Romero : Toujours vivant
Par
Mathieu Li-Goyette
C’était quand le western ne servait plus à rien. Quand il ne faisait que confirmer son mythe, rejouer la même corde sensible du même arc d’Amérindien mille fois scalpé. C’est à ce moment où John Wayne dégaina son arme et tira dans les yeux de la dépouille déjà morte d’un Amérindien : « Dans sa religion, cela veut dire qu’il ne reposera jamais l’âme en paix » lançait-il dans The Searchers. John Wayne, par John Ford (l’usuel duo) creusait la tombe du anti-héros et, ensemble, le faisaient tanguer d’un côté comme de l’autre du manichéisme hollywoodien d’où il était issu. Pourtant, l’Amérindien n’a jamais réellement intéressé Ford, ni le cowboy, ni son damné Monument Valley où l’imaginaire états-unien semblait semblait plutôt prendre forme de lui-même : pour cet amour des symboles et pour son esthétisme, on consacra jadis Ford comme un grand cinéaste.
Aujourd’hui, c'est le film de morts-vivants qui ne sert plus à rien.
En fait, c’est aujourd’hui que le cinéma fait par Romero et ses morts-vivants (un autre duo) vient confirmer après le détour brillant de Diary of the Dead qu’il a repris les armes d’un combat sensible. En faisant preuve d’un génie renouvelé alors que le film de morts-vivants, sorte de métaphore répétée ad nauseam par l’intelligentsia underground (les masses contres les individus, les révolutions contre le pouvoir en place, etc.), fait du surplace dans un créneau attaqué de tous côtés par le remake et par de nouvelles réappropriations rarement pertinentes (excluons Shaun of the Dead pour sa bonne cause), c'est d'un génie renouvelé dont il est question. Une oeuvre où le maître poursuit dans la lancée de son Diary of the Dead (les militaires de ce dernier film forment d’ailleurs une part des personnages de son nouveau-né), elle s’attaque de façon virulente et sans concession à la violence obligée du cinéma et de sa réalité filmée. Brièvement en lançant une flèche aux nouveaux médias pour ensuite plonger dans le pire musée américain : le western et son puritanisme aux puissants contrastes, Romero aura ensuite recourt à un humour burlesque fièrement affiché qu'on sait de plus en plus approprié (lez zombies marcheurs ne sont plus effrayants depuis qu'ils ont appris à courir...). La mise en scène de la tension et des tiraillements d’un groupuscule fera foi, pour sa part, d’une maîtrise devenue routinière pour le grand cinéaste qui affiche au passage la réalisation la plus synthétique et la plus régulière de sa carrière.
Attirés par un message reçu par la toile internet, des militaires se dirigent vers un port municipal où, non sans y perdre patience et balles face à des pêcheurs exilés, ils trouvent le navire qui les mènera sur une île de la côte Est américaine. Sur celle-ci, deux familles se font la guerre : doit-on tuer les morts-vivants (ils veulent nous manger après tout) ou doit-on les protéger (au cas où nous trouverions un remède). Débat simpliste dans lequel aborder l’euthanasie sur l’être humain serait s’égarer dans de disparates analyses, ce Survival of the Dead est à proprement dit un film sur la survie, la valeur de la vie humaine et sur la détermination mise de l’avant par les humains entre eux pour se l’enlever. Toujours réputé pour mettre en scène des drames humains pervers au sein de ses réalisations, Romero fait ici de ces fameux moments la pierre angulaire d’un film chargé en pastiches et en homicides. Porté par la religion et ses exigences, c’est de la même profanation dont Wayne se faisait l’exécuteur dansThe Searchers dont Romero nous évoque le souvenir. Les morts-vivants sont morts, nous pouvons nous permettre de les tuer de nouveau (comme il l’annonçait dans l’épilogue de Diary of the Dead) et de se positionner comme bon ou méchant face au mal absolu et générique; après tout, le mort-vivant chez Romero est aussi générique que le peau-rouge fordien deSearchers. Relégué au statut de figurant, la créature romérienne n’est plus l’antagoniste d’un film mettant plutôt en vedette deux familles enragées et entre lesquelles tente de survivre un groupe de soldats peu significatif et qui, par le choix d’un montage sensiblement axé sur la dénonciation des hérésies religieuse, écarte rapidement l’idée que cette dernière oeuvre en est encore une faisant état d’une suprématie militaire.
