DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Dead Man Down (2013)
Niels Arden Oplev

Vengeance pour tous

Par Jean-François Vandeuren
Il ne s’agit pas de la première incursion de la WWE (World Wrestling Entertainement) au cinéma. On pense en premier lieu à ces nombreuses vedettes du ring qui auront pu profiter de leur popularité pour décrocher différents rôles - dans des productions de qualité évidemment fort discutable, la plupart du temps. Un cas comme celui de Dwayne « The Rock » Johnson, dont le charisme lui aura permis de se dissocier de ses origines dans le métier et de s’établir petit à petit comme un comédien crédible à Hollywood, demeure, certes, l’exception qui confirme la règle. Les spectacles mis sur pied par WWE Studios depuis sa création en 2002 n’auront pour leur part guère volé plus haut que la plus risible des comédies familiales ou le moins réfléchi des films d’action de série B. L’entreprise semble toutefois vouloir proposer des projets un tant soit peu substantiels en ce début d’année en participant à la réalisation de thrillers pour lesquels elle aura su mettre sous contrat des têtes d’affiche leur conférant déjà une crédibilité supplémentaire. C’est le cas du présent Dead Man Down, pour lequel le studio aura su retenir les services de Colin Farrell, Noomi Rapace, Dominic Cooper, Terrence Howard, et même Isabelle Huppert. Le tout en plus d’en confier la réalisation au Danois Niels Arden Oplev, principalement connu pour avoir signé la première adaptation très populaire, mais plutôt médiocre, du roman The Girl with the Dragon Tattoo de Stieg Larsson. Dead Man Down fait bien part de certaines qualités dramatiques que nous n’aurions jamais cru retrouver dans une production cinématographique précédée du logo de la WWE. Le tout dans un ensemble se révélant malgré tout terriblement moyen.

Le premier long métrage américain - et sixième au total - de Niels Arden Oplev se penche ainsi de manière assez typique sur le thème on ne peut plus classique de la vengeance par l’entremise d’une intrigue nous faisant continuellement marcher en terrains connus. Nous serons d’abord introduits au récit de Victor (Farrell), un ingénieur hongrois venu s’installer à New York oeuvrant à présent pour le compte d’Alphonse (Howard), un chef de gang voyant depuis quelques mois ses hommes de main être assassinés les uns après les autres en plus de recevoir régulièrement des photographies particulièrement hostiles. Ce dont Alphonse ne se doute guère, c’est que Victor est derrière cet affront, lui qui aura infiltré l’organisation du malfrat dans le but de venger la mort de sa femme et de sa fille survenues deux ans plus tôt, et dont celle-ci est directement responsable. Il y a ensuite Béatrice (Rapace), la voisine de Victor, qui, pour sa part, voudrait bien faire payer l’homme ayant causé l’accident de voiture qui l’aura défigurée, lui qui était alors en état d’ébriété, mais qui s’en sera finalement tiré avec une peine d’emprisonnement ridicule. Béatrice tentera dès lors d’utiliser Victor pour se faire justice en lui demandant d’éliminer l’ivrogne en question, sinon quoi elle fera parvenir aux autorités une vidéo montrant ce dernier en train de tuer froidement un homme dans son appartement. Ce jeu de chantage se compliquera évidemment lorsque les sentiments amoureux commenceront à se mêler de la partie. Mais au-delà de la prévisibilité d’un tel revirement de situation, celui-ci viendra malencontreusement saboter l’élément le plus captivant d’un scénario autrement tout ce qu’il y a de plus mécanique.

Ce que nous pouvions retenir au final de The Girl with the Dragon Tattoo, c’est que son maître d’oeuvre se révélait rarement en mesure de tirer profit des atouts qu’il avait sous la main. On pense à une direction d’acteurs des plus inégales, à l’incapacité du réalisateur à envelopper son récit d’une réelle aura de mystère et à maintenir un niveau de tension suffisamment engageant, ainsi qu’à un recours maladroit à des stratagèmes plus spectaculaires, pour lesquels Oplev ne possédait visiblement pas l’assurance ni le savoir-faire nécessaires pour arriver à des résultats moindrement crédibles ou satisfaisants. Ceci étant dit, le Danois parvient bien ici à élever son jeu d’un cran à certains égards. Oplev signe d’une part une mise en scène plus travaillée, bénéficiant évidemment d’un budget un peu plus substantiel, tirant profit de la direction photo particulièrement glauque de Paul Cameron pour mettre en relief le désespoir comme la fragilité émotionnelle de ses deux principaux personnages. Le réalisateur obtient également un meilleur support de ses principales têtes d’affiche - même si nous regretterons en bout de ligne une Isabelle Huppert sous-utilisée dans un rôle plus qu’accessoire. La présente proposition demeure autrement des plus inégales en ce qui a trait au développement de l’intrigue et à la création de tension, Oplev et le scénariste J. H. Wyman gérant de façon plutôt maladroite les différentes ironies dramatiques sur lesquelles reposent leur récit en donnant toujours au spectateur une longueur d’avance sur leurs propres personnages. De sorte que le seul mystère entourant Dead Man Down finit par être à savoir si le protagoniste parviendra à mener son projet de vengeance à terme. Question dont nous connaissons évidemment la réponse avant même d’entrer dans la salle.

Ainsi, trop souvent Dead Man Down semblera simplement tourner en rond, étirant la sauce jusqu’à ce moment fatidique par rapport auquel Oplev et Wyman généreront des attentes beaucoup trop tôt dans le récit. L’étau se resserrera, certes, de plus en plus autour de Victor, mais sans que cette pression et la disparition des issues possibles ne deviennent jamais étouffantes. Le réalisateur parvient bien malgré tout à orchestrer quelques moments de drame et de tension qui retiennent l’attention de par la simplicité et la précision avec lesquelles est produite leur charge émotive. Oplev se révèle alors un créateur d’ambiances suffisamment efficace, qualité qui, encore là, sera affaiblie par ses obligations de donner dans une veine plus spectaculaire, notamment lors d’une séquence finale des plus contrastante et incohérente au cours de laquelle ressortiront soudainement les plus mauvaises habitudes du studio affilié. Bref, plus souvent qu’autrement, Dead Man Down se révèle une série d’opportunités ratées, laissant toujours paraître plusieurs bonnes idées et les outils pour les réaliser, mais en s’entêtant à emprunter des raccourcis narratifs et dramatiques qui lui sont automatiquement fatals. Des failles généralement perceptibles dans les images choisies pour mettre en évidence les éléments clés du scénario, lesquelles ne font évidemment jamais dans la subtilité. Le duo nous servira évidemment au bout du compte la même vieille morale voulant que la vengeance ne saurait permettre à une âme de retrouver la paix. Le scénariste se montrera néanmoins assez généreux pour offrir une porte de sortie à son personnage en transformant au tout dernier instant sa quête en mission de sauvetage. Ainsi, comme tant d’autres productions du genre, Dead Man Down laisse bien paraître des compétences plus que prometteuses, promesses que ses maîtres d’oeuvre n’auront malheureusement su alimenté du moindre souffle créatif.
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Critique publiée le 9 mars 2013.