DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
L’équipe Infolettre   |

Domination masculine, La (2009)
Patric Jean

Post-féminisme

Par Jean-François Vandeuren
La montée fulgurante du féminisme au cours des années 60 et 70 aura largement contribué à réduire l’écart entre les hommes et les femmes, et ce, autant sur le plan social que professionnel. Une telle mobilisation aura ainsi permis à la gent féminine de faire véritablement son entrée sur le marché du travail et d’aspirer à gagner un jour un salaire équivalent à celui accordé à ses homologues de sexe masculin. Le tout aura également favorisé une atténuation de certains stéréotypes en plus de mener à un remaniement pour le moins radical du modèle familial traditionnel alors que la femme avait enfin la chance d’acquérir une certaine forme d’indépendance en effectuant ses propres choix de carrière. Ou du moins, il s’agit là d’une situation que nous semblons prendre de plus en plus pour acquise en ce début de nouveau millénaire. Mais est-elle franchement représentative de la réalité? Toutes ces percées ont-elles véritablement produit les effets escomptés, ou si ces gains n’ont-ils pas été volontairement amplifiés afin de camoufler une inégalité encore considérable entre les hommes et les femmes sur l’échiquier social? C’est la question à laquelle le cinéaste d’origine belge Patric Jean tente de répondre avec La Domination masculine, brûlot pro-féministe ambitieux, mais aux méthodes parfois fort discutables. Le réalisateur s’aventure ainsi en France, en Belgique et dans les rues de Montréal dans le but de dresser un portrait de la femme au coeur d’une société contemporaine qui, à son sens, est encore largement dominée par les hommes. Ce dernier ratisse d’ailleurs assez large ici en s’intéressant autant à l’image véhiculée par les médias et la culture populaire en général qu’à la violence conjugale dans sa forme physique et psychologique et, bien entendu, aux propos réactionnaires tenus par certaines associations d’hommes, lesquels atteignent des sommets de bêtise souvent inégalés.
 
Au-delà des nombreux faits divers qu’il présente tout au long de son documentaire, le réalisateur belge  accorde également une attention marquée aux différents symboles associés à cette « domination silencieuse », qui semblent toujours bien ancrés dans l’imaginaire collectif mondial. Il est évidemment impossible de passer à côté de toute la question de la religion, qui constitue encore aujourd’hui une partie importante du problème, et ce, peu importe les croyances ou la situation géographique. Un retour des plus inquiétants à un système de valeurs beaucoup plus conservatrices est d’ailleurs observable depuis quelques années un peu partout sur la planète. Sans passer par quatre chemins, La Domination masculine débute sur une série de plans particulièrement explicites d’une séance de chirurgie ayant pour but l’allongement de l’organe reproducteur masculin. Une intervention devant aider le principal intéressé à réacquérir une certaine confiance en soi tout en lui permettant de moins ressentir cette pression constante émanant d’une société hypersexualisée. À cet effet, Patric Jean rassembla tout un tas d’images qui passèrent visiblement sous le radar de la population au cours de la dernière révolution féministe. Le réalisateur frappe d’ailleurs assez fort en révélant au grand jour une iconographie vétuste, mais encore très puissante, véhiculée par plusieurs jouets et livres pour enfants. Un univers qui, du côté des garçons, se prête aux scénarios les plus farfelus, tandis que de celui des filles, tend davantage à recréer le quotidien très concret d’une femme au foyer. Un concept que Jean redirigera habilement vers ce culte de la beauté devant faire fantasmer les hommes et complexer les femmes face à un idéal de beauté souvent inatteignable. Un constat difficilement défendable, même pour celui ayant pour tâche de trafiquer de tels photos, qui ne se veut qu’un engrenage facilement remplaçable d’une machine extrêmement bien huilée.
 
Il est clair que celui qui oserait s’attaquer à une telle problématique se retrouverait inévitablement à marcher sur des oeufs alors que la moindre parcelle d’information exposée à l’écran serait assurément scrutée à la loupe et pourrait, par la même occasion, être mal interprétée par le premier venu. Un discours trop étoffé pourrait ainsi autant s’attirer les foudres du public qu’une réalisation approchant son sujet d’une manière trop peu vigoureuse. Là où les choses se compliquent dans le cas de La Domination masculine, c’est lorsque débute la partie au cours de laquelle Jean aborde toute la question de la violence faite à l’endroit des femmes - qui deviendra rapidement le coeur de son exposé. Il s’agit évidemment ici de deux phénomènes dont il est essentiel de parler et entre lesquels nous pouvons effectivement observer une certaine corrélation. Mais la façon extrêmement maladroite dont le cinéaste tente de livrer bataille sur deux fronts en même temps mène à des conclusions souvent assez hasardeuses nous poussant à douter des intentions de ce dernier. Le réalisateur accordera ainsi un temps d’écran considérable aux témoignages de femmes ayant été littéralement détruites par leur conjoint, et ce, autant par l’entremise d’attaques verbales que physiques. Une situation que Jean situera dans un contexte de répression par rapport au mouvement féministe qui le conduira, sans grande surprise, à redéterrer les événements survenus à l’École Polytechnique de Montréal le 6 décembre 1989. Le tout avant de porter un regard justement acerbe sur les différents mouvements masculinistes, des associations d’hommes défendant de manière convaincue un manifeste débile visant à créer une forte différenciation sociale entre les deux sexes. Mais c’est ironiquement en cherchant à dénoncer cette tendance que Jean finira par sombrer dans le même piège que ses « antagonistes ».
 
« Everything penis-shaped is bad », déclarait le fringant, mais ô combien insignifiant, professeur Stefane August dans l’épisode « That 90’s Show » de la toujours très populaire série The Simpsons. Une vision à laquelle semble adhérer le cinéaste d’origine belge, lui qui, tout au long du présent effort, s’évertuera à créer une gigantesque muraille à partir d’images sexistes et de symboles phalliques. Nous pourrions d’ailleurs penser que Patric Jean cherche carrément ici à diaboliser tout ce qui se rapporte à la figure masculine - sa vision de certains enjeux se révélant parfois si étroite qu’elle ne laisse pratiquement aucune place à la moindre zone grise. C’est ce qui arrive lorsqu’un cinéaste cherche beaucoup plus à choquer et à faire réagir son public qu’à l’informer d’une manière qui soit réellement objective. Ainsi, sauf quelques exceptions, La Domination masculine propose un portrait somme toute assez peu élogieux de la majorité de ses intervenants mâles, tandis que les femmes sont présentées comme des personnalités extrêmement fortes ou des victimes de la main de l’homme. Les interrogations soulevées par le réalisateur demeurent, certes, essentielles, notamment en ce qui a trait à ce phénomène alarmant où des cas de violence conjugale sont désormais rapportés au sein de couples en bas âge. Malgré un manque flagrant de partialité au niveau de l’approche, La Domination masculine s’avère un acte nécessaire réservant bien quelques moments de cinéma particulièrement inspirants. L’un des exemples les plus puissants du film à cet effet demeure cet étonnant témoignage d’un homme violent repenti capable à présent de parler de son problème en toute lucidité, et surtout d’un point de vue collectif. Dommage qu’à travers ces énoncés souvent très lourds, Patric Jean demeure davantage dans le négatif en s’évertuant à pointer tous les problèmes du doigt, mais en cherchant rarement à proposer de réelles solutions…
6
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Critique publiée le 8 février 2010.