Un lourd rideau de théâtre rouge et doré, sur lequel s’inscrit un générique à la police rétro, plante le décor. Pour son 22e long métrage, François Ozon adapte une pièce de boulevard des années 1930 du même nom, écrite par Georges Berr et Louis Verneuil. Après Huit femmes (2001) et Potiche (2010), le prolifique réalisateur fait une nouvelle fois le pari de l’adaptation actualisée d’un théâtre daté, mélangeant humour, kitsch et gros casting. Ozon se pose comme le digne héritier du vaudeville, où mélodrame, histoires de meurtre et critique sociale se mêlent, pour le meilleur et pour le pire.
Ici, lorsque le rideau se lève, le·a spectateur·rice ne découvre pas à proprement parler un plateau de théâtre, mais le jardin d’une villa cossue, d’où s’échappe, affolée, une jeune femme. Cette mise en scène des premières images annonce la couleur pour tout le reste du film : tout sera théâtre, scène et vie se mélangeront jusqu’à saturation. La femme dont on entend les cris et qui s’enfuit est Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz), une jeune actrice qui vient d’être agressée sexuellement par un producteur qui lui avait promis un rôle, à condition qu’elle accepte de devenir sa maîtresse. Échappant de justesse au viol, la jeune actrice retrouve son amie Pauline (Rebecca Marder), avocate comme elle sans le sou, avec qui elle partage un appartement miteux. Alors qu’elle exprime, désespérée, son envie d’en finir face à une existence trop difficile et où le destin des femmes repose sur le bon vouloir et la bestialité des hommes, la sonnette retentit. Pas de doute, nous sommes bien dans la logique théâtrale du rebondissement perpétuel, où les portes claquent et où les surprises s’enchainent, sans toutefois réussir ici à nous étonner. Un inspecteur de police se présente et veut interroger Madeleine : Montferrand, le producteur-agresseur aux allures d’Harvey Weinstein, a été assassiné. Commençant par dire la vérité, la comédienne y voit finalement l’occasion d’une revanche sur son sort de femme et d’actrice et s’accuse du crime : Pauline et Madeleine plaident, d’une même voix, la légitime défense féministe face à un système qui oppresse les femmes. Acquittée par un jury uniquement composé d’hommes, la carrière de Madeleine et de son amie décolle.
Mon crime est marqué par cette volonté de retranscrire une forme de théâtralité populaire, en se concentrant notamment sur les péripéties de l’intrigue policière et en prenant le parti du divertissement pour traiter de sujets graves. Cela se traduit également par une jouissance manifeste des comédien·ne·s, dont on sent le plaisir à prendre part à cette aventure rocambolesque. Les répliques fusent, la diction est maniérée et rien n’est fait pour qu’on y croie. Les performances des deux jeunes comédiennes principales sont à ce titre assez convaincantes, même si le mélange des genres — cinéma et théâtre — atteint assez vite ses limites. Le début du film est enthousiasmant, rythmé, et nous séduit par son entrain : la caméra monte les escaliers en coupe en même temps que les personnages qui enchainent les allées et venues, montrant aux spectateur·rice·s les cloisons d’un décor en carton-pâte assumé. Le film ne prétend pas échapper à cette théâtralité désuète, et choisit de montrer toutes les ficelles, mais voilà, ce qui fonctionne sur scène se traduit ici difficilement sur grand écran, malgré l’énergie communicative et la bonne volonté des interprètes. Les scènes se suivent, mais les portes qui claquent isolent les personnages dans un enchaînement de saynètes, où chaque figure comique assure son rôle, mais où les liaisons et la fluidité manquent. Le comique de situation tombe généralement à côté, comme lors d’une première au théâtre, où tout est bien écrit mais pas assez rodé. Malgré tous les ingrédients présents, l’alchimie tant souhaitée ne prend pas. En résulte un film en demi-teinte, plus intéressant que réussi.
