DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Filière 13 (2010)
Patrick Huard

Folie passagère

Par Jean-François Vandeuren

Il faut croire que Patrick Huard avait réussi à s’entourer d’une équipe en qui il pouvait avoir confiance, et surtout avec laquelle il aimait travailler, à l’occasion du tournage de son premier long métrage à titre de réalisateur, Les 3 p’tits cochons. Car si nous portons une attention particulière au générique de ce Filière 13, nous retrouvons non seulement le même trio de comédiens comme têtes d’affiche, mais également le même duo de scénaristes, le même producteur et le même directeur de la photographie. Simple démonstration de bonne foi ou recherche d’une zone de confort, le présent exercice voit également Huard renouer avec la comédie policière, genre qui lui aura permis de connaître un succès pancanadien sans précédent avec le pourtant très inégal Bon Cop Bad Cop d’Érik Canuel. L’artiste québécois revisite une fois de plus la formule on ne peut plus typique du « buddy movie » dans un contexte scénaristique toutefois beaucoup plus passif qu’actif. Cette folle aventure débutera lorsque Thomas (Claude Legault), un policier dont la réputation exemplaire aura été entachée ces derniers temps par de violents maux de tête qui lui auront passablement nui dans l’exercice de ses fonctions, oubliera par mégarde un suspect dans sa voiture au cours d’une journée d’été particulièrement chaude et humide. Suite au scandale médiatique qui découla de cette affaire, le patron de Thomas, Benoît (Paul Doucet), lui-même grandement ébranlé par le départ de sa femme, réaffectera son agent à la surveillance de la mère d’un criminel notoire dont les forces de l’ordre ont récemment perdu la trace. Pour l’assister dans sa tâche, Thomas se verra assigner un partenaire, Jean-François (Guillaume Lemay-Thivierge), un responsable des relations entre le service de police et les médias qui, pour sa part, fut victime d’une crise de panique en direct alors qu’il tentait de réparer l’erreur de son nouveau coéquipier aux yeux de la population.

Si le mal qui rongeait l’esprit des trois protagonistes du précédent opus de Patrick Huard était collectif et clairement identifié (l’idée de céder à la tentation de commettre l’adultère au coeur d’une vie de couple de moins en moins stimulante), Filière 13 fait état de son côté de trois maux bien distincts, mais qui tendent néanmoins à se rejoindre d’une certaine façon. La souffrance de Thomas sera celle d’un individu solitaire rattrapé par le temps ayant soudainement l’impression de n’avoir encore rien accompli dans sa vie. De leurs côtés, Jean-François découvrira que les seules situations où il se sent réellement bien dans sa peau sont justement celles où il doit faire semblant d’être quelqu’un d’autre - un trait de caractère évidemment idéal pour un travail de filature - tandis que Benoît développera une obsession maladive qui l’amènera à espionner son ex-femme, avec qui il aimerait tant renouer. Une « douce » folie dont le réalisateur cherchera à imprégner l’ensemble des éléments de son film, notamment par l’entremise des personnages secondaires campés par les humoristes André Sauvé et Laurent Paquin, interprétant respectivement un psychiatre aux méthodes assez particulières et un pharmacien anormalement enjoué entretenant une affection tout aussi inquiétante pour les antidépresseurs. Il revient à la chanteuse et musicienne Anik Jean de compléter cet étrange portrait, elle qui, pour son premier rôle au cinéma, se retrouve dans la peau d’une voisine - et inévitable intérêt amoureux de Thomas - dont l’accoutrement et le comportement pour le moins extravagants lui donnent souvent des airs de dessin animé ambulant. Le problème, c’est qu’autant du point de vue du scénario que de la mise en scène, Filière 13, à l’image de ses protagonistes, s’avère bien plus efficace lorsqu’il tente de faire les choses de façon calme et posé que durant les moments où il se laisse emporter par sa propre folie.

