DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Sorcerer's Apprentice, The (2010)
Jon Turteltaub

Du grabuge dans les voûtes

Par Mathieu Li-Goyette
Les voûtes de la Disney. Expression de plus en plus commune, elle caractérise cet espace abstrait, sorte d’endroit où vont se cacher les DVDs et les Blu-Ray du géant de l’industrie « pour tous publics ». Édition du collectionneur par-ci, édition ultime par-là, restauration inédite parfois, suite inattendue souvent, Disney distribue au compte-goutte ses oeuvres légendaires en créant une demande d’une avarice sans pareil. Du à ce va-et-vient continuel entre les voûtes et les tablettes, le prix reste identique d’année en année - les enfants seront toujours remplacés par d’autres enfants - et fait rouler Mickey (que nous n’avons pas vu depuis bien longtemps d’ailleurs) sur l’or le plus facilement récolté du grand Hollywood. Récemment, au tournant des années 2000, on a décidé dans les hautes sphères de remettre au goût du jour les grands classiques. Des films comme The Princess Diaries ou Enchanted se chargeaient de faire renaître les grandes princesses des Sleeping Beauty, Little Mermaid et autres femmes modèles. Si Enchanted puisait directement dans le patrimoine Disney - et le plus payant de l’Histoire du cinéma - le Sorcerer’s Apprentice de Jon Turteltaub (les bien huilés National Treasure ou The Kid) s’est donné le mandat de réactualiser l’oeuvre absolue de Walt, Fantasia (heureux hasard calculé que ce film ait récemment ouvert la quatorzième édition du Festival Fantasia).

On se penche donc sur le deuxième segment du chef-d’oeuvre de 1940, celui où Mickey, venant tout juste d’usurper le chapeau bleu étoilé de son maître, commande à une armée de balais de faire le ménage à sa place. La magie utilisée à des fins personnelles est une chose paresseuse, indice que l’homme n’utilise ces moyens mystérieux qu’au profit de sa nonchalance. C’est la morale classique des héros malgré eux : « à grands pouvoirs doit correspondre une grande responsabilité », qui motive les décisions de notre jeune apprenti sorcier new-yorkais de vingt ans, Dave (Jay Baruchel, autre Michael J. Fox en devenir). Transporté dans le monde des magiciens dès l’âge de dix ans suite à un accident impliquant son futur maître Balthazar (Nicolas Cage, que l’on retrouve avec toujours autant de plaisir), lui-même apprenti du célèbre Merlin. Ce dernier, maître d’un trio de mages (complété par Monica Bellucci et Alfred Molina) confus par leur propre triangle amoureux, donna sa bague magique à Balthazar avant de mourir : seul ce bijou sacré dénichera l’unique individu capable d’anéantir pour de bon la fée Morgane, adversaire classique de l’enchanteur.

Omettant de faire référence au film d’animation de 1963, The Sword in the Stone, Turteltaub et son équipe mènent les comédiens dans une comédie classique où enfants, parents et spectateurs nostalgiques riront un bon coup et se régaleront de la gamme d’émotions habituelle - romance, comédie et héroïsme ne font jamais défaut - dans une aventure aux accrochages rarissimes. Minée à quelques reprises par un sentimentalisme de bas étage, la production rehausse son propos bien intentionné lors de cette fameuse scène où Baruchel remplacera Mickey et où Cage remplacera le maître du film d’origine. Images animées faisant place aux images de synthèse, les balais dessinés deviennent « réels » et participent à ce grand mouvement de masse « disnéen » visant à concrétiser leurs moments d’anthologie dans le quotidien tangible. Amorçant un mouvement qui, parions dès maintenant, se propagera jusqu’à la 3D, The Sorcerer’s Apprentice n’a d’autres intérêts financiers que de renouveler le classique dont on fête le 70e anniversaire cette année ; autre heureux hasard, la sortie du DVD/Blu-Ray toujours inédit du film de 1940 concordera avec celle du remake de 2010.

De gros engrenages se cachent derrière le film aux allures innocentes et ce n’est pas sans déplaire que le spectateur plus averti reconnaîtra les diverses allusions à Disney et aux produits dérivés des magiciens (allant des cartes Magic aux références à diverses icônes de la culture populaire). Comme s’il était maintenant impossible de créer de nouvelles histoires à partir d’une idée originale, il n’est plus seulement question d’aspirer les meilleurs instants du passé pour les rendre pop et kitsch dans le présent (car il ne faut pas oublier que les remakes font rarement l’unanimité), mais bien de développer une nouvelle façon de convaincre les foules de payer leur billet de cinéma.

Des comédies d’Apatow à celles de Wright, le référentiel a la cote et son utilisation des moindres clins d’oeil cultes fait appel autant au public de connaisseurs qu’aux plus jeunes amateurs en quête de définir, par-delà son quotidien déjà gonflé de références, le « ce qu’il faut savoir » de la culture générale. Peu importe si Dave parvient ou non à triompher de Morgane (il y arrivera, nous le savons bien), c’est plutôt la somme des référents compris ou assimilés par le public qui comptera. De la trame sonore pop aux insultes comparant tel personnage à telle personnalité connue jusqu’au jeu sur les idées préconçues (Cage s’exclamant : « Bien sûr que je peux lire dans les pensées! »), on parcourt l’histoire d’un trait en surface - Dave contre Morgane - tout en retraçant l’histoire de la culture de la commercialisation de l’enfance menée par Disney. L’art de faire de l’argent avec ce qui l’est déjà, voilà peut-être les dernières traces de génie dans l’industrie. Comme si, depuis Back to the Future (1985), on ne pouvait plus se permettre un film familial qui ne résonnerait pas autant du côté des amateurs de Clint Eastwood que des aventures de Luke Skywalker, l’ensemble des publics se retrouve ici bien chez soi, assis confortablement dans le musée des babioles de son enfance.

Au coeur du concept de l’oeuvre, ce transfert entre la « magie » du dessin animé et la technologie des superbes effets numériques se concrétise dans la dualité entre la magie prônée par Balthazar et la science maîtrisée par Dave et son cerveau de jeune physicien surdoué. Alliant les deux lors du combat final, Dave est en mesure de se défendre sans la bague de Merlin, mais ne pourra toutefois pas gagner la bataille sans l’aide de l’électricité, matière réelle, scientifique. Épaulé par une copine de service, Dave affronte la Morgane faisant éruption en plein New York et la repousse par l’art et la technologie, la magie et les théories scientifiques. De la matière au numérique - les effets spéciaux étant encore plus artificiels que du cellulo coloré « à l’ancienne » - la cohésion entre ces deux mondes trouve son moment fort dans la fameuse séquence des balais ou lors des quelques scènes bien comiques où Cage formera les talents du jeune Baruchel. Nouvelle manière de communiquer l’amusement aux enfants, ce bombardement de citations est devenu au film grand public ce que le produit dérivé est devenu à l’icône populaire : une façon comme une autre de faire communier petits et grands sous les mêmes souvenirs et sous le même culte de la nostalgie. Car depuis Disney et l’âge d’or de l’animation marqué par les Looney Tunes et autres prouesses d’un Tex Avery, ce nouveau comique en est un de visage et non de corps, et là peut-être se dénote le réel abandon d’un pan « magique » vers un pan « plastique » (les studios d’animation classique ont d’ailleurs fermé leurs portes en 2004). Le burlesque, les déplacements agréables chorégraphiés comme de véritables ballets sont devenus les grimaces et les sourires de comédiens à haute valeur bancable, des visages sympathiques placardés sur un système ayant fait définitivement passer sa science avant sa magie.
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Critique publiée le 14 juillet 2010.