Other Guys, The (2010)
Adam McKay
La revanche des négligés
Par
Jean-François Vandeuren
S’il y a bien une chose que l’Histoire nous a enseignée, c’est qu’une production réunissant les talents humoristiques de l’acteur Will Ferrell et du cinéaste Adam McKay donne habituellement d’excellents résultats. C’est donc une bénédiction que l’ancienne vedette de Saturday Night Live ait pu tenir le premier rôle de chacun des longs métrages du réalisateur américain depuis le délirant Anchorman: The Legend of Ron Burgundy de 2004. Le plus étonnant, c’est de constater à quel point tous ces efforts sont liés par des thèmes et des traits de caractère bien précis, soient l’imbécillité et l’égocentrisme de personnages masculins dont l’évolution psychologique semblent avoir pris fin autour de l’âge de quatorze ans. Le genre de rôles dans lequel excelle Ferrell, comme en témoigne le nombre impressionnants de comédies sportives auxquelles il a participé au cours des dernières années. Après avoir campé un présentateur de nouvelles, un champion de NASCAR et un adolescent de quarante ans, le comédien se retrouve enfin dans la peau d’un proxénète repenti devenu policier pour la ville de New York. Plus près du Brennan de Step Brothers que de Ricky Bobby, le détective Allen Gamble préfère remplir la paperasse des « vrais héros » plutôt que de sillonner les rues de la Grosse Pomme pour y combattre le crime. Un statut auquel aspire pourtant la majorité de ses collègues, dont son partenaire par défaut Terry Hoitz (Mark Wahlberg), qui aura été relégué au travail de bureau après avoir tiré par erreur sur l’arrêt-court Derek Jeter lors du septième match de la Série mondiale, privant du coup les Yankees d’un nouveau championnat. Avec un tel duo en guise d’idiot sympathique et d’homme d’action colérique, la table était mise pour un « buddy movie » qui pourrait redonner un peu de légitimité à un genre généralement synonyme d’humour crade et de paresse scénaristique.
Il est clair dès le départ que nos deux protagonistes auront bien de la difficulté à se hisser au-dessus du dernier échelon de la chaîne alimentaire dans un milieu où tous semblent bien déterminés à leur faire des misères. Au sommet, nous retrouvons les durs à cuire les plus adulés de New York (Samuel L. Jackson et Dwayne Johnson), qui n’hésite jamais à commettre des millions de dollars de dommage pour empêcher le plus petit délit. Plusieurs de leurs comparses auront toutefois la chance de devenir les nouveaux symboles de l’ordre et de la justice lorsque nos deux vaillants officiers perdront la vie après avoir mal calculé un saut périlleux d’une bonne centaine de mètres. Si Terry cherchera à entrer dans la danse, Allen se montrera pour sa part peu emballé par l’idée de jouer les gros bras, lui qui tentera plutôt de coincer un magnat de la finance (Steve Coogan) pour une histoire de permis de construction. Le duo découvrira toutefois au cours de son enquête que l’homme d’affaires en question pourrait bien être lié en fait à une fraude de plusieurs milliards de dollars. Leurs vies se verront alors de plus en plus menacées au fur et à mesure qu’ils se rapprocheront de la vérité. Mais, évidemment, ce n’est pas pour l’intelligence ou l’originalité de l’intrigue que nous nous intéressons à ce type de productions. À l’image du savoureux Step Brothers de 2008, l’intérêt de McKay et de son coscénariste Chris Henchy se situe plutôt au niveau de ces personnages évoluant dans un univers dans lequel ils ne semblent pas toujours avoir leur place. Le tout en les faisant aller à contre-courant des conventions du genre et en les confrontant volontairement à tout le ridicule de leurs propres actions et des situations rocambolesques dans lesquelles ils se retrouvent sans cesse.
Ce type d’humour dépendant principalement de l’absurdité et de la spontanéité des dialogues est visiblement celui avec lequel McKay est le plus à l’aise. C’est fort probablement pour cette raison d’ailleurs que le réalisateur originaire de Philadelphie et Will Ferrell forment une si bonne équipe. L’une des manoeuvres expliquant le mieux l’efficacité comique de l’ensemble de la filmographie de McKay demeure cette progression en deux temps que suit toujours sa trame narrative et dans laquelle les personnages sont appelés à débiter des conneries à un rythme foudroyant, tandis que le cinéaste semble littéralement arrêter le temps du récit lors de chaque séquence. Ainsi, l’exercice prend parfois les allures d’une suite de sketchs, ce qui n’a en soi rien de très surprenant venant de la part de l’un des anciens scénaristes de l’émission Saturday Night Live. Le réalisateur ne se gène d’ailleurs pas pour étirer une scène en longueur afin de donner toute la latitude nécessaire à sa tête d’affiche, dont le style est souvent basé sur l’improvisation. Le tout donne également la chance au film de mieux respirer, permettant à une telle avalanche de gags de ne jamais avoir l’air forcée, comme c’est de plus en plus le cas dans la comédie américaine grand public. Là où McKay éprouve toutefois certaines difficultés, c’est lorsqu’il essaie de se dissocier de sa signature pour parodier ouvertement le genre cité. Une initiative donnant lieu à une « électrisante » scène de poursuite en guise d’ouverture qui sera vite ternie par une utilisation abusive, et particulièrement maladroite, des plans rapprochés. Malgré tout, l’auteur propose bien quelques trouvailles esthétiques conférant tout le panache nécessaire à son oeuvre, mais dans des situations complètement déplacées, telle cette séquence désopilante où McKay récupérera le fameux effet « bullet time » pour simplement illustrer la nuit de débauche de nos deux apprentis héros.
Si The Other Guys débute en soi sur une note nous laissant craindre le pire, il ne faudra finalement attendre que quelques instants avant de pouvoir finalement renouer avec l’approche déjantée de Talladega Nights et de Step Brothers. McKay ne commet ainsi jamais l’erreur de chercher à seulement parodier le genre alors que ce sera plutôt ce buddy movie rendant un hommage senti à ses braves gens travaillant dans l’ombre qui devra s’adapter ici aux frasques du réalisateur. The Other Guys reprend néanmoins plusieurs tics de la comédie policière de manière assez habile, à commencer par cette trame sonore signée Jon Brion dont l’abondance de saxophones nous ramène directement au Lethal Weapon de Richard Donner. McKay réussit donc là où le pauvre Kevin Smith avait si lamentablement échoué plus tôt cette année. Et s’il était parvenu à mettre sur pied un duo comique inestimable en combinant le génie de Ferrell et de John C. Reilly, le réalisateur accomplit un exploit similaire ici en nous présentant un Mark Wahlberg étonnamment apte à suivre la cadence imposé par un Will Ferrell en très grande forme. Mais la force comique du présent effort découle également de l’importance accordée aux petits détails tout comme de la chance donnée aux acteurs de soutien tels Michael Keaton et Rob Riggle de pouvoir réellement se mettre en valeur. Si cette forme d’humour absurde et incroyablement vulgaire exige une démarche extrêmement vigoureuse, il faut aussi reconnaître que certains artistes possèdent tout simplement un talent inné. C’est le cas de Ferrell et McKay, qui continue de livrer la marchandise en nous offrant un film dans lequel tout le monde semble évoluer comme de véritables poissons dans l’eau. The Other Guys s’avère ainsi une autre comédie contagieuse venant d’un duo n’ayant toujours pas commis de faux pas. Dans ce type de cinéma, on parle d’un véritable exploit.
Critique publiée le 7 août 2010.