D'autres éclaboussures
Par
Mathieu Li-Goyette
La porno et le gore sont généralement considérés comme des genres corporels. Définis à la même époque (les années 60) et largement sous la tutelle du même individu en Herschell Gordon Lewis, maître des corps souillés, le parallèle entre ces deux supposés extrêmes du cinéma contemporain dicte pourtant les directions de l'industrie depuis plus d'un demi-siècle. Du couteau au sexe masculin, de la douche de sang sur le visage à l'éjaculation, le spectateur des films de Lewis s'attend à voir le corps d'autrui manipulé puis ensuite profané par l'arme létale ou sexuelle d'un autre personnage dominant en se confrontant alors aux attentes les plus morbides. Le plaisir au prix de la mort ou la mort au prix du plaisir, les deux genres évoluent en parallèles, basent leurs pivots scénaristiques sur l'humiliation d'un autre, sur l'obscène et les dessous d'un monde moderne décrié comme hypocrite, tricheur et plongé dans l'infidélité de ses propres préceptes (les adolescents dopés meurent les premiers tandis que les femmes sont humiliées jusqu'à une dernière survivante qui devra triompher du couteau-pénis, etc.).
Pour ainsi dire, la démarche du réalisateur de Jesus Christ Vampire Hunter (2001), Lee Demarbre, est loin d'être hérétique. C'est dans un hommage à cette même légende Gordon Lewis (Blood Feast, Wizard of Gore... en alternance avec ses films à tendance sexuelle assez élevée) qu'il opposera le psychopathe par excellence des années 70 en David Hess (The Last House on the Left de Wes Craven) ainsi que la jeune star de l'industrie X Sasha Grey (éblouissante dans le Girlfriend Experience de Soderbergh). Le meilleur du slasher et le meilleur du porno pour refaire ce qui fut jadis le meilleur des deux dans un film repliant sur lui-même la notion du cinéma d’exploitation à petit budget. Hess en cinéaste possédé, Grey en journaliste du dimanche convertie en starlette de l’horreur, le réalisme bidon des films de Lewis vient hanter ce qui reste de l’illusion cinématographique d’aujourd’hui. Celle qui n’accepte que le laissez-regarder sadique du cinéma gore devenu la méthode par excellence de l’horreur moderne. L’alter-ego de Lewis avec ses tour de passe-passe bricolés et ses mannequins découpés est porté à utiliser de vrais cadavres (et donc de s’en procurer) pour rivaliser avec les nouveaux standards.
Smash Cut, sous ses apparences, est un film néanmoins assez simplet qui présente des personnages à concepts grossièrement placardés sur des motifs de l’industrie du cinéma. Un scénariste à binocles, un producteur névrosé, une critique de cinéma hargneuse, les stéréotypes s’accumulent dans le making-of de la production d’un «vrai» film gore. Si Demarbre réussit à merveille à reconstituer les moyens techniques de l’époque et la finition esthétique bien propre à Lewis, la relecture du cinéma gore manque bien de substance, si ce n’est que cette trame du cinéma à l’intérieur du cinéma. « Le cinéma est une entreprise sanglante » proclame Lewis lui-même avant le film et c’est en fournissant ces armes de meurtres volées au panthéon du genre que les actants de l’industrie se voient extrapoler leurs passions et leur rogne contre leurs sous-traitants et patrons. La problématique de Smash Cut est de poser au cinéma le pouvoir du meurtre et de croire aveuglément au créateur fou que nous aimerions retrouver dans les annales du cinéma. Ces grands hommes que nous admirons d’anecdotes en anecdotes et de folies en folies (à la Herzog, Coppola, Welles, pour nommer les plus adulés) qui, pour l’horreur, s’y jetteraient jusqu’à la démence.
Et c’est une bien belle aspiration que d’immortaliser le créateur d’une si grande entreprise qu’un long-métrage par une douche de sang et de pellicule. Ceci dit, Demarbre prouve avec les minimes moyens qui lui ont été accordés qu’il est lui-même un réalisateur hors-pair lorsqu’il en vient aux scènes de fortes tensions qui caractérisent les premières déroutes d’Able Whitman le cinéaste fou. Ces scènes sanglantes à souhait, si elles sont en partie neutralisées par les pacotilles du jeu des reporters (Jesse Buck et Sasha Grey), forment au moins l’intérêt principal d’un film inégal qui marquera assurément plus par ses bêtises que pas ses élans de génie. Alors que seul Hess semble sauver la mise, Grey plonge dans un rôle pathétique (tourné cependant avant son travail avec Soderbergh qui, on l’aura dit, était bien mieux) qui rajoute à l’aspect grossier d’une distribution faible qui nage dans une ironie lancée à tout vent. Les plateaux du cinéma se transforment en coulisses de la scène de théâtre où les maquillages portés naïvement font de l’hommage une mascarade sans intérêt autre que la redite de l’oeuvre du créateur des manies cinématographiques mises en cause. Dommage, car ce qui aurait pu être la consécration de cette filmographie perpétuellement fouillée par les pèlerins du cinéma d’exploitation se retrouvera à se noyer dans la crasse du cinéma « facile » contre qui elle s’érigeait autrefois.
Critique publiée le 3 août 2009.