Car si Night of the Living Dead dénonçait bien malgré lui le racisme, Dawn of the Dead la société de consommation, Day of the Dead le contrôle de l’état par l’armée, la folie au nom de la science, Survival of the Dead raconte le film de morts-vivants crépusculaire dans lequel, épuré de ses anciens discours, seule la critique de la religion et du rôle d’actant fondamentalement lié au récit classique (et à l’acte de raconter, l’acte d’être cinéaste pour Romero) demeure au goût du jour. Mené par un vieil homme et sa bande de cowboys à l’accent westernien surfait, crucifix et revolver en main, la troupe demeurée sur l’île souhaite sauver les morts et s’en prendra aux exilés au grossier accent irlandais (Ford était Irlandais d'ailleurs! Passons...) et aux réactions punitives extrêmes. Le « bien » contre le « mal », les cowboys contre les fermiers et pêcheurs, exilés le temps d’une séquence sur la terre mère de l’Amérique à la recherche de la cavalerie (l’armée) pour mettre un peu d’ordre dans le village (l’île) peuplée d’hors-la-loi (les héros?) soudainement antagonistes à l’équation bien classique. En effet, ceux que l’on croyait « gentils » s’avèrent finalement des salauds capables de tuer d’innocents humains tout en se permettant souvent au passage de transgresser leur entente de non-agression envers la population morte-vivante. Situé à l’Est (donc tout à l’opposé de l’Ouest et son imagerie), Romero fait s’affronter ses préconceptions d’environnements restreints aux grandes et vertes prairies d’un gigantesque bac à sable où créatures, citoyens armés et militaires castrés (à un point tel que le plus viril est une femme lesbienne) se font la guerre sous le ciel de l’apocalypse; les morts se réveillent, la mythologie du film de zombies nous l’a déjà fait comprendre à maintes occasions.
« Nous nous battons depuis la petite école » lançait le chef des fermiers pendant que l’on s’épate encore de ce dernier plan où, sous un clair de lune - le parfait crépuscule pour un maître de l’horreur - les deux parangons d’une même cause devenus morts-vivants se flinguent à tout vent. Plus aucune réflexion, plus aucune raison à part de faire ce qu’ils ont toujours sur faire de mieux : tuer son prochain ad vitam eternam jusqu’à ce que l’on en oublie la cause. En condamnant ainsi l’humanité à devenir zombie, Romero exprime un point de cécité essentiel aux conflits armés du début du 21e siècle tout en ramassant au passage le manichéisme stupide que remettait en question dès les années 50 Ford et son film sur un héroïsme soudainement pessimiste et remis en cause par ses allégeances judéo-chrétiennes; la fin d'une « raison » au conflit et l'écartement d'une notion arbitraire. D’abord parce que l’héroïsme doit être soumis par définition à cette relecture, ensuite parce que le film de morts-vivants tel que Romero le conçoit en était probablement parvenu en 40 ans à ce degré de maturité lors duquel, après s’être attaqué récemment aux nouveaux médias, il se devait de reconstruire ses mécanismes d’action-réaction (d'oeil pour oeil, dent pour dent) pour survivre de nouveau. Oui, les morts-vivants de l’ami Romero survivent. Ils sont au rendez-vous dans une explosion sanglante à souhait, hilarante comme rarement ils l’auront été, mais il n’en demeure pas moins qu’ils n’ont jamais paru autant comme les pantins d’un discours supérieur à celui des chairs mortifiées. Permettrons-nous un jour d’y voir la lucidité d’un grand alchimiste de la mythologie américaine? Lui aussi n’a que faire de ses zombies, de ses huis-clos, de ses soldats : dira-t-on qu’il a été un grand cinéaste américain pour autant? D’ici là, il nous est au moins permis d’écrire et d’en rêver.
Critique publiée le 10 octobre 2009.