Révolution hallucinée
Par
Jean-François Vandeuren
Jusqu’à présent, Romain Gavras se sera surtout fait un nom en misant sur la controverse entourant ses diverses réalisations, apposant sa signature sur des images d’une rare violence dont l’esthétique particulièrement réaliste en aura certainement choqué plus d’un. On pense, entre autres, au vidéoclip que le cinéaste réalisa pour la pièce « Stress » du duo électro français Justice, dans lequel nous suivions les frasques d’une bande de jeunes voyous cherchant visiblement les embrouilles partout où elle passe. L’exploitation d’une telle démarche à l’intérieur d’un médium aussi circonscrit, mais offrant tout de même une liberté de création beaucoup plus grande, ne pouvait évidemment qu’élever les attentes et nourrir la curiosité à savoir ce que l’auteur de concepts aussi percutants serait en mesure d’accomplir à la barre d’un long métrage, où il y a définitivement moins de passe-droits, où le visuel, aussi travaillé puisse-t-il être, se doit d’être au service d’un scénario étoffé et d’une trame narrative articulée. Dans le cas de ce très attendu Notre jour viendra, nous pouvons affirmer que le cinéaste sera au moins parvenu à ériger l’une de ces deux bases avec succès, proposant un parcours pour le moins atypique, mais suffisamment fonctionnel et intrigant, sans toutefois réussir à lui conférer une résonnance particulière ou la densité qui lui aurait véritablement permis de s’imposer comme une oeuvre d’exception. Gavras réussit néanmoins à faire fi de nombre de ces considérations qui, même si leur absence se fait passablement sentir d’un bout à l’autre de ce premier opus, n’amputent pas forcément un spectacle respectant allègrement sa promesse initiale de faire passer son public par toute la gamme des émotions.
Ayant visiblement de la suite dans les idées, Romain Gavras poursuit d’une certaine façon ici ce qu’il avait entamé avec le clip qu’il avait réalisé pour la chanson « Born Free » de M.I.A., dans lequel il rendait hommage au puissant Punishment Park de Peter Watkins, en se portant une fois de plus à la défense de la cause des roux. Le cinéaste nous introduit cette fois-ci à la petite histoire de Rémy (Olivier Barthélémy), un perdant typique ayant toutes les difficultés du monde à se faire respecter, et ce, autant dans la vie de tous les jours qu’à l’intérieur du domicile familial, où sa mère et sa soeur ne se gênent jamais pour lui marcher sur les pieds. Un problème découlant essentiellement du fait que Rémy est tout simplement incapable de prendre sa place parmi les autres. Cette situation sera toutefois appelée à changer lorsque Patrick (Vincent Cassel), un psychologue blasé, s’intéressera subitement au cas de Rémy et semblera bien déterminé à utiliser les grands moyens pour faire sortir son nouvel acolyte de sa coquille. Cet individu extraverti au possible affichant un goût prononcé pour la provocation doublé d’un je-m’en-foutisme on ne peut plus assumé s’avérera évidemment être l’opposé total de Rémy. Les deux êtres s’engageront ensuite dans un périple au cours duquel le mot d’ordre sera de laisser libre cours à ses impulsions comme s’il n’y avait pas de lendemain. Les choses déraperont toutefois lorsque Rémy utilisera cette sensation de puissance et de liberté fraîchement acquise à des fins qui désenchanteront peu à peu Patrick. Une quête identitaire que lui inspirera une publicité ventant les mérites touristiques de l’Irlande et qui persuadera Rémy d’y rejoindre les « siens ».
Ce qui explique principalement la réussite de Notre jour viendra, c’est qu’autant l’ensemble porte bien la signature d’un Romain Gavras aussi incisif que provocateur, laissant ses protagonistes débiter les pires insultes tout en orchestrant avec fougue plusieurs séquences où la tension et le malaise atteignent rapidement leur paroxysme - la fameuse scène du bain tourbillon nous vient immédiatement en tête -, autant le réalisateur ne se gêne pas pour relever lui-même l’absurdité de sa propre prémisse. Ce dernier souligne ainsi avec férocité le ras-le-bol généralisé de ses principaux personnages, et ce, sans jamais faire l’erreur de tenter de conférer un sens plus profond, plus légitime, à leur quête, prenant plutôt ses distances afin d’en souligner abondamment l’aberrance tout comme le ridicule. C’est d’ailleurs à ce niveau que ressort l’une des plus belles surprises du film alors que bien que le réalisateur tienne à entretenir une intensité dramatique devenant particulièrement lourde par moments, Notre jour viendra demeure néanmoins toujours traité sous le sceau de la comédie. Gavras s’aventurera du coup dans des recoins assez sombres tandis que son scénario tournera autour de situations menant bien souvent à l’humiliation d’un des protagonistes (Rémy, la plupart du temps) ou d’un personnage secondaire croisé par le duo en cours de route. Ce sera la froideur d’un monde déshumanisé qui semblera alors mener à ces comportements aussi antipathiques que cruels et gratuits. Une laideur ambiante transpirant à travers les décors tout aussi peu chaleureux d’une ère où la recherche identitaire comme les relations interpersonnelles n’auront jamais semblées aussi floues, parmi lesquels s’imposeront les images répétées des installations rouillées d’une manufacture crachant son feu et sa fumée, principale manifestation extérieure d’un tel phénomène.
L’absence d’un discours un peu plus significatif, qui aurait certainement aidé à cimenter davantage de tels élans, empêche bien évidemment ce premier long métrage d’atteindre les sommets qu’il semblait viser au départ alors que la mise en scène des plus maîtrisées de Romain Gavras suggérera pourtant une telle grandeur jusqu’aux tous derniers instants. Le réalisateur propose en bout de ligne une expérience cinématographique inspirant autant le rire que l’émoi, la désolation et l’inconfort. Il faut dire que Gavras possède définitivement le flair artistique nécessaire pour susciter de tels émotions d’une manière on ne peut plus vive chez le spectateur, enveloppant la laideur aussi bien apparente que latente de son univers filmique d’une facture visuelle aussi crue qu’enivrante. Mais au-delà du parcours pathétique, mais pas totalement irrationnel, des deux principaux personnages, c’est pour l’incroyable performance de Vincent Cassel que nous nous souviendrons le plus en bout de ligne de Notre jour viendra. L’intensité tout comme le caractère particulièrement imprévisible que l’acteur insuffle à son alter ego, situant son jeu entre la désinvolture savamment calculée, une assurance débordante et une vulnérabilité émanant d’un mal être évident, en font définitivement l’une des grandes interprétations de sa carrière. Ainsi, Romain Gavras aura su prouver qu’il n’est pas seulement qu’un maître provocateur, mais qu’il sait aussi comment développer efficacement ses personnages comme les situations rocambolesques et alarmantes dans lesquelles il les plonge continuellement pour que son oeuvre tienne la route du début à la fin. Espérons maintenant que cette assurance et ces idées de grandeur que suggèrent ses images seront mises au service d’un scénario un peu plus abouti lors du prochain tour de piste.
Critique publiée le 25 novembre 2011.