Tous genres confondus
Par
Jean-François Vandeuren
Avec The Descent, le Britannique Neil Marshall proposait un hommage subtil et particulièrement senti à l’extraordinaire Alien de Ridley Scott, recréant d’une main de maître l’atmosphère tendue et suffocante de l’opus de 1979 tout en demeurant suffisamment fidèle à ses thématiques et à certaines de ses tournures dramatiques. Si le réalisateur se sert de nouveau de sa connaissance aiguisée des classiques du cinéma de genre pour orienter la trame narrative de son exercice, ce dernier se présente cette fois-ci sous un jour beaucoup moins maniéré, et surtout beaucoup plus gourmand. Ayant à sa disposition un budget de plus de trente millions de dollars pour arriver à ses fins, soit trois fois la somme avec laquelle il avait dû composer pour réaliser ses deux premiers longs métrages, Marshall se paya le luxe de s’approprier certaines séquences clés des films de science-fiction ayant bercé son adolescence et de les repositionner à l’intérieur d’un récit assourdissant et complètement déjanté. Doomsday nous plonge ainsi au coeur d’un futur post-apocalyptique dans lequel un virus mortel aura décimé la quasi-totalité de la population écossaise. Alors que les autorités croyaient avoir enrayé la menace en érigeant une immense muraille autour de la zone contaminée, voilà que de nouveaux cas d’infection se manifesteront un peu partout à travers le Royaume-Uni près de vingt-cinq ans après la première épidémie. Ayant récemment découvert la présence d’activités humaines sur le territoire maudit, le gouvernement anglais enverra un petit groupe de soldats en reconnaissance afin de percer le secret de l’immunité des derniers survivants.
Le bataillon sera évidemment accueilli par une populace on ne peut plus hostile, et surtout prête à tout pour venir à bout de son envahisseur. C’est d’ailleurs sur ce plan que le film de Neil Marshall se distingue le plus des autres productions s’inscrivant dans cette étrange vague de films de fin du monde ayant vu le jour au cours des dernières années. Si le réalisateur britannique se montre, certes, opportuniste, et ce, autant au niveau de la forme que du fond, Doomsday évoque néanmoins beaucoup plus le chaos ambiant du Escape from New York de John Carpenter que la virulente zombification du 28 Days Later de Danny Boyle. L’effort prendra toutefois une tournure pour le moins inattendue lorsque Marshall commencera à utiliser la trame narrative du film de 1981 pour guider ses propres élans à travers une suite de reproductions particulièrement fidèles de diverses séquences provenant d’oeuvres bien spécifiques. Si l’initiative ne produit pas forcément les effets escomptés au premier abord étant donnée la nature bien distincte de chacune des scènes falsifiées par l’auteur de Dog Soldiers, toutes les pièces de cet ambitieux casse-tête finissent malgré tout par s’emboîter d’une manière évidemment quelque peu inégale, mais qui n’est fort heureusement jamais vide de sens. Le cinéaste jouera également de finesse en canalisant toutes ses influences à travers sa protagoniste - dont les traits furent judicieusement confiés à la fougueuse et charismatique Rhona Mitra - pour en faire une sorte d’hybride entre le je-m’en-foutisme assumé de Snake Plissken, la force féminine d’Ellen Ripley et l’apparence physique d’Aeon Flux.
Le Britannique se servira d’ailleurs de sa masse de survivants écossais à des fins similaires en puisant chacune de leurs caractéristiques à même celles de leurs homologues cinématographiques issus des différentes oeuvres citées par Marshall, que ce soit la bestialité des créatures du Aliens de James Cameron, la brutalité des prisonniers d’Escape from New York, ou la tribalité des motards du Road Warrior de George Miller. Malheureusement, la logique fragmentée que le cinéaste avait réussi à imposer sur papier n’est pas toujours retranscrite avec autant de précision à l’écran, faisant de Doomsday l’une de ces rares bizarreries dans laquelle tout fonctionne et rien ne marche à la fois. Il y a pourtant bien des choses que nous serons prêts à pardonner au réalisateur vu l’enthousiasme avec lequel il échafaude chacune de ses imitations. Ce qui cause toutefois le plus de dommage à l’ensemble au bout du compte, c’est qu’à vouloir rendre hommage à autant de matière filmique sans jamais faire de compromis, Marshall finit par oublier d’imposer sa propre vision artistique. Ce dernier ne se contente ainsi que d’injecter autant d’effets de style que possible à une facture visuelle qui n’aurait pu être plus hétérogène, nous proposant au final une mise en scène, certes, criarde et hautement dynamique, mais surtout impersonnelle et dépourvue de toute nuance. Un manque de constance qui se reflète également dans la trame sonore éclectique d’un Tyler Bates qui se contenta de suivre de façon peu inspirée le ton épisodique imposé par Marshall plutôt que de fournir une ligne directrice supplémentaire à l’ensemble par le biais d’un son plus uniforme et moindrement original.
Doomsday est en soi le genre de projets qui aurait pu facilement tourner à la catastrophe s’il avait été initié par les mauvaises personnes. Si Neil Marshall ne se casse pas la tête outre mesure ici en forgeant l’identité de son troisième long métrage à partir de celle des autres, ce dernier fait néanmoins preuve de suffisamment d’adresse et de savoir-faire pour nous offrir un produit satisfaisant dont le seul et unique but est de divertir. Chose que Doomsday accomplit d’une manière souvent peu orthodoxe, mais avec un plaisir coupable, et surtout contagieux. Le tout découle évidemment d’une démarche quelque peu simplette édifiée par un cinéaste qui ne s’est imposé aucune barrière en s’appliquant beaucoup plus à mettre en scène son adoration pour les oeuvres qui en ont fait le cinéaste qu’il est aujourd’hui qu’à tenter de développer une quelconque forme de propos sociopolitique. À l’instar de Zack Snyder et de son remake du Dawn of the Dead de George A. Romero, Marshall privilégia visiblement le contenant beaucoup plus que le contenu, fusionnant les styles avec un fanatisme évident sans jamais trop se prendre au sérieux afin de rendre la pilule plus facile à avaler. Il est d’ailleurs clair que ce que le Britannique avait en tête ici n’était pas de révolutionner quoi que ce soit, mais bien de partager sa passion pour le cinéma de genre avec qui voudrait bien l’écouter. En ce sens, Doomsday possède définitivement toutes les caractéristiques d’un film culte en devenir, même si celles-ci nous laissent toujours en tête une curieuse impression de déjà-vu…
Critique publiée le 28 mai 2008.