DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
L’équipe Infolettre   |

Fighter, The (2010)
David O. Russell

Avant-dernier round

Par Jean-François Vandeuren
The Fighter débute tandis que l’ancien pugiliste Dickie Eklund (Christian Bale) déambule dans les rues de la petite localité de Lowell au Massachusetts. Ce dernier est alors accompagné de son frère Mickey Ward (Mark Wahlberg) et d’une équipe de tournage filmant un soi-disant documentaire sur son éventuel retour dans le ring. Dickie trimballe ainsi sa carcasse à travers la ville comme une véritable superstar, prenant le temps de saluer tous ses « admirateurs » en présentant un comportement de bouffon enjoué et tout ce qu’il y a de plus imprévisible. Son heure de gloire étant passée depuis longtemps, l’ex-boxeur se charge à présent de l’entraînement du cadet de la famille en vue d’un combat qui pourrait être particulièrement bénéfique pour la carrière de ce dernier. Mais, sans avertir, la réalité finira par rattraper les deux frangins, dévoilant du coup un spectacle beaucoup plus désolant que ce que nous pouvions imaginer au départ. Nous comprendrons alors que les cinéastes suivant Dickie à la trace n’en ont que faire des paroles qu’il lance en l’air au sujet de son retour à la compétition, eux qui filment en réalité un documentaire sur les effets de sa dépendance au crack. De son côté, Mickey se fera démolir lors du combat tant attendu après avoir suivi les conseils de sa famille et accepté de combattre un opposant beaucoup plus costaud après que son adversaire initial se soit désisté à la dernière minute. Le temps sera ensuite à la réévaluation pour Mickey, qui s’amourachera de Charlene (Amy Adams), une serveuse qui tentera de l’arracher aux griffes de sa famille et de l’aider à penser par lui-même. Le tout tandis que Dickie se retrouvera derrière les barreaux après avoir été pris en train de commettre l’un de ses nombreux méfaits. Un événement qui, en soi, sera peut-être la meilleure chose qui pouvait arriver pour l’existence et la carrière de Mickey.

Cette volonté d’affirmation constitue d’ailleurs le coeur de ce cinquième long métrage de David O. Russell. Doté de l’inévitable sceau « basé sur une histoire vraie », The Fighter s’impose comme une oeuvre en constante évolution dont les images n’auront bien souvent de résonance que plusieurs minutes après leur projection à l’écran. Ce sera évidemment le cas de l’attitude pour le moins extravagante de Dickie, qui pourra d’abord être perçue comme le résultat d’un jeu excessif de la part de Christian Bale, mais également de la prémisse sur laquelle le présent exercice désire réellement jeter son dévolu. Ainsi, The Fighter dirigera d’abord notre attention vers la situation de Dickie avant de finalement l’orienter vers l’éclosion de la carrière d’un Mickey Ward qui, jusque-là, était toujours demeuré dans l’ombre de son frère. Un pivot narratif parfaitement exécuté par les scénaristes Scott Silver, Paul Tamassy et Eric Johnson, eux qui révéleront à ce moment la dynamique familiale on ne peut plus matriarcale dirigée par une mère au caractère des plus imposants (superbement interprétée par Melissa Leo) qui aura visiblement toujours eu une préférence pour le plus vieux des deux frangins. C’est d’ailleurs ce qui poussera Mickey à s’entourer d’une nouvelle équipe d’entraîneurs et de promoteurs. Une décision qui sera entièrement appuyée par son père, lui aussi étouffé par cet ordre dominé par la gent féminine. Mais là où la plupart des scénarios se seraient contentés d’opposer l’ascension de l’un à la descente aux enfers de l’autre, The Fighter s’évertue plutôt à développer parallèlement le retour à la lumière des deux individus après ce qui n’aura finalement été qu’une longue introduction. L’initiative prendra alors la forme d’une course contre la montre, d’un côté pour accéder à une carrière profitable, de l’autre pour remplir adéquatement un rôle de père et de grand frère. Mais dans les deux cas, la question sera de savoir s’il n’est pas déjà trop tard…

