DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Last Voyage of the Demeter, The (2023)
André Øvredal

Fond de cale et fonds de tiroir

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Notre histoire débute en 1991, sur le plateau du Bram Stoker’s Dracula de Francis Ford Coppola. Bragi Shut Jr. se trouve là un peu par hasard, à l’invitation d’un ami travaillant sur le film. C’est là que l’aspirant scénariste aperçoit pour la première fois la maquette du Demeter, le navire transportant Dracula de la Roumanie jusqu’à Londres. Fasciné par ce qu’il voit, Shut se prend à rêver d’un film entier se déroulant en haute mer ; une sorte de Alien (Ridley Scott, 1979) gothique inspiré par la section du roman de Stoker où le capitaine du Demeter rapporte la décimation de son équipage par une mystérieuse créature. En 2003, Phoenix Pictures achète le scénario de Shut. C’est le réalisateur allemand Robert Schwentke qui est alors engagé pour le tourner. Le projet tombe bientôt à l’eau, pour la première fois de sa longue et pénible existence. Il échouera notamment entre les mains de Marcus Nispel, puis de David Slade, avant d’être repris par Neil Marshall. En date d’aujourd’hui, la page Wikipédia du cinéaste autrichien Stefan Ruzowitzky affirme encore que son prochain projet est The Last Voyage of the Demeter. Jude Law a été pressenti un temps pour y tenir le rôle principal. Il a ensuite été question de le donner à Viggo Mortenssen. Noomi Rapace devait jouer là-dedans, Ben Kingsley aussi. Et ainsi de suite…

Tout ça pour que le film aboutisse ici, abandonné dans l’indifférence générale sur la berge maussade de cette fin d’été 2023 après avoir été complété de peine et de misère par le cinéaste norvégien André Øvredal — à qui l’on doit notamment Troll Hunter (2010) et The Autopsy of Jane Doe (2016). Ce n’est pas un hasard si The Last Voyage of the Demeter a aujourd’hui des petits airs de rescapé d’une autre époque. Il s’agit d’un film dont la genèse remonte littéralement au siècle précédent. On imagine sans peine qu’il aurait pu connaître un succès relatif, dans un monde où le marché de la location en VHS était encore lucratif. Mais dans un contexte de franchises et de plans quinquennaux, cette « petite » production de 45 millions de dollars ne ressemble à rien d’autre dans l’offre estivale actuelle. C’est d’ailleurs presque assez pour la rendre attachante. En théorie, The Last Voyage of the Demeter a même un petit quelque chose d’enthousiasmant. C’est un film d’horreur gothique assez traditionnel et sans prétention particulière, dont la principale ambition est d’être exécuté dans les règles de l’art. On se surprend à lui attribuer des qualités surannées telles qu’une « unité de temps et de lieu », qui lui confèrent au premier coup d’œil une certaine élégance classique. Le problème, c’est que le résultat final est somme toute un peu plate.

Øvredal mérite sans doute une bonne main d’applaudissements pour avoir su mener le navire à bon port. The Last Voyage of the Demeter existe, ce qui relève en soi du miracle lorsque l’on considère son historique tourmenté. Il porte même avec une certaine fierté les stigmates de son anachronisme. Il s’agit d’un film impitoyable, comme il ne s’en fait plus tellement de nos jours à cette échelle. Øvredal assume en effet totalement la cruauté de sa prémisse, aucun personnage n’échappant au triste sort que lui promet ce sombre prélude où les autorités retrouvent l’épave abandonnée du Demeter. Son Dracula est quant à lui une bête sauvage, une présence féroce et inhumaine dont la violence possède une certaine intensité primale. En ce sens, The Last Voyage of the Demeter est un vrai film d’horreur — qui cherche à faire de son antagoniste vampirique une réelle menace et non un quelconque ersatz de superhéros. Le problème, c’est que la mise en scène de Øvredal n’a à peu près qu’un tour et demi dans son sac : baigner l’image dans l’obscurité, réduire la profondeur de champ au strict minimum et éliminer ses protagonistes un à un. La conclusion se contente de baigner le tout dans une couche de brouillard supplémentaire, en guise de clou du spectacle un peu terne.

Cela pourrait peut-être même suffire à nous satisfaire si le film, fidèle à ses origines de fond de tiroir des années 1990, durait environ 95 minutes. Mais, du haut de ses 118 minutes, The Last Voyage of the Demeter vient éventuellement à bout de notre patience et de notre bonne volonté. Le scénario ne contient tout simplement pas la matière nécessaire pour justifier une telle durée, les enjeux narratifs qu’il déploie étant somme toute limités et leur développement réduit au strict minimum. Sur le plan de l’atmosphère, l’ensemble cultive une sorte de médiocrité plaisante. C’est un peu le degré zéro du film d’horreur sur un bateau, avec tout ce que cela implique de matelots barbus, de planches de bois qui craquent et de voiles ensanglantées. L’idée générale est la bonne, mais l’exécution s’avère pour sa part un brin lacunaire. Le résultat est donc suffisamment correct pour qu’on se dise que Øvredal est sur la bonne voie, mais juste assez ennuyeux pour que l’on finisse par jeter un coup d’œil à sa montre tout en poussant un petit soupir de déception. Voici d’ailleurs pourquoi, en tant que critique et spectateur, The Last Voyage of the Demeter me place dans une position étrangement difficile. D’une part, j’aimerais qu’il se fasse plus de films en son genre. Encore faudrait-il, pour cela, que celui-ci génère de l’intérêt et connaisse un certain succès au box-office ; et je ne puis, en toute connaissance de cause, vous recommander ce film spécifique qui est au mieux vaguement correct.

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Critique publiée le 28 août 2023.