À cause du garçon
Par
Laurence H. Collin
Sur le mur du déshonneur des formules appréciatives (ou dépréciatives) toutes faites, une expression en particulier pour témoigner de l’aversion d’un spectateur mécontent me paraît exceptionnellement méprisable : « un film qui ne passera pas à l’histoire ». Il ne faut pas y voir un reproche de ma part quant à la véridicité commune de son usage, car inévitablement, des pelletés de productions au battage publicitaire agressif quitteront la mémoire du grand public à peine un an après leur sortie en salles. Il ne faut pas non plus m’attribuer un manque d’éloges quant aux films incitant leurs fanas à clamer un statut de classique instantané, même si j’hésite souvent avant de brandir tel encensement - à cet effet, le passage des années est le meilleur magistrat qui soit. Non, c’est plutôt l’abord terriblement réducteur de la fonction de toutes les oeuvres cinématographiques dans lesquelles telle flèche se plante qui me contrarie ; une logique infiniment fourbe qui entendrait que la mission de chaque projet est de lithographier son passage à tout prix, de cimenter sa raison d’être en surpassant tous ses prédécesseurs similaires. Je propose la remise en question de cette expression raboteuse pour la simple raison qu’un spectateur en particulier de Youth in Revolt aura cru bon de réduire tout son jugement à ce simple énoncé (traduction libre ici) : « Bien que drôle par moments, [le film de Miguel Arteta] ne dispose cependant de rien pour passer à l’histoire ».
À cet égard, n’importe qui ayant vu le film en question pourrait attribuer un joli petit collant d’étoile à ce commentateur peu éclairé : Youth in Revolt ne dispose en effet de rien qui lui permettra de vraiment passer à l’histoire, malgré les intentions assurément honnêtes de ses créateurs. Adaptée de la trilogie Youth in Revolt : The Journals of Nick Twisp de C.D. Payne, cette histoire immensément familière sur l’éveil sexuel d’un adolescent aliéné par son entourage ignare (donc naturellement en quête de la perte de sa virginité) fait écho aux classes entières de teen movies ayant déjà relaté les découvertes et périls de la puberté, certains avec souplesse (The Sure Thing, Fast Times at Ridgemont High et le catalogue de John Hughes, pour n’en nommer que quelques-uns) et d’autres non (les American Pie, EuroTrip et Sex Drive de ce monde). La route est donc pavée pour cet amusant Youth in Revolt qui, malgré la citation de The Graduate par son réalisateur comme référence, ne prétend aucunement retravailler les cordages du genre.
Nick Twisp (Michael Cera), 16 ans, semble être le seul à chérir la prose et Frank Sinatra dans son petit univers du Midwest où ses parents divorcés (Jean Smart et Steve Buscemi) et son entourage grossier lui font constamment envier une existence autre que la sienne. La rencontre de Sheeni Saunders (la nouvelle venue Portia Doubleday), cultivée et ravissante fille de parents religieux conservateurs, attisera en lui une volonté de séduction contenue depuis beaucoup trop longtemps - tactiques de charme auxquelles Sheeni sera, contre toute attente, très réceptive. Quand les circonstances les mèneront à leur séparation (le scénario typique de la fille à papa expédiée au couvent à la fin de son amourette d’été), Nick s’inventera un dangereux alter ego à la fine moustache, le « Belmondoesque » François Dillinger, pour manoeuvrer un plan de rébellion ayant pour but de les réunir loin de leur Michigan natal et de ses idiots leur mettant constamment des bâtons dans les roues.