Nous comprenons évidemment pourquoi Darren Aronofsky finit par abandonner les commandes du présent effort, lui qui est néanmoins cité ici à titre de producteur exécutif. D’abord, car ce dernier décida à ce moment de se concentrer sur ce fameux projet de remake de RoboCop - qui ne verrait finalement jamais le jour - avant de plancher par la suite sur la réalisation du brillant Black Swan, production tombant en soi beaucoup plus dans ses cordes. Mais aussi parce que le réalisateur sortait tout juste à l’époque du tournage de The Wrestler, dont les comparaisons avec The Fighter se seraient avérées beaucoup trop évidentes, au point où nous aurions même pu accuser Aronofsky de commencer à faire du surplace. Le film de David O. Russell nous transporte donc lui aussi au coeur d’un milieu ouvrier d’une Amérique de fond de ruelle, nous présentant des individus dont les moments de réjouissance auront souvent été bien éphémères. La décrépitude des rues et des bâtiments de cette petite localité amènera d’ailleurs l’Américain à commettre à quelques reprises l’erreur de donner dans une certaine forme de misérabilisme, mais sans toutefois pousser la note au point de souligner outrancièrement le pathétisme d’une situation donnée. O. Russell opta également pour une mise en scène beaucoup moins rigide que celle qu’avait proposée Aronofsky pour son opus de 2008, traitant son récit d’une manière on ne peut plus terre-à-terre en situant parfaitement ses élans derrière la caméra entre maniérisme et recherche d’authenticité. Une volonté qui se fera sentir dans cette façon assez juste dont le cinéaste reproduira l’essence du début des années 90, mais surtout dans le soin apporté au niveau de l’orchestration des combats, où sera privilégié le réalisme plutôt que le spectaculaire. Une initiative qui se matérialisera également à travers cette brillante idée de filmer les combats en employant la technologie utilisée à l’époque par HBO et de récupérer les descriptions originales desdits affrontements.

S’il s’inscrit évidemment dans un tout autre registre, les parallèles entre The Fighter et le Rocky de John G. Avildsen se veulent néanmoins inévitables, surtout en ce qui a trait à l’environnement dans lequel se déroule le présent exercice, qui n’est pas sans rappeler - à plus petite échelle - la réalité sociale du Philadelphie de l’opus de 1976. La mise en scène de David O. Russell semble d’ailleurs vouloir renouer à plusieurs égards avec le sentiment de liberté qui émanait du cinéma américain de cette époque, lui qui se permettra même un savant clin d’oeil au Taxi Driver de Martin Scorsese. Le réalisateur s’immisce dans ce monde en abordant les hauts et les bas vécus par ses protagonistes d’une manière toujours tempérée tout en se réservant quelques pointes d’humour qu’il intègre tout aussi habilement à la dynamique du film. Un dessein dont s’imprègnent également la direction photo des plus naturelles de Hoyte van Hoytema (The Girl, Let the Right One In) et le rythme on ne peut plus fluide imposé par le montage de Pamela Martin. The Fighter se révèle ainsi un drame social prenant, doublé d’une fascinante étude de personnages, réussissant à se défaire des conventions du film sportif sans jamais les ignorer complètement. L’ensemble est appuyé par des performances particulièrement étincelantes de la part des principaux interprètes, notamment de Mark Wahlberg, qui finit par devenir un acteur de grand talent avec les années. Son jeu superbement nuancé se retrouve du coup aux antipodes de celui beaucoup plus expressif de Christian Bale, qui y est allé une fois de plus d’une transformation physique pour le moins extrême. The Fighter présente en définitive un David O. Russell en plein contrôle des différentes couches de son univers cinématographique, lui dont le regard sera néanmoins toujours demeuré rivé sur ses personnages, ce qui était en soi la meilleure chose à faire dans le cas présent.
7
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Critique publiée le 11 janvier 2011.