaient les expériences auxquelles elle ne serait jamais confrontée.
La plus grande bévue des trois scénaristes aura d’ailleurs été de s’acharner à vouloir couper les coins ronds afin d’arriver à un résultat moins dilaté, et donc beaucoup plus classique. Le passage du temps n’est ainsi aucunement ressenti alors que si ce n’était que d’une courte séquence servant uniquement à illustrer rapidement cette progression, nous aurions très bien pu penser que le récit ne se déroulait en fait qu’à l’intérieur de quelques mois. Le recours constant à l’ellipse dans The Lovely Bones s’avère d’ailleurs des plus maladroits alors que Jackson et son équipe cherchent tant bien que mal à mettre l’emphase sur certains passages en particulier, et ce, au détriment de la cohésion dramatique de l’ensemble. L’un des meilleurs exemples à cet effet demeure cette séquence dans laquelle une Susan Sarandon en grand-mère extravagante et alcoolique envahira la demeure des Salmon pour tenter d’y remettre un peu de vie, faisant du coup passer le meurtre irrésolu de la jeune Susie pour quelque chose d’aussi banale qu’une vilaine grippe. Le problème réside également dans la façon dont le trio n’arrive pas toujours à agencer les différentes teintes de son intrigue. Entre les couleurs flamboyantes d’un univers parallèle kitsch à souhait - donnant tout de même lieu à quelques élans visuels on ne peut plus saisissants - et celles d’une réalité beaucoup moins réjouissante, Jackson est tout simplement incapable de communiquer proprement l’horreur et la gravité des événements de son film, tout comme la détresse des individus qui les vivent. Nous pourrions, certes, applaudir la retenue avec laquelle le réalisateur aura su traiter le massacre de l’adolescente. Mais en même temps, une telle distanciation semble traduire un malaise à même les rouages du scénario en plus d’un désir de ne jamais confronter directement la lourdeur et la morbidité d’un tel incident, que l’on croyait d’autant plus inimaginable à cette époque.
The Lovely Bones se révèle ainsi une adaptation qui ne semble jamais savoir où donner de la tête et qui, par conséquent, ne réussit pas à édifier quoi que ce soit de façon significative, et ce, malgré sa durée s’étalant sur plus de deux heures et quart. C’est le cas notamment au niveau du développement de certains personnages secondaires ayant été vidés ici de toute substance et qui, à la limite, ne servent plus à rien dans l’univers de Jackson. Mais le principal problème du présent effort demeure en soi le fait que ses instigateurs ne réussissent tout simplement pas à rendre leur mise en situation vraisemblable. Ces derniers auront été rattrapés par la façon dont ils passèrent volontairement par-dessus certains concepts fondamentaux élaborés par l’auteure américaine, telle la façon d’aborder la mort avec un enfant de cinq ans ou encore l’angoisse d’une mère qui finit par succomber à l’adultère avant d’abandonner complètement sa famille. Dans tous les cas, le blâme ne peut pas être porté ici sur les interprètes. En père bouleversé, Mark Wahlberg se tire correctement d’affaire, lui dont l’alter ego aura été passablement affaibli, alors que Saoirse Ronan réussit sans difficulté à rendre son personnage désarmant et que Stanley Stucci campe de manière foudroyante cet individu on ne peut plus sombre et inquiétant. Malgré la piètre qualité de certains effets visuels, l’emballage esthétique de The Lovely Bones se révèle tout de même des plus impressionnants. Peter Jackson propose une fois de plus une réalisation tout ce qu’il y a de plus léchée, lui qui se permettra même un bref caméo digne d’Alfred Hitchcock, tandis qu’Andrew Lesnie (The Lord of the Rings, King Kong) signe une direction photo absolument spectaculaire et que Brian Eno enrobe le tout d’une bande originale tout aussi ensorcelante. The Lovely Bones demeure ainsi un film aux idées intrigantes et aux intentions fort honorables, mais dont l’exécution s’avère trop souvent déficiente.