Au-delà du joual
Par
Jean-François Vandeuren
Outre les frères Hanson, le Slap Shot de George Roy Hill est évidemment beaucoup plus connu pour sa désormais célèbre traduction québécoise que pour ses prouesses visuelles et scénaristiques. Et avec raison… Du moins, jusqu’à un certain point. Car nous devons bien reconnaître la passion et l’enthousiasme débordant que les artisans de chez nous auront mis à l’ouvrage afin de faire la promotion de la très grande diversité de notre joual. Le tout pour une entreprise que ces derniers jugeaient pourtant sans intérêt. La production américaine aura connu par la suite un tel succès à travers la province, gagnant de nouveaux adeptes d’année en année, et ce, même plus de trente ans après sa sortie, que plusieurs la considèrent à présent comme une oeuvre faisant partie intégrante de notre cinéma national. Une consécration qui s’explique, certes, par la grande importance que le film accorde au monde du hockey, mais également par la présence de comédiens québécois comme Yvan Ponton et Yvon Barrette, qui auront eu la chance de donner la réplique à Paul Newman en plus d’aider son personnage à accomplir son travail de démolition sur la glace. Mais au-delà de l’immense valeur humoristique de cet opus se complaisant sans gêne dans la vulgarité, son public a souvent tendance à passer complètement par-dessus un discours dont les considérations vont en soi beaucoup plus loin que l’incertitude face à l’avenir de ces hockeyeurs de second niveau. À l’avant-plan, la présente intrigue rapporte évidemment les manigances de Reggie Dunlop (Newman), le joueur entraîneur des Chiefs de Charlestown cherchant tant bien que mal à sauver sa carrière, ainsi que celle de ses coéquipiers, face à la dissolution imminente de l’organisation. Mais à travers cette prémisse carburant à la bêtise et à la testostérone, Slap Shot adopte un point de vue étonnamment féministe par rapport aux nombreux changements s’effectuant à l’extérieur de la patinoire.
Nous ne nous étonnerons pas d’ailleurs de constater que c’est une femme qui est à l’origine de la présente histoire, en l’occurrence Nancy Dowd, qui écrirait plus tard pour l’émission Saturday Night Live. La scénariste se concentrera d’abord sur la situation on ne peut plus précaire de cette petite ville qui, comme tant d’autres, sera sur le point de perdre son principal employeur. Évidemment, la fermeture de l’usine menacera directement l’existence des Chiefs, qui perdraient automatiquement un public qui n’aurait alors plus les moyens d’assister à leurs matchs, eux qui n’attiraient déjà pas les foules auparavant. C’est au coeur de cette crise que Reggie Dunlop cherchera à faire augmenter la valeur de son club en faisant croire à tout le monde qu’un groupe de retraités de Floride serait intéressé à acquérir la franchise, en plus d’adopter un style de jeu beaucoup plus vicieux tel que popularisé quelques années plus tôt par les fameux « Broad Street Bullies » dans la Ligue Nationale de Hockey. Ce ne sera donc pas un hasard si l’uniforme des derniers adversaires de Charlestown reprendra les couleurs de celui des Flyers de Philadelphie. Cette initiative apparaîtra comme le dernier élan de masculinité brute dans un univers cinématographique où la femme célébrera de plus en plus son indépendance après avoir passé des années dans l’ombre de son mari. Dowd nous introduira ainsi à des femmes ayant trouvé le moyen de s’épanouir suite à un divorce libérateur, et ce, autant sur le plan émotionnel que professionnel. Ce sera une femme qui se révélera être à la tête des Chiefs, tandis que ce seront les hommes qui se retrouveront à la taverne pour regarder un épisode d’un roman-savon au cours d’un après-midi trop tranquille. Ce sera Reggie Dunlop qui fera des pieds et des mains pour ravoir sa Francine alors que celle-ci n’aura plus à endurer les voeux d’un mariage qui ne lui convient plus.
