Interrogation clé de ce Maria du réalisateur Pablo Larraín, spécialiste du biopic (Neruda, Jackie, Spencer...) : le sujet du film est-il vraiment Maria Callas ou plutôt Angelina Jolie se faisant caméléon pour devenir la plus crédible possible en Maria Callas ?
Il est à craindre que Maestro, de et avec Bradley Cooper dans la peau de Leonard Bernstein, qui ne donnait pas la moindre envie d’écouter une note composée par « Lenny », ait ouvert la porte à un nouveau genre à la croisée du cinéma et de la musique : le film esthétisant, où le mimétisme et la reproduction animée de scènes documentées en images fixes ou mouvantes tiennent lieu d’art et de projet artistique.
Malgré un certain biais (un scénario trop centré sur la relation conjugale du chef, minée par son homosexualité), Maestro s’en tirait par l’abattage de Bradley Cooper, le caractère vibrionnant de Bernstein et une esthétique attachante avec une habile utilisation du noir et blanc et de la couleur. Dépourvu de scénario convaincant, perclus de raccourcis, invraisemblances et facilités, dégoulinant de dominantes sépia-jaunâtres, le film Maria se réduit peu ou prou à une virtuose séquence d’ouverture où Angelina Jolie se fond dans le personnage de Callas dans des images iconiques. Celle-ci prélude à un film qui semble tourné par une équipe du magazine Vogue accrochée au beau profil de la star autour de laquelle la caméra butine dans de beaux décors.
Quant au scénario, qui relate la dernière semaine de vie de Callas, il se résume à une obsession (Onassis m’aimait-il davantage que JFK ?), à de grotesques déménagements de piano et des prises massives de pilules qui donnent lieu à des hallucinations. Ici intervient une idée narrative qui jalonne le récit : un reporter fantôme, du nom de Mandrax, celui-là même du médicament, qui fait des entrevues de Callas en ne lui tendant jamais le micro.
Les flash-backs ont des vertus miraculeuses ou révélatrices : on perçoit qu’entre 18 ans en Grèce et l’âge « adulte » Maria a pris 10 cm. Certes on savait que Callas avait maigri pour se conformer à des canons de beauté, mais on découvre donc qu’elle avait grandi ! Autre grande invention : à chaque fois qu’elle est montrée dans un spectacle iconique de sa carrière, la plus grande tragédienne scénique de l’art lyrique du XXe siècle apparaît comme une caricaturale potiche, réduite à sa seule fonction d’« organe vocal ».
Ce n’est pas la seule hérésie ou grosse entourloupe de cette gravure animée, qui sert à une actrice à se faire mousser en incarnant une légende. Comme souvent dans les films musicaux ces gens ne travaillent pas leur art : Callas se réveille et balance « Casta Diva » à une domestique aux fourneaux, accessoirement payée pour trouver ça « magnifique ». Sur le chœur à bouches fermées de Madame Butterfly, l’héroïne se fait accuser par le journaliste de mauvaise volonté : « C’est le moment du film où vous devriez chanter ; chantez merde ! » Que peut-on chanter en solo sur le chœur à bouches fermées ? C’est un peu comme si dans un match de hockey on faisait un esclandre en se demandant où est passé le ballon de football.
Maria est un film où Angelina Jolie vit recluse dans ses souvenirs sans voir quiconque, entourée de deux serviteurs (la transparente Alba Rohrwacher et l’attachant Pierfrancesco Favino) et d’un médecin flasque (Vincent Macaigne, digne). Un film où Callas est capable de dire : « Réservez-moi une table au café où on me connait, j’ai envie de me faire aduler. » Tant qu’à faire, le créatif scénariste (Steven Knight) invente même une rencontre avec Kennedy, qui ajouterait bien une prise à son tableau de chasse, mais se fait rembarrer.
La gravure de mode sépia autour de l’adéquation, crédible, Angelina Jolie-Maria Callas prend obsessionnellement le pas sur tant de choses, jusqu’au détail le plus trivial quand le cafetier à Paris joue un disque de Callas avec une étiquette américaine (Columbia) plutôt que française (Voix de son Maître).
On notera le flash-back soigné de la rencontre Onassis-Callas, des scènes sur le bateau et le moment où la diva visite Onassis (formidable Haluk Bilginer, plus vrai que nature pendant tout le film) sur son lit de mort. La scène de trépas de la diva, sur « Vissi d’arte »,est grandiloquente mais efficace. Ce Maria, à l’onirisme souvent ridicule (les scènes où apparaissent chœurs ou orchestres font un peu expérimentation de clips classiques des années 1980), aura pour maigre mais notable avantage d’être parcouru comme un long fleuve par des musiques d’opéra omniprésentes.
Angelina Jolie a incarné Maria Callas. Elle a fait beaucoup d’efforts et pris des cours de chant. Dont acte. La vision de la bande-annonce suffit largement et donne l’idée la plus positive possible de cette « foire à la vanité ».
*
Christophe Huss couvre la musique classique pour Le Devoir depuis 2003. Diplômé en administration des affaires (ESSEC, France), il fut auparavant rédacteur en chef du magazine Répertoire des disques compacts à Paris et vice-président des Cannes Classical Awards. Passionné de radio, de vidéo, de cinéma et de nouvelles technologies, il a été lauréat du Grand Prix du journalisme indépendant de 2016, catégorie « Critique culturelle ».
4 |
envoyer par courriel | imprimer | Tweet |