Il existe une réalité parallèle dans laquelle Meg 2 : The Trench est la surprise de cette fin d’été 2023. Dans cet autre univers, le cinéaste Ben Wheatley trouve le moyen d’apposer sa signature au film, déjouant les attentes en livrant un divertissement à la fois bête et brillant où la figure du requin géant devient l’analogie du cinéma estival lui-même ou d’un quelconque mal social. Ou peut-être le réalisateur de High-Rise (2015) se contente-t-il de s’amuser avec l’imposant budget mis à sa disposition, proposant un hommage enthousiaste au cinéma de genre dans ce qu’il a de plus simple et efficace. Peut-être infuse-t-il cette production grand public d’une sensibilité esthétique un peu champ gauche, renvoyant à la patine particulière du cinéma des années 1970. Qu’en sais-je ?
Malheureusement, nous ne sommes pas dans cet autre monde et ce film est ce qu’il est : une sorte de néant dans lequel on s’engouffre durant deux heures et duquel on ressort en ayant à peine l’impression d’avoir vu un film. Meg 2 est, tout au plus, une série d’ébauches très vaguement liées les unes aux autres par l’esquisse d’un fil narratif. C’est un espèce de James Bond à rabais lors de sa séquence d’ouverture, puis un film d’exploration sous-marine qui se transforme brièvement en thriller d’action avant de se clore sur le genre de massacre balnéaire auquel nous a habitués le genre du film de poisson tueur. Mais ce n’est jamais vraiment ni l’une, ni l’autre de ces choses puisque le résultat final se contente d’enchaîner mécaniquement ces idées sans jamais les incarner réellement à l’écran.
Aucune de ces pistes n’est, d’ailleurs, mauvaise en soi. Prenez, par exemple, la section du film qui se déroule au cœur d’une exploitation minière située dans les profondeurs d’une fosse océanique. On s’imagine sans peine Wheatley se poser dans ce décor pour nous livrer sa version de DeepStar Six (Sean S. Cunningham, 1989) ou de Leviathan (George P. Cosmatos, 1989), jouant la carte du thriller aquatique claustrophobe. Mais il prend à peine le temps de s’installer dans ce lieu, avant de remonter à la surface pour mettre en scène la prise d’une plateforme maritime par une bande de mercenaires. Une ou deux fusillades s’ensuivent, nos héros font quelques blagues qui tombent à plat puis quelqu’un se fait bouffer tout rond par un gros requin et on se dit que tout ça est peut-être enfin sur le point de se terminer. Ce n’est évidemment pas le cas.
Spécialiste des environnements restreints, Wheatley aurait pu s’amuser avec les contraintes de ces deux espaces. Sa mise en scène affectionne particulièrement les huis clos, les situations tendues où tout le monde est enfermé dans le même endroit avec tout ce qu’il faut pour s’entretuer. On pourrait même avancer qu’il s’agit là de l’essence de son cinéma, réduite à son expression la plus pure dans Free Fire (2016). Mais le scénario de Meg 2 ne lui donne jamais le temps de faire quoi que ce soit de ces situations. Il faut toujours aller ailleurs, tout remballer pour repartir à zéro ; le bolide fonce tout droit, mais le moteur tourne à vide. L’action ne possède aucune substance. Les requins géants sont à peine des protagonistes, dans un film dont ils sont soi-disant l’attraction principale. Les enjeux humains sont bien entendu inexistants.
Même quand le film assume totalement sa propre imbécilité, il n’en tire aucun plaisir. Le dernier acte de ce Meg 2 se déroule littéralement sur « Fun Island », une sorte de plateau en argent sur lequel on sert une bande de touristes insouciants en pâture à nos monstres à grandes dents. C’est ce qui s’approche le plus, dans tout ce ratage, de ce cynisme carnassier auquel Wheatley nous avait habitués auparavant. La caméra se loge dans la gueule de la bête, l'instant d’un plan subjectif où les baigneurs se font happer par celle-ci. C’est à peu près le seul moment du film où Wheatley semble s’être demandé à quel endroit il serait intéressant de placer son objectif. Mais il s’agit à peine d’un clin d’œil, un dernier soupir que pousse l’ensemble avant de se dégonfler définitivement car même cette pièce de résistance manque de méchanceté.
Le plus fâchant, dans tout ça, c’est que ce Meg 2 n’était pas condamné à être si tristement médiocre. Sur papier, l’idée que Ben Wheatley tourne avec beaucoup d’argent un film de gros requin est même vaguement inspirante. Il y a, chez lui, une cruauté en parfaite adéquation avec ce cinéma de chaîne alimentaire et de prédation qui n’a que faire des bons sentiments. On aurait été en droit d’espérer qu’un cinéaste tel que lui ait les coudées franches pour injecter à cette série B boursoufflée une quelconque sensibilité personnelle. Ce qui ressemble le plus à un film de Ben Wheatley, ici, c’est la texture de l’image du générique de clôture. Tout le reste semble avoir été déterminé à l’avance ou charcuté au montage, à un point tel que l’on en vient parfois à se demander si le cinéaste ainsi édenté s’est même pointé au tournage.
La débilité de Meg 2 n’a rien de sincère ou d’enthousiaste. Il ne se dégage de sa surenchère aucune forme de générosité, aucune folie créatrice ou destructrice particulière. Il s’agit, au contraire, d’un film dont l’accomplissement le plus impressionnant est d’avoir su rendre ennuyante une scène où Jason Statham chevauche un jet ski afin de harponner un mégalodon. À une certaine époque, un cinéaste de la trempe de Wheatley aurait sans doute pu tirer son épingle du jeu, faire dérailler la machine et transformer ceci en anomalie réjouissante parmi les blockbusters de la saison. En 2023, on le sent condamné à ne pouvoir tourner qu’une version de Mega Shark Versus Giant Octopus (Jack Perez, 2009) ayant coûté 129 millions de dollars — ce qui est bien sûr vaguement indécent, mais surtout franchement déprimant.
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