Après, dans des genres et des moyens bien différents, Babylon de Damien Chazelle, The Fabelmans de Steven Spielberg ou encore Empire of Light de Sam Mendes, le film de François Ozon mène lui aussi sa réflexion sur la fabrique du cinéma. Sans afficher les mêmes prétentions que ses collègues américains, il multiplie les mises en abime, de manière ici encore assez inégale selon les scènes. La partie consacrée au procès et à sa préparation est certainement la plus enthousiasmante et jouissive du film : Pauline et Madeleine discutent et réfléchissent aux arguments de la fausse culpabilité. Elles imaginent, avec le juge opportuniste qui mène l’enquête (Fabrice Luchini), l’organisation des assises, décidant elles-mêmes de la mise en scène de leurs personnages. Costumes, texte, posture : rien n’est laissé au hasard par l’avocate, qui prépare son amie à une véritable performance. Le tribunal est le lieu ultime du jeu, où chacun·e est dans son rôle. Le réquisitoire de Pauline n’en est pas moins percutant, en démontrant par A+B la nécessité des femmes à se battre, parfois littéralement, pour survivre.
:: Dany Boon (Palmarède) et Fabrice Luchini (Gustave Rabusset) [Mandarin Cinéma]
:: Nadia Tereskiewicz (Madeleine Verdier), Isabelle Huppert (Odette Chaumette) et Rebecca Marder (Pauline Mauléon) [Mandarin Cinéma]
Allègrement qualifié de « satire post-MeToo » dans la presse, Mon crime pose un regard inattendu sur la sororité et sur la violence des femmes, deux thèmes encore trop souvent considérés comme secondaires et/ou vus pour l’un par le prisme de la concurrence et pour l’autre par celui de la folie. La solidarité entre les deux amies n’est jamais mise à l’épreuve, ni par le succès de l’une ou de l’autre, ni par les hommes. Comme deux alliées, Madeleine et Pauline s’aident et s’accompagnent. Elles mettent en lumière, ici par le mensonge et sur le ton d’une apparente légèreté, le motif de la femme violente, qui a tant fasciné le cinéma. La présence d’Isabelle Huppert n’est pas sans rappeler ses rôles de meurtrières dans les films de Chabrol, La Cérémonie en 1995 et plus directement Violette Nozière en 1978. Le film de François Ozon évoque explicitement cette affaire judiciaire et au procès de cette jeune femme de 18 ans, condamnée en 1934 pour le meurtre de son père, qu’elle accusait d’inceste. Il parsème son film de détails lui faisant référence, comme sa présence aux actualités projetées au cinéma, où le col de fourrure noir porté par Madeleine aux assises, similaire à celui porté par « l’ange noir ». Ainsi, Mon crime explore, en filigrane, les grandes histoires de violence féminine qui scandalisent et effraient une société qui s’est donné tant de peine pour produire des femmes sages pour ne pas dire soumises, et où les hommes ont le monopole du crime. Le titre même du film peut d’ailleurs se lire au prisme d’une réappropriation politique de cette violence : le crime m’appartient, il peut être à moi si je le décide, et j’en fais ce que je veux. Face à l’avocat général qui réclame la peine de mort à titre d’exemple (il faut envoyer un message fort à toutes les femmes qui seraient tentées de voir en la jeune protagoniste un modèle, supprimant ainsi les hommes à tour de bras), le réquisitoire de Pauline récuse l’argument qui naturalise la violence féminine comme expression de leur infériorité maladive, pour l’historiciser et la politiser : « puisque personne ne nous protège, devenons nos propres gardiennes. »
Le film de François Ozon ne manque pas d’idées, plutôt bonnes sur papier, et a le mérite de mettre en lumière le caractère subversif et éminemment politique de la sororité. Alourdi par les contraintes de l’exercice de style, il ne parvient cependant pas tout à fait à nous emporter. A priorienthousiasmant, le dispositif s’avère bancal, inégal d’une scène à l’autre, si bien que le rideau se ferme et le·a spectateur·rice reste malheureusement sur sa faim.
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