Saints homo sapiens
Par
Mathieu Li-Goyette
Religulous ou Relidicule : calembour facile qui mêle ridicule, risible à religion, culte, étatisation, institutionnalisation des croyances comme le laisse croire l’affiche où chimpanzés jouent aux maîtres à penser théologique. D’une descendance trop évidente de Michael Moore, l’incursion de Larry Charles (réalisateur de Borat) dans le documentaire pleinement méthodique et non plus fictionnel (enfin, c’est ce qu’on lui prétend être) sert de porte-étendard à l’humour vicieux (le ridicule n'est-il pas la plus basse, facile forme d'humour?), mais honteusement délicieux de Bill Maher, humoriste populaire des États-Unis. Du petit trapu à lunette, l’on passe à l’homme de scène au costume distingué et à l’humour décapant qui semble trouver plaisir à ridiculiser croyants, institutions et mythes d’un phénomène qu’il ne se montre capable en vain de décrire qu’en l’abaissant aux balivernes du premier cultiste venu. Ironiquement, c'est cette prétention à remettre en question 2000, parfois 3000 ans d’histoire religieuse, bien qu’elle se veut en elle-même une révélation, qui se frotte au démon qu'elle s’évertue d’ostraciser. Sous un soleil éblouissant, la figure sympathique de Maher est filmée sous l’angle messianique de son propre manifeste athéiste qu’il a écrit et produit à la suite de ses spectacles d’humour religieux; dans un pays où l'on croit que l'Étoile de David se fait big brother de toutes instances hauts placés, le gag « juif » conservent cette impression illégale d'être militante. À mi-chemin entre le spectacle de soirée et la gifle anti-cléricale, il est ainsi sur grand écran prêt à propager sa bonne nouvelle; aussi médiatisée et débattue que porteuse d’une mauvaise foi.
Cet honorable serviteur du public Bill Maher présenté sur thème musical accrocheur de Seeker (du groupe britannique The Who), se tient en Israël sur le piédestal où, selon la croyance, les prophètes amorceraient leurs retour sur terre à la veille de l’Apocalypse. Narguant le pouvoir divin d’une audace hérétique, Maher incarne la revanche de sa génération de baby-boomers nés sous l’égide de familles croyantes à une époque où la confession excusait les pitrerie d’un Maher de douze ans qu’on croira bon de nous évoquer en documents familiaux. L’astuce accomplie, le cinéaste tend à parvenir à restituer la popularité de sa figure de proue humoristique à la réalité connue des années 60 : Maher, « comme tous autres », est né d’une famille de la classe moyenne, sa mère juive, son père catholique, sa soeur aussi forcée à la foi que lui. Bref, l’excuse à l’audace qui s’annonce prend forme sous le citoyen moyen décidant enfin de s’écrier : « Dieu est mort! », d’anéantir la crédibilité des regroupements religieux (aussi généreux qu’endoctrinants soient-ils) et de s’élever au-dessus de la masse des croyants aux prophètes capables de rendre serpent ce qui fut bâton, les peuples monothéistes en tout genre. Précisément, les cultes orientaux à tendances panthéistes restent plutôt grossièrement évités, préférant s'en tenir à l'absurde et aux arnaques d'un occident divin.
D’une visite fortuite en plein coeur d’une chapelle de camionneurs à la rencontre d’un prêtre de la marijuana à Amsterdam, le propos ne s'affiche malheureusement à proprement parler d’aucune progression autre que de passer en revue rapidement l’éventail des religions proposées dans notre moitié du globe. Bien que certaines allégations soient troublantes (note remarquable à ce sénateur américain excusant les morts irakiens pour paver la voie à l’Armageddon des Testaments). Toujours en quête de démystification (Seeker?), l'aller et retour entre plusieurs critiques des écrits saints se voit d'une lourdeur chronique reliée aux préoccupations exhaustives envers les groupes religieux d'une importance bien moindre. Le catholicisme, le regroupement des mormons, la scientologie, en d'autres mots les religions capables d'encaisser la critique en s'enfermant toujours dans la compassion, l'indifférence ou le mépris altruiste respectivement restent bien loin des possibilités critiques qu'aurait permis le discours sur le fanatisme religieux musulman (qu'on me tienne ici loin de tout préjugés pernicieux) ou du traumatisme de la Shoah: en terme de temps consacré, le gourou d'Amérique du Sud à la chefferie de 100 000 fidèles retient assurément plus l'attention.
Manquant d'autorité autre que ses témoignages chocs, Religulous n'a pas la frondeur qu'il lui aurait idéalement fallu. Les statistiques, la vue d'ensemble de la crise contre le terrorisme brillent par leurs absences pour préférer grandement l'anecdote sensationnelle qui fait vendre, et pour cause, avec quelques outils de mise en scène comiques (l'utilisation de sous-titres pour illustrer la pensée des intervenants et de l'intervieweur). Maher semble d'ailleurs oublier l'importance de la religion et la charge idéologique derrière celle-ci. Selon son hypothèse partagée par plus d'un athéiste convaincu, le dogmatisme est une manigance de tout temps et l'homme est resté pieds et poings liés depuis qu'il espère accomplir sur Terre assez de bonnes actions pour atteindre, dans l'au-delà, une vie saine. Sans poser de jugements de valeurs, il est primordial de se rappeler de l'unification amené qu'a été les synonymes de la religion jusqu'au siècle des Lumières, siècle qui se devait justement “d'éclairer les ténèbres de la religion” et ce qui Nietzsche appela “l'opium du peuple”. De cette époque, Maher semble retenir tout le manichéisme en s'attaquant de front à un phénomène bien plus problématique qu'un simple discours évangéliste du président américain en oubliant que souvent, les frontières géopolitiques sont affaire de religions, non de gouvernements.
Car si Maher joue la carte du recherchiste sans peur et sans aucune limite, l'exemple de la moquerie des gens croyants parfois extrémistes, d'autrefois (et plus tragiquement) dépendant de cette croyance (ce qu'on réfère communément à “c'est tout ce qu'il me reste”) est tout a fait pitoyable venant d'une figure populaire de cette ampleur à l'exception honorable d'une séquence où sa propre famille anciennement dévote fera l'objet d'une dissection publique. À l'inverse du kazak du précédent film de Charles avec lequel le réalisateur se plongeait dans la fiction et la remise en question par le rire du american way of life, les procédés de sa dernière mésaventure est autant impertinente que démagogique: un échec de la vision documentaire tel qu'on l'entend formellement. Qu'on le comprenne, Borat constituait une contre-attaque du monde arabe sur les invariants d'une superpuissance. Religulous, lui, s'attaque au jugement de valeur et directement à l'intelligence de ceux qui préfèrent parfois croire à l'Éden qu'au star système, un de ces mondes idéalisés tout aussi faux que celui de la Genèse et recréé pour le même contrôle des masses peut-être encore plus révoltant que c'est à se demander à qui la faute entre les deux artistes de même ligue.
Critique publiée le 2 janvier 2009.