Paradis filmique
Par
Mathieu Li-Goyette
A Little Pond est un film étonnement simple, mais dans lequel certains accrochages désastreux viennent amoindrir la portée de son discours pacifiste. Première oeuvre de Lee Sang-woo, scénariste coréen d’expérience, le « petit étang » est un havre de paix où habite une poignée de citoyens du conté de Yeongdong dans la province de Chungcheongbuk-do située au centre de la Corée du Sud. Futures victimes du massacre de No Gun Ri, ils vivent dans un village paisible où les champs aux tons verts renvoient aux classes remplies d’enfants entonnant comptines et remerciements en coeur. Le temps est rose et les villageois sont souriants à la vue de leurs confrères s’entraidant dans les champs; le travail de la terre demeure nécessaire à la microéconomie des environs.
Éloge à peine subtil à la pureté de la vie rurale, la première moitié de l’opus de Sang-woo est remplie jusqu’au rebord d’images conformes aux règles d’or de la composition et aux critères stéréotypés de cet environnement. C’est-à-dire que là où des étudiants voient circuler des jeeps à l’extérieur des murs de leur école, le cinéaste rajoute numériquement (et d’un numérique pas trop sûr de sa technique) un canard et des canetons gambadant dans la cour de récréation. Au premier coup d’oeil, l’effet passe en laissant derrière lui la brûlante cicatrice du surfait et de la poésie pour enfants. Mais en revenant sur ces images, un malaise nous submerge : celui du mensonge.
Car en ne faisant pas confiance au spectateur, en le prenant pour un enfant demandant une iconographie aussi grossière pour comprendre les enjeux moraux du film, Sang-woo commet peut-être la seule et grande erreur de son entreprise, joyau d’un effort unissant les survivants du massacre de No Gun Ri pour raconter l’histoire de leurs parents assassinés en temps de guerre. Il ne leur rend pas plus hommage qu’il ne raconte là une version imaginée de faits vécus où la sobriété aurait permis à son style maîtrisé de pleinement s’emparer de notre attention. Au contraire, les facilités romantiques d’A Little Pond nous empêchent ponctuellement de prendre le récit au sérieux comme si nous ne pouvions adhérer à ce qui semble être une publicité financée par le ministère du patrimoine de la Corée du Sud; budget, ambition et talent sont au rendez-vous, mais preuve en est, il en faut peu pour que ne s’écroule une fondation déjà friable.
Film important en son genre, certes, A Little Pond est aussi à nuancer là où son metteur en scène, sorte d’éphèbe convaincu de son lyrisme lui permettant, tenez-vous bien, d’ajouter des cétacés (un rorqual bleu et son nouveau-né pour être exact) dans le ciel de son film, et ce, à deux reprises. De l’inclusion complètement inusitée des mammifères marins aux paysages aériens de l’effort jusqu’aux plans de coupe où un vieillard sera éclaté par un obus (morceaux de chairs planant à tous vents inclus), Sang-woo a la mèche sentimentaliste probablement trop développée pour la sévérité du sujet traité. Pour un projet en préparation depuis plus de cinq ans, facile d'être déçu à la vue de ses décisions à l'emporte-pièce.
Une fois sortie d’un brouillard numérique où certaines branches semblent avoir été courbées pour les besoins de la représentation immaculée de la nature, le spectateur sera transporté dans un autre espace : le dessous d’un pont, nouveau théâtre des événements larmoyants du film, où la communauté tentera de survivre, cernée par les troupes américaines. C’est l’occasion pour Sang-woo de s’attarder à quelques couples de personnages et de concentrer son sujet sur des situations plus précises. De la collectivité à l’individualité, on se rapproche toujours pour mieux voir mourir.
Sous les balles de soldats recevant l’ordre de tirer sous prétexte que des espions se cacheraient peut-être parmi les civiles, le massacre de No Gun Ri s’avère, historiquement parlant, une tache de plus à l’étendard militaire américain et, sa présente représentation, une oeuvre s’ajoutant à une série de films visant à remettre en question l’implication du pays de l’Oncle Sam comme force d’intervention internationale. Manichéen à en devenir bête, A Little Pond met en vedette de gentils Coréens et de méchants Américains. Lorsque l’on sait que l’enquête menée par l’Associated Press en 1999 aura permis de révéler l’incohérence des décideurs états-uniens, plusieurs autres bémols auront ensuite été rapportés par les militaires accusés et les responsables actuels de la 7e cavalerie. De ne pas les inclure, ni même de les mentionner en épilogue, participe, autant que ce canard numérique et cette image parfaite dans les tons de verts paisibles, à propager une image véridique, certes, mais néanmoins biaisée du conflit. D’où le mensonge.
Lorsque les quelques survivants retournent au village, l’automne est arrivé et tous se préparent déjà à la rentrée scolaire. La vie redevient cycle et la routine se poursuit. Idée géniale du film et celle supportant son récit, les paysages sont grisés, les costumes se déchirent et la saleté de la terre s’incruste dans le bois. De la villégiature utopique, nous arrivons à la dure réalité des villages pendant la Guerre de Corée où tristesse et famine se renvoient la balle sans que les rescapés, maigres et faibles, ne puissent la saisir. Le pathos nous submerge, les ralentis nous obligent à rester figer dans le sentimentalisme nous ayant atteint par la décrépitude de la beauté. Sang-woo devait-il nous infliger ce pèlerinage de blanc et de noir avant de nous montrer la puissance de ses teintes nuancées? Basculant sans cesse entre le document de reconstitution historique inestimable et le mélodrame guerrier gravement stéréotypé, A Little Pond est, au mieux, un film à voir absolument et, au pire, le fruit d’une collaboration technique de premier plan pour un cinéma national dont l’ambition dépasse de plus en plus les sentiers sillonnés par sa nouvelle vague des années 2000.
Critique publiée le 2 septembre 2010.