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Alien: Romulus (2024)
Fede Alvarez

Alien pour les nuls

Par Olivier Thibodeau

Étant un grand amateur des xénomorphes de Giger et du cinéma de Fede Álvarez (dont le Evil Dead [2013] et le Don’t Breathe [2016] évoquent pour moi le renouveau d’un cinéma de genre engraissé aux classiques), j’étais particulièrement excité pour le visionnage de Alien: Romulus, septième chapitre de la vénérable série amorcée en 1979 par le réalisateur Ridley Scott. Et bien que j’aie éprouvé beaucoup de plaisir à admirer ce bel objet consensuel, j’ai l’ai trouvé un peu pingre à l’égard des amateur·ice·s inconditionnel·le·s qui, devant un scénario complaisant de nostalgie où l’on se doit néanmoins de tout réexpliquer, doivent se contenter d’un mitraillage incessant de clins d’œil et de ponts chancelants vers différents épisodes précédents, faute d’une nouvelle direction originale. Le résultat est une production superbe à la mise en scène dynamique qui grappille sans cesse des images et des idées aux films antérieurs, évoquant une sorte d’Alien pour les nuls, destiné à énumérer tous les thèmes et les mécanismes de la série à un public de non initié·e·s.

Se déroulant une vingtaine d’années après les événements d’Alien (1979), donc environ trente-cinq ans avant ceux d’Aliens (1986), Romulus débute de façon attendue, avec un travelling sur une station spatiale s’avançant dans l’espace intersidéral. En pénétrant à l’intérieur de la coque, on a l’étrange impression de se retrouver directement chez Scott, à l’occasion d’une séquence où le cockpit se « réveille » qui semble calquée sur l’introduction du film original. Puis en découvrant la distribution de minet·te·s sexy réunie pour l’occasion, on comprend immédiatement l’idée derrière le film : tenter de faire plaisir à tout le monde, en multipliant les références explicites pour les vieux et en déployant des protagonistes d’allure adolescente pour les jeunes, question de renouveler le bassin de fans. Le problème, c’est que les clins d’œil constituent une mince subsistance pour les amateur·ice·s de la première heure, forçant en outre la comparaison avec l’œuvre de cinéastes légendaires comme Scott et James Cameron. Et à ce jeu, Álvarez est perdant à tous les coups, créant des ersatz de séquences plutôt que de développer sa propre signature — ce qu’on aimait d’Evil Dead, ce n’étaient pas les similitudes, mais bien les déviations du matériau d’origine.

Au contraire du film lui-même, le casting, lui, déçoit par son trop grand écart avec le casting original. Bien qu’on apprécie le retour aux considérations prolétaires de Dan O’Bannon (qu’on obtient en focalisant sur un groupe de mineur·euse·s paumé·e·s, exploité·e·s par la Compagnie), force est de constater que les beaux visages de Cailee Spaeny, d’Isabela Merced, de Spike Fearn et de David Jonsson, qui paraît beaucoup plus jeune que ses 31 ans, traduisent très mal l’idée d’une vie d’orphelin·e·s passée à trimer… Surtout que le scénario est exempt de la caractérisation pittoresque des deux premiers films. On s’ennuie donc de Parker (Yaphet Kotto) et de Brett (Harry Dean Stanton), au même titre que de Ripley (Sigourney Weaver), pour leur apparence rugueuse et leurs maniérismes d’ouvriers. Mais on ne s’ennuie pas de Ash (feu Ian Holm, qui réapparait en version synthétique dans le rôle de l’officier scientifique Rook — Rook avant Bishop, elle est bonne, non ?). La vérité, c’est qu’en faisant du film un slasher pour adolescent·e·s, le studio fait de la caractérisation des personnages une arrière-pensée, trahissant plus largement les considérations marxistes qui donnaient aux films dont il s’inspire un semblant de science-fiction, de sorte que la raison commerciale de l’entreprise ne semble jamais vraiment compatible avec sa raison narrative.
 


:: David Jonsson (Andy) [20th Century Studios]


[20th Century Studios]


Devant le manque de vraisemblance et le caractère dérivatif du récit, on se tourne vers les décors somptueux où se déroule l’action pour nous raconter l’histoire. Fruit du savoir-faire des technicien·ne·s hongrois·e·s des studios Origo, que la mise en scène opératique d’Álvarez met allègrement en valeur, l’arrière-plan scénique monumental de la colonie minière, avec son esthétique de misère rétrofuturiste, en dit beaucoup plus sur les conditions de vie des personnages que l’interprétation atone des acteur·ice·s, tandis que le vide oppressant de la station spatiale nous donne à vivre leur angoisse par procuration. Les décors offrent surtout aux protagonistes de grands terrains de jeux où se déploient toutes sortes de péripéties enlevantes impliquant des armées de facehuggers et de xénomorphes, déployées dans des chambres cryogéniques inondées ou des salles d’entreposage, dans des couloirs obstrués de viscosités extraterrestres ou des cages d’ascenseur, au sein d’un film qui se présente avant tout comme une série d’attractions foraines... ou de manèges thématiques. On sent d’ailleurs que le meilleur du scénario est consacré à l’élaboration de ces péripéties, conservant la plupart de ses idées originales pour la fin, à l’occasion d’une excitante séquence de course contre la montre.

Le problème, c’est que ladite séquence est plagiée des autres films, reprenant même directement l’interface de compte à rebours du Alien original. En fait, toute l’histoire se développe exactement de la manière attendue, avec des travailleur·euse·s exploité·e·s qui croisent par inadvertance la créature et qui doivent se heurter aux velléités corporatistes d’un androïde scientifique aligné avec la Compagnie, jusqu’à la destruction in extremis de la créature sur un radeau de sauvetage. Tout le rapport aux androïdes est calqué lui aussi sur les films précédents, avec le casting d’un acteur noir pour appuyer l’idée de l’ostracisme, assimilé au racisme, que les « personnes artificielles » subissent tout au long de la série. Le reste est un genre de courtepointe étrange constituée d’éléments disparates tirés indistinctement des différents titres antérieurs, assimilant l’œuvre à un amalgame de renvois plutôt qu’à une extension véritable de la mythologie alienesque, générant des incohérences narratives pour le simple plaisir de la référence. Et si le caractère grotesque qu’on associe traditionnellement à la plastique des films pâtit un peu du côté lisse de la production, force est d’admettre que l’iconographie sexuelle est plus appuyée que jamais… Les plans de doigts pénétrant dans les orifices de MU/TH/UR, l’ordinateur de bord, et les images de « vulves » dégoulinantes d’acide ont vraiment de quoi laisser perplexe — peut-être s’agit-il d’autres blagues de papas, à l’instar de celles que racontent sans cesse le pauvre « synthétique » Andy pour paraître plus humain…

Au final, s’il demeure parfaitement appréciable comme divertissement estival, Alien: Romulus ne fera pas grand-chose pour la série, évoquant moins un retour aux sources qu’une copie monstrueuse — on se rappellera la salle des clones ratés de Alien Resurrection (1997), et on y reviendra sans doute plus souvent… Le film ne fera peut-être pas grand-chose non plus pour l’œuvre d’Álvarez qui, malgré un bon travail, se retrouve plus que jamais dans l’ombre des grands maîtres, à la solde d’une compagnie tentaculaire dont le message anticorporatiste paraît de plus en plus risible.

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Critique publiée le 16 août 2024.