Ce n’est pas tout le monde qui peut se vanter d’avoir grandi aux côtés d’un véritable modèle de dévouement humanitaire et, par la même occasion, d’un sujet de film d’une valeur inestimable. C’est pourtant le cas du cinéaste d’origine belge Fabio Wuytack, dont le père, Frans, aura été l’une des pierres angulaires des révoltes sociales et culturelles ayant eu lieu au Venezuela durant les années 60. Quoi de mieux, donc, pour un premier long-métrage documentaire, que de dresser le portrait d’un être que l’on ne connaît déjà que trop bien tout en faisant (re)découvrir au reste du monde un chapitre de l’Histoire auquel nous n’accordons souvent que trop peu d’importance? Fabio nous amène ainsi à la rencontre de son paternel alors que ce dernier s’apprête à retourner pour la première fois en trente ans en sol sud-américain pour participer à une exposition entièrement dédiée à son oeuvre - artistique et communautaire. Le jeune réalisateur profitera pour sa part de l’occasion pour s’entretenir avec divers individus ayant côtoyé Frans alors qu’il travaillait en tant que prêtre dans l’une des régions les plus pauvres du pays. À travers cette série de témoignages, Wuytack fera ressortir les traits d’un homme d’action qui aura contribué largement à améliorer ce milieu en participant, notamment, à la construction d’infrastructures qui auront fourni un toit à un grand nombre de familles. Prenant de plus en plus à coeur le sort de ses nouveaux compatriotes, Frans aura également pris part à de nombreuses manifestations visant à améliorer les conditions de vie de ces derniers. Un engagement qui lui aura attiré les foudres de l’état qui, par deux fois, l’aura expulsé de son territoire. Persona non grata retrace ainsi avec fougue les exploits peu communs d’un homme qui aura su redonner une certaine fierté à une population constamment écrasée sous le poids d’un système dont les divisions sociales sont encore très apparentes.
Évidemment, les habitants de La Vega se montreront d’abord quelque peu sceptiques, voire même craintifs, face à tout le bon vouloir de ce visiteur blanc sorti de nulle part - et figure religieuse par-dessus le marché - qui affirmera pouvoir leur venir en aide. Et pourtant, ces derniers ne pourront qu’être abasourdis devant le nombre grandissant d’initiatives prises par ce personnage énigmatique dans le but de véritablement changer les choses. À commencer par ses positions face à l’Église et à la religion, lui qui encouragera ses « nouveaux fidèles » à ne plus obéir aveuglément à une institution qui ne se contente la plupart du temps que d’imposer ses doctrines dans les régions troubles du globe, et ce, sans nécessairement poser de gestes concrets pour en améliorer la situation. Il faut dire qu’au-delà du contexte sociopolitique dans lequel elle s’immisce, la trame narrative de Persona non grata s’appuie essentiellement sur le charisme incroyable et la richesse du vécu de ce mythe qu’incarne Frans Wuytack. Le réalisateur retrace ainsi avec dynamisme cette histoire des plus inspirantes tout en réussissant à imprégner son public de la même énergie et du même entrain qui poussèrent ses intervenants à partir en quête d’un monde meilleur par l’entremise d’un mouvement de protestation basé sur l’entraide, la débrouillardise et cette mentalité non-violente que défendait jadis un certain Gandhi. Ce n’est évidemment pas la première fois que le septième art s’intéresse à ce genre de personnages « historiques ». Persona non grata demeure néanmoins un cas inusité, ne serait-ce que pour les liens familiaux qui unissent ici l’artiste à son modèle. Et si le portrait s’avère - on s’en doute bien - des plus élogieux, celui-ci ne place fort heureusement jamais son auteur en conflit d’intérêt alors que Fabio Wuytack aura su rendre justice à chaque élément de son film tout en s’effaçant toujours autant que possible derrière la caméra.
Le réalisateur se démarque en ce sens de par son étonnante capacité à se mettre à la place de son spectateur, manifestant une grande curiosité durant les interventions des différents individus interrogés ainsi qu’une attention particulière aux détails dans le regard qu’il porte sur leur univers. Ces rencontres seront d’ailleurs utilisées par Wuytack comme principal fil conducteur du récit. Par le biais d’une approche simple, mais diablement efficace, ce dernier parviendra à soutirer un souvenir toujours très vif de ces événements, lesquels comporteront, certes, leur part de drames, mais aussi d’anecdotes savoureuses. Wuytack alternera alors savamment entre les chapitres à saveur plus humoristique ou basés davantage sur l’action et ces quelques épisodes un peu plus révoltants, mais jamais tragiques. À l’image de l’excellent Man on Wire de James Marsh, Persona non grata propose un savant collage d’entrevues et de rares images d’archives auxquelles se mélangent diverses séquences de reconstitution supportant allègrement la trame narrative du film tout en lui conférant un côté légèrement abstrait. Toute la brillance de cette initiative sera d’ailleurs mise à profit lors d’une scène dans laquelle Wuytack divisera un affrontement entre manifestants et forces de l’ordre en deux espaces-temps bien distincts, conservant toute la valeur symbolique de l’histoire originale en isolant de nouveau les troupes de Frans sur cette plage où elles se heurtaient aux vagues comme s’il s’agissait de ripostes policières. Et si la facture visuelle de Persona non grata ne se révèle jamais surchargée, celle-ci réserve néanmoins quelques élans particulièrement inspirés, tels ces superbes plans aériens de Caracas et des bidonvilles de La Vega. La mise en scène de Wuytack va d’ailleurs chercher tout son sens non pas dans la précision de ses cadres, mais bien dans la rythmique on ne peut plus soutenue imposée par son montage spectaculaire.
Le cinéaste belge impressionne ainsi de par la rigueur et la sincérité avec lesquelles il aura su mener son projet à terme, lui qui n’aura jamais cherché à amplifier la nature du milieu observé ou des sujets abordés. Au coeur de cette cité située à l’ouest de Caracas où se côtoient plus de 200 000 habitants, Frans Wuytack se sera imposé comme le héros d’un peuple qui, comme tout bon leader, aura toujours prêché par l’exemple plutôt que de laisser ses « armées » partir seules au combat. Persona non grata propose ainsi un portrait réalisé à hauteur d’homme d’un être d’exception, célébrant ses nombreuses réalisations tout en évoquant constamment la grande simplicité de leur instigateur. Son grand retour en Amérique du Sud se fera d’ailleurs dans le calme et la bonne humeur, lui qui semblera simplement rendre visite à de vieux comparses comme s’ils ne s’étaient jamais vraiment perdus de vue. Le tout avant d’effectuer une dernière apparition publique où il réitérera ses positions par rapport à ce projet de coopération globale auquel nous devrions peut-être nous intéresser davantage. Évidemment, Frans Wuytack aura constitué un cas problème tout au long de sa présence sur le territoire vénézuélien alors que l’état ne voulait pas répéter la même erreur que la Bolivie dans le dossier du Che en faisant du prêtre un nouveau martyr du peuple en commandant son assassinat. Ironiquement, c’est peut-être bien parce qu’il est toujours en vie que Wuytack n’est pas une figure plus connue du grand public aujourd’hui. Il s’agit heureusement d’une situation à laquelle son fils aura su remédier avec ce premier film grâce auquel il aura pu témoigner toute son admiration envers son père en plus de rendre un hommage bien mérité, et jamais excessif, à ce militant des arts et de la justice sociale dont l’oeuvre est désormais immortalisée sur pellicule.