DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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G.I. Joe: Retaliation (2013)
Jon M. Chu

Post-quelque chose

Par Maxime Monast
Souvent, la critique se plaît à déclarer la fin d’une ère avec de grandes affirmations sur des événements phares qui auraient bouleversé notre compréhension du cinéma. Il y aurait trop d’exemples à citer, mais un leitmotiv demeure présent : nous sommes bel et bien dans un monde « post-quelque chose ». Que ce soit un film, une théorie, voire une technologie inédite, le résultat est toujours le même : nous sommes maintenant brisés et obsolètes, toujours dans l’après. Et comme de bons cinéphiles, nous essayons de comprendre notre situation en analysant minutieusement les évènements et leurs effets. Mais peu de gens auront pu nous préparer pour l’aventure que nous aurons subie en 2012.

Malgré le chagrin de certains et la surprise de tant, nous sommes dans un monde « post-Magic Mike ». Conçu avec un budget minuscule, cette réussite de Steven Soderbergh aura propulsé Channing Tatum vers le monde des étoiles. Le cosmos que Carl Sagan a toujours imaginé n’a jamais été aussi brillant. Soulignons également le succès de 21 Jump Street de Phil Lord et Chris Miller ou encore The Vow de Michael Suscy, qui auront su récolter plus de 100 millions de dollars chacun au box-office. Maintenant un nom domestiqué et plus qu’une paire de bras, Tatum est un indice à la bourse. Plusieurs connaisseurs auront cru du coup que c’est ce triomphe planétaire qui aura poussé les producteurs de G.I. Joe: Retaliation à en reporter la sortie plus ou moins attendue de près d’un an afin de tourner de nouvelles scènes et de bonifier la présence si enivrante de ce danseur nu devenu soldat. Mais après les vingt premières minutes du film de Jon M. Chu (Step Up 2 et 3), les experts risquent d’être bien surpris.

Nous suivrons d’abord l’équipe de soldats élites lorsqu’elle sera déployée pour reprendre une grande quantité d’armes nucléaires des mains d’un gouvernement extrémiste. L’escouade sera toutefois trahie par son propre gouvernement, plus précisément par leur faux président (un Jonathan Pryce qui s’amuse énormément) personnifié par le caméléon Zartan, qui, lui, agit sous les ordres de Cobra Commander, Le but ultime de ces vilains sera dès lors de s’emparer de la Terre. Rien de moins.

Heureusement, G.I. Joe: Retaliation ne perd pas trop de temps. Suite à un court montage nous expliquant le concept des ses héros et de leurs ennemis emblématiques, nous n’oublions plus que peu de gens de la présente génération ont été explosés aux premières incarnations de ces personnages (sous la forme de dessins animés ou de bandes dessinées), eux qui auront sûrement déjà oublié également la piteuse création qu’en aura tirée Stephen Sommers pour le grand écran. Et bien qu’on ne nous explique jamais l’absence de certains personnages ou les conséquences des événements du premier film, qui auraient pu servir de fondation à ce second volet, le spectateur aura vite compris que la cohérence de la saga ne concerne pas les productions du niveau de G.I. Joe. En effet, l’objectif de ce deuxième film - s’il y en a un - n’est pas de créer un opéra en trois actes ou de mettre sur pied une progression dramatique cohérente avec des personnages complexes. Retaliation ne cherche qu’à titiller nos instincts les plus simplistes et les plus primaires; en l’occurrence, il n’y a rien de mal à vouloir exploiter et analyser ceux-ci, quoiqu’il faille au moins les mettre en contexte, se les approprier… Un détail que Lorenzo di Bonaventura et Brian Goldner n’avaient clairement pas en tête lorsqu’ils auront commandé ce long métrage, un film bonbon ne pouvant être pris qu’au premier degré.

Les moments les plus divertissants demeurent ceux que partagent Duke (Tatum) et Roadblock (Dwayne Johnson). Pour un scénariste un peu plus subtil, cette complicité aurait pu devenir un pivot narratif important. Imaginez, un G.I. Joe: Retaliation où Roadblock aurait été tellement brisé mentalement par l’absence de son frère d’armes qu’il aurait fini par mettre en danger son équipe de même que la démocratie. Une descente aux enfers, une étude psychologique dans la veine du Heart of Darkness de Joseph Conrad. Même si l’on peut s’imaginer pareille prémisse, Retaliation demeure un film sans contenu palpable ni véritable mérite visuel. En plus d’être une commande, c’est une commande vide.

G.I. Joe: Retaliation nous donne bien quelques autres raisons de rêver d’un film de produits Hasbro un tant soit peu maîtrisé. Dans la catégorie du « cameo le plus improbable », Chu nous livre une petite surprise en laissant à RZA le luxe de guider les scènes les moins homogènes de son film. Ce dernier incarne le vénérable maître kung-fu chapeautant l’histoire de Snake Eyes et Storm Shadow. Ce segment s’avère intéressant en tant qu’histoire à part entière, mais demeure mal intégré au sein de la structure du film dans son ensemble. Il témoigne d’un sentiment de ce qu’aurait pu être le présent spectacle si celui-ci s’était concentré sur un aspect plus universel. Bref, ce ne sont pas les séquences les mieux exécutées, voire les plus essentielles au récit, qui triomphent ici : ce sont celles qui tirent le maximum de leurs fonctions de « film de jouets ».

En somme, c’est lorsqu’il se montre sous un jour plus humoristique, totalement conscient de l’absurdité du projet de créer un film de figurines, que G.I. Joe: Retaliation s’endure le mieux et mène à ses meilleures (pires?) séquences. Les moments quasi sérieux ou cherchant à exploiter un minimum de tension dramatique, quant à eux, fâchent. Au final, c’est l’incapacité de fusionner adéquatement ces différents tons qui condamne Retaliation. G.I. Joe, une franchise se jouant du plaisir de la médiocrité pour se trouver un public, nous, public post-G.I. Joe.
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Critique publiée le 28 mars 2013.