DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Bus Palladium (2010)
Christopher Thompson

La route du rock

Par Clara Ortiz Marier
C'est bien connu : histoires de rock et histoires de filles ne font pas bon ménage, et drogues et rock’n’roll vont souvent de pair. L'Histoire du rock'n'roll regorge de groupies, de substances illicites et d'excès, d'amitiés qui se déchirent, de succès instantanés et de descentes aux enfers tout aussi fulgurantes. C'est dans cette lignée que s'inscrit Bus Palladium, sans tomber pour autant dans l'amalgame trop pénible de clichés, mais sans non plus réinventer la roue des films du genre. Alors qu'en 2005 Marc-André Grondin chantait « Space Oddity » seul dans sa chambre et lévitait dans une église au son de « Sympathy for the Devil » dans le bien connu C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée, c'est maintenant derrière le micro et sous les projecteurs qu'il incarne son nouveau rôle. C'est d'ailleurs du côté de la France que l'acteur québécois renoue avec cet univers musical, sa carrière n'ayant cessé de fleurir de l'autre côté de l'Atlantique au cours des dernières années. Cette fois-ci, Grondin se métamorphose en jeune musicien parisien et incarne Lucas, guitariste du groupe Lust qu'il a formé avec trois bons amis, dont Manu, ami d'enfance avec qui il partage la vedette.

Ayant grandi comme deux frères, Lucas et Manu sont à la fois très proches et très différents l'un de l'autre. Alors que Manu rêve de gloire et de succès au sein du groupe, convaincu d'être né pour accomplir de grandes choses, Lucas a une vision plus terre-à-terre et réaliste des choses. De retour à Paris après un long séjour à Londres où il travaillait comme stagiaire dans un cabinet d'architectes, Lucas croit en Lust, mais se garde toujours une porte de sortie, un pied dans la réalité. Alors que ce dernier travaille comme domestique dans un grand hôtel pour gagner un peu d'argent, Manu préfère faire la fête, séduire des filles et éviter de se trouver un vrai boulot. Puis un jour, coup de chance, une productrice importante s'intéresse à Lust et voilà que le groupe est convié en studio pour enregistrer un single, l'opportunité rêvée pour les quatre garçons de se faire connaître et, éventuellement, de décrocher un contrat avec une maison de disque.

La suite semble bien s'annoncer pour le groupe (tournée, groupies, passage à la radio), mais voilà qu'un élément extérieur viendra compromettre ce beau tableau : une complication qui porte le nom de Laura, belle brune rock'n'roll qui gagne le coeur de Manu... et de Lucas. Alors que Manu et Laura tombent en mode « Yoko et John » (la référence est d'ailleurs explicite dans un échange entre les garçons), leur relation en vient à créer des tensions au sein du groupe et, ultimement, à nuire à l'amitié de Manu et Lucas. Mais Laura, qui prétend ne pas être une groupie, n'est pas fidèle pour autant... Et pour couronner le tout, le combo drogue et tendances suicidaires viendra embrouiller davantage la situation. L'avenir de Lust est compromis et la route vers la gloire est longue et pavée d'embûches. Les garçons doivent donc faire un choix : mettre les bouchées doubles pour vraiment faire démarrer leur carrière en tant que groupe ou mettre leurs instruments au placard et se tourner vers une vie plus rangée, une vie d'adulte avec un boulot raisonnable, celui que maman et papa auraient souhaité pour leur fils.

Et Bus Palladium dans tout ça? Une discothèque parisienne mythique durant les années 70-80 (et rouverte en mars dernier) qui aura accueilli de nombreux groupes de renom et qui constitue, en quelque sorte, le repaire de Lust. Car c'est bien dans les années 80 que se déroule l'histoire des garçons, malgré son côté très actuel (on imagine bien ce genre de scénario se répétant trente ans plus tard), malgré le fait que très peu d’événements soient datées et que les personnages soient bien plus ancrés dans les années 70 dans leurs goûts musicaux, leurs styles vestimentaires, et leurs références culturelles.

L'influence des années 70 se fait d'ailleurs sentir dans l'esthétique même du film, une première réalisation pour Christopher Thompson qui avait jusqu'ici travaillé comme coscénariste sur une demi-douzaine de productions (Fauteuils d'orchestre, Décalage horaire, La bûche). On sent l'amour du réalisateur pour l'univers musical de cette époque dans les dialogues (référence amusante à Altamont), les personnages (une productrice ayant fréquenté Bowie et Jagger), certains éléments du décor (sur un téléviseur, un extrait du concert des Rolling Stones à Hyde Park, en hommage à Brian Jones, décédé deux jours plus tôt) et autres détails du genre. Pour la direction photo, Thompson avait une idée assez précise de ce qu'il voulait, évoquant des films tels Gimme Shelter ou Cocksucker Blues. On retrouve donc par moment cette caméra très mobile, et cette image granuleuse et contrastée, propres à ces documentaires emblématiques.

Thompson, qui cherchait à ancrer son film dans cette époque et cette esthétique particulière, a heureusement eu la présence d'esprit de ne pas tomber dans le tape-à-l'oeil ou le grandiloquent. Bien que l’effort ne nous réserve pas beaucoup de surprises (le triangle amoureux et les tribulations du groupe sont assez prévisibles), il a tout de même le mérite de ne pas aller au-delà de ses ambitions. Pas de succès plus grand que nature pour Lust ou de typiques scènes d'orgie « sexe, drogues et rock'n'roll », et c'est très bien comme ça. Certes, le film se termine sur un suicide (on le sait dès le début), mais on ne surenchère pas la théâtralité de la chose et le tout reste dans le non-dit et la suggestion. Le jeu des acteurs demeure relativement convaincant; on se surprend à oublier le faux accent français de Marc-André Grondin et l’on salue le choix de l'acteur Arthur Dupont dans le rôle de Manu, qui chante les chansons de Lust et interprète son rôle tout en étant efficace sur les deux niveaux.

Certes, les références sont parfois faciles et l’on peut supposer que le film avait déjà, avant même sa sortie, un certain public gagné d'avance; les jeunes filles en question craqueront assurément pour les jolis minois des garçons du groupe (si l’exercice peut élargir les horizons de certaines à l'univers du rock des années 70, pourquoi pas?), mais pour ceux qui n'ont pas le profil de l'adolescente en pâmoison, l'intérêt d'une telle production peut évidemment être questionnable. L'avantage de Bus Palladium, c'est qu'il ne s'agit pas tant d'un film sur un groupe rock, mais bien sur une bande d'amis. Sans être renversant d'originalité, l’ensemble cherche plutôt à dévoiler l'aspect humain de ses personnages, de leurs relations et de leurs interactions, le tout dans un décor et un contexte qui saura plaire aux mélomanes. On sourit au cameo de Philippe Manoeuvre (journaliste à l'époque pour Rock & Folk et rédacteur en chef de la revue depuis 1993), on apprécie « Let It Loose » en générique d'ouverture et « Rock'n'Roll Suicide » lors de la scène finale (malgré son côté un peu trop adéquat). On se laisse surprendre par la musique originale du film et l’on apprécie les choix de la trame sonore, car voilà qu'à la sortie de la salle, l'envie nous prend de ressortir vinyles et tourne-disque et de réécouter Mick et Keith s'inscrire dans la légende.
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Critique publiée le 3 septembre 2010.