Il serait évidemment absurde de parler de Slap Shot sans glisser quelques mots sur la manière on ne peut plus incisive, et surtout étonnamment habile, dont le film de George Roy Hill s’immisce dans l’univers du hockey (semi-)professionnel. Le présent effort dresse ainsi un portrait particulièrement consistant de la situation dans laquelle se trouvait notre sport national en sol états-unien suite à la première vague d’expansion de la Ligue Nationale de Hockey. C’est d’ailleurs ici que prendront véritablement forme les parallèles entre l’histoire des Chiefs et celle des Flyers. Car l’équipe de Charlestown se forgera elle aussi une nouvelle identité axée sur la bagarre et la robustesse afin de retrouver le chemin de la victoire, mais aussi de reconquérir un public qui, tout comme celui de la ville de l’amour fraternelle, était principalement composé d’ouvriers peu fortunés. Ce microcosme est, certes, dépeint de façon extrêmement caricaturale alors que la bière s’avère ici aussi importante que n’importe quelle pièce d’équipement. Mais cette infiltration au coeur du vestiaire précédant de vingt ans celle que nous offrirait Louis Saïa avec Les Boys possède néanmoins un fond de vérité. Car la chambre (et ce qui l’entoure) demeure un endroit sacré où les inhibitions sont laissées à la porte, où les échanges vulgaires et des plus désopilants abondent en quantité industrielle tandis que le niveau intellectuel du groupe nivelle dangereusement vers le bas. Mais Slap Shot tire également son épingle du jeu sur le plan de la mise en scène alors que Hill et le directeur photo Victor J. Kemper (Dog Day Afternoon) nous proposent certaines des scènes de hockey les mieux orchestrées que le cinéma nous ait offertes jusqu’à maintenant. Le tout grâce à la grande précision de cadres et de travellings au ras la glace traduisant allègrement le rythme effréné des matchs, et ce, sans que la logique visuelle et narrative d’une séquence ne soient jamais sacrifiées au passage.
S’il y a un détail que nous avons d’ailleurs tendance à oublier, c’est que Slap Shot a justement été réalisé par George Roy Hill, cinéaste renommé ayant plus d’une corde à son arc qui avait déjà travaillé avec Paul Newman par le passé à l’occasion des excellents Butch Cassidy and the Sundance Kid et The Sting. Ce n’est donc pas le premier venu qui se retrouva sur la chaise du réalisateur, lui qui aura su mettre en valeur l’humour on ne peut plus grossier du scénario de Nancy Dowd tout en gardant les yeux rivés - d'une façon ou d’une autre - sur les différents changements sociaux étudiés par sa mise en situation. Et c’est ce qui fait en soi la force d’un film comme Slap Shot alors que celui-ci s’avère aussi satisfaisant que digne d’intérêt, et ce, indépendamment du niveau de lecture à partir duquel le spectateur aura bien voulu l’approcher. Le premier contact avec la bête nous octroiera, certes, la comédie grasse regorgeant de répliques aussi cinglantes que mémorables tant convoitée. Mais l’exercice finit également par dévoiler les traits d’un drame social abordant chacune de ses problématiques avec énormément de conviction et conjuguant habilement son portrait de l’évolution des moeurs à celui qu’il dresse de la scène sportive de l’époque. Paul Newman y est aussi pour beaucoup dans le succès de cette entreprise, lui qui offre ici une performance comique absolument délectable en s’imposant de façon naturelle dans une facture étonnamment dramatique sans jamais tomber dans une quelconque forme de cabotinage. Ce dernier est entouré d’une distribution tout aussi dévouée, donnant vie à une panoplie de personnages secondaires inoubliables, dont la célèbre ligne des frères Hanson. C’est ce parfait équilibre entre chacune de ces facettes qui aura fini par faire de Slap Shot une oeuvre culte dont la réputation n’est évidemment plus à faire, mais qui gagne néanmoins toujours à être (re)découverte.
Critique publiée le 7 décembre 2010.