Ainsi, sans le moindre avertissement, le récit de Claude Lalonde et Pierre Lamothe délaissera l’enquête en cours pour se concentrer sur le cas d’un homme d’affaires ayant réussi à se sortir blanc comme neige de la fameuse commission Gomery. Nos deux vaillants justiciers auront alors la brillante idée d’épier l’individu (dont l’appartement se situe, comme par hasard, juste en face de celui où s’effectuait la surveillance de la vieille dame) afin de retrouver les millions détournés par le criminel à cravate et de pouvoir enfin mettre ce dernier derrière les barreaux. Un détour scénaristique pour le moins brutal et insolite, mais qui fonctionne étonnamment bien et qui ne rend aucunement superflu tout ce qui aura été mis sur pied précédemment. Les deux auteurs mettront d’ailleurs un terme à leur première intrigue d’une manière volontairement précipitée et judicieusement nonchalante. Sur le plan visuel, Filière 13 souffre à la fois des mêmes problèmes que Les 3 p’tits cochons tout comme il sait mettre en valeur le potentiel de Huard en tant que cinéaste le temps venu. Comme s’il voulait à tout prix prouver quelque chose au public - et au milieu - le réalisateur a parfois recours à des effets de style qui ne servent absolument à rien (une multitude de zooms ô combien déterminants sur des crayons feutres) ainsi qu’à un montage et des mouvements de caméra tout aussi nerveux et imprécis lors des séquences plus tumultueuses. Si la mise en scène de Patrick Huard se révèle ici beaucoup moins léché, ce dernier démontre néanmoins qu’il est capable de placer sa caméra au bon endroit au bon moment pour créer un résultat suffisamment convaincant. Nous avons cependant beaucoup plus l’impression cette fois-ci de nous retrouver devant une simple peinture à numéro dont les coups de pinceau s’avèrent étrangement moins stimulants lorsqu’Huard décide de laisser libre cours à ses instincts.

L’idée d’explorer les causes et les symptômes du fameux malaise mâle dont souffrent ces individus dans la trentaine en accentuant passablement la détresse psychologique de chacun tout en les faisant évoluer à l’intérieur d’un secteur d’activités ordinairement synonyme de force de caractère se voulait évidemment plus qu’intrigante. Nous ne pouvons néanmoins qu’espérer que Patrick Huard saura dénicher la prochaine fois une autre mise en situation qu’une soudaine épidémie de crises existentielles pour ses trois acteurs fétiches. Il s’agit, certes, d’un mélange ayant déjà prouvé sa valeur (marchande), mais qui a tout de même ses limites. En attendant, Filière 13 ne prétend jamais être autre chose qu’une production estivale ne  cherchant qu’à rallier le plus de gens possibles dans la fraîcheur d’une salle de cinéma pendant un peu plus de quatre-vingt-dix minutes. La touche magique de l’artiste québécois aura-t-elle une fois de plus raison du grand public? Probablement. Nous n’avons toutefois droit ici qu’à un film qui ne se contente que du strict minimum pour rencontrer ses objectifs avec un scénario tenant juste assez la route, des interprètes affichant de nouveau une complicité remarquable, et un nombre acceptable de situations comiques franchement réussies pour faire oublier toutes celles qui seront tombées à plat. Il serait intéressant de voir jusqu’où Huard et ses acolytes pourraient aller s’ils décidaient de laisser de côté les valeurs sûres pour mettre sur pied un projet qui ne reprendrait pas une formule déjà trop souvent exploitée. Homme des foules, Huard devra apprendre à leur faire un peu plus confiance, et surtout à prendre des risques, s’il désire les garder à ses côtés, lui qui possède un talent comique inné pouvant lui permettre d’atteindre de plus hauts sommets. En attendant, ce deuxième long métrage demeure suffisamment distrayant et fonctionnel pour lui éviter de finir dans la filière 13.

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Critique publiée le 4 août 2010.