On retrouve un certain quelque chose dans la construction de ce Youth in Revolt - et je ne serais trop en mesure de l’identifier distinctement - qui rend son visionnement intégralement sympathique, même lorsque son débit s’apaise. Il s’agit peut-être de son déroulement très épisodique, dans lequel les ficelles de l’intrigue sont souvent visibles, mais presque jamais agaçantes. Il s’agit peut-être du fait que l’intérêt romantique de Nick est déjà conquis à la fin du premier acte et que le dépucelage tant convoité devienne l’objectif ultime du récit d’une façon qui rend justice aux personnages et à leur réalité plutôt que de servir les mêmes desseins libidineux usés (« obtiens la fille, et tes problèmes disparaîtront avant le générique »). Il s’agit peut-être d’une foule d’autres détails, comme ces quatre petites séquences d’animation qui surgissent ici et là, la bande sonore au timing musical impeccable, ou encore le fait qu’un rire efficient bondisse juste aux moments où l’on croit presque à un affaissement comique prolongé. Peu importe lequel de ces éléments détient la main haute, leur amalgame en vient à composer un émule dynamique et occasionnellement sensible d’une chronique de l’âge adolescent déjà bien connue : celle de cette jeunesse à l’intellect marginal, autant soumise à ses désirs charnels qu’à la masse à laquelle elle refuse de s’associer, qui serait prête à causer un bordel impensable (et digne des pires abrutis avec lesquels elle contraste pourtant si fortement) pour assouvir ses pulsions physiques et affectives.
N’eut été de quelques délits scénaristiques communs, Youth in Revolt aurait presque pu faire concurrence à la ligue du délirant Superbad, film partageant également sa vedette. Adapté de la page à l’écran par Gustin Nash, celui-ci s’étant déjà tiré d’affaire avec le correct Charlie Bartlett, l’ensemble souffre d’une inconsistance un peu bébête au niveau de son éventail de personnages, où certains résonnent avec l’authenticité de véritables être humains (Nick lui-même, ses parents et Sheeni) alors que d’autres semblent posséder la consistance du polystyrène (par exemple le caricatural Vijay, compagnon de route improvisé de Nick, ou Taggarty, nymphette partageant la chambre du dortoir au collège pieux de Sheeni). L’interaction de figures tridimensionnelles avec des rôles dont la seule fonction semble être de livrer ici et là une réplique galvanisante ou un tournant de situation n’épargne malheureusement pas Youth in Revolt du malaise imprévu. Hésitant entre les gags d’observation fuselés et l’humour gros comme ça, la tonalité parfois imprécise du long-métrage envoie plusieurs acteurs de talent jouer dans un entre-deux vacillant et inconfortable, les deux exemples les plus saillants prenant la forme de Ray Liotta et Fred Willard. C’est une inadvertance que l’on ne saurait cependant attribuer au toujours aussi alerte Michael Cera, manifestement devenu l’icône hollywoodienne du jeunot déconcerté à la répartie hésitante, avec tout le talent de rigueur pour mériter telle étiquette. Le rôle de Nick Twisp lui procure deux emblèmes archiconnsu à assortir avec son énergie coutumière, ce qu’il fait avec ruse, intelligence ainsi que des indications d’une maturation évidente depuis ses derniers grands succès.
Peut-être que les admirateurs des romans d’origine célébreront le sang-froid et l’acuité des constatations sur l'excitation hormonale qui sont bien palpables dans ce saut au grand écran ; peut-être qu’ils rejetteront le tout pour ses quelques facilités et penchants occasionnels de « film pour ados ». Le produit fini, sans donner aux novices comme moi l’envie de dévorer les trois ouvrages relatant ces épisodes dans la vie de Nick Twisp, laisse présager une série aussi drôle que criante de vérité dans son commentaire sur la condition adolescente. Qu’il serait donc trivial de refuser les petits enivrements que suscite cette adaptation des livres de C.D. Payne, même si elle ne franchit pas grand sentier battu et que le public blasé du mois de janvier vers lequel elle est catapultée ne risque pas de créer de grosses vagues aux alentours. Qu'importe : les ambitions étaient modestes, les cibles sont atteintes. Comme on dit, les pensées pertinentes valent toujours la peine d’être répétées. Transcendance ou pas, un bon film demeure un bon film, n'est-ce pas?
Critique publiée le 8 janvier 2010.