DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Terrifier 2 (2022)
Damien Leone

Mythologies adolescentes

Par Olivier Thibodeau

Damien Leone a passé toute son enfance dans le monde gaiment sordide du cinéma d’horreur gore. C’est d'ailleurs ce que suggèrent le soin et le sérieux extrêmes qu’il porte à son récit ridicule de mime sadique, Art the Clown, croquemitaine générique dont la longue saga (amorcée dans un court métrage de 2011) se poursuit aujourd’hui dans un opus de 138 minutes aux accents mythologiques fortement appuyés. C’est aussi ce que suggère l’énergie maniaque qu’il déploie dans le spectacle complaisant de la profanation des corps, dans cette surenchère guignolesque d’effets gore qui constitue désormais sa marque de commerce, et qui contribue à faire de cette œuvre, et de ses amateurs, de grotesques parodies d’eux-mêmes. Dur, en effet, pour les accrocs du genre (comme moi), rameutés par la promesse d’un film qui, selon la twittosphère, aurait provoqué des haut-le-cœur et des évanouissements chez les spectateurs états-uniens, vendus aux images d’une héroïne à moitié nue que fouette allègrement un bourreau sans âme, de faire abstraction de leur propre désir scopique. C’est donc tout autant la surprenante qualité technique de cet hommage déférent au cinéma d’exploitation des années 80 que sa place de choix dans une sorte d’imaginaire infantile axé sur l’objectification abjecte des corps qui se trouvent garantes de son succès, humble succès dans un cadre modeste que toute perspective féministe ou humaniste aurait tôt fait de mettre en pièces.

La production du film est assez inspirante d’un point de vue esthétique — les éclairages et les décors soignés nous happent d’emblée dans la banlieue crépusculaire de nos cauchemars d’enfants. Étant donné le budget total de 250 000$ (dont une bonne partie est consentie au cachet du lutteur Chris Jericho, qui apparaît brièvement dans un épilogue servant à introduire le Terrifier 3 en préproduction), force est donc d’admirer le travail accompli, particulièrement dans le cas des effets spéciaux. Et même si les performances de la distribution sont souvent lacunaires, ça passe bien dans cet univers si familier, cet univers sans surprise qui vibre au son d’une musique synthwave dégoulinante de nostalgie. Ça passe bien parce que leurs personnages sont moins humains que symboliques, alternativement archétypes hystériques, corps de chair friable ou figures mythiques. Il n’y a rien de substantiel dans leur personnalité, comme il n’y a rien de substantiel dans le scénario, dédié avant tout aux impératifs du spectacle de l’horreur et du processus de mythologisation lourdaud qui vient justifier l’existence (et la pérennité) de ce spectacle.

Le film ne recèle presque rien de nouveau, se contentant du traitement hyperbolique, tout de même imaginatif et minutieux, de divers lieux communs du genre, tel qu’en témoigne son introduction miroir du personnage de Art et de Sienna, la sulfureuse jeune femme élue par le destin pour détruire le monstre. Aperçu dans le sous-sol d’hôpital où on l’avait laissé à la fin du premier épisode, Art s’en donne à cœur joie sur le corps à peine défendant d’un homme en sarreau, dont il détruit le crâne à coups de maillet avant de lui arracher un œil pour le bouffer, et ainsi retrouver son œil perdu (à la façon du monstre de Jeepers Creepers [Victor Salva, 2001]). On le voit ensuite se rendre dans une buanderie pour laver son costume de Pierrot maculé de sang, endroit où il rencontre une adolescente monstrueuse, fruit de son imagination, qui deviendra dès lors son acolyte. On étoffe ainsi ostensiblement le personnage du méchant, qu’on relie ensuite à divers personnages d’une diégèse qui commence étrangement à ressembler aux contrées mythiques d’Haddonfield ou de Elm Street. Mais pour cela, on a aussi besoin d’une héroïne digne d’une affiche, qu’on retrouve dans le personnage de Sienna, la belle cosplayeuse, amatrice de Donjons et Dragons, qu’on nous présente dans sa chambre à l’occasion d’un montage d’action où elle prépare un costume de guerrière sexy (à la Xena), à l’ombre d’un glaive que la caméra fixe avec insistance pour préfigurer son rôle crucial dans l’élimination du méchant clown. Sienna, c’est le fantasme juvénile incarné, au sein d’un film — et d’un univers désormais un peu plus vaste — qui s’apparente à un grand terrain de jeux pour adolescents. 

Leone cherche vraiment à sa faire plaisir ici, jusqu’à réclamer le beurre et l’argent du beurre, en réalisant un film de massacre qui n’est pas qu’un film de massacre et en parant son héroïne virginale d’atours ridiculement révélateurs sous d’abracadabrants prétextes. Dans une surprenante manœuvre scénaristique, on nous apprend en effet que son costume de guerrière sexy est une réplique d’un personnage qu’avait imaginé pour elle son père artiste ! Pas de problème, alors, c’est le costume à papa ! « Your dad would have loved it », ajoute même sa mère autoritaire en la voyant parader à moitié nue dans le salon familial, provoquant un fou rire bien mérité de la part du public. Il faut dire que c’est pratique, les petites tenues de la sorte. Ça permet de bien montrer les stigmates que devra inévitablement subir l’héroïne dans le cadre d’un rite initiatique incontournable, qui s’apparente littéralement ici à un chemin de croix. Dans une allusion messianique on ne peut plus claire, qu’on assortit de divers manifestations surnaturelles biscornues, elle recevra donc de nombreux coups de fouets avant de pouvoir redonner la pareille, exposant ses cuisses dénudées à des lanières de cuir qui viendront y laisser des marques profondes. Voilà en somme une œuvre qui se repaît ici effrontément des aspects les plus douteux de l’horreur gore pour mieux en célébrer l’essence-même, soit l’exploitation pure et simple.

Dur de ne pas reprocher au film les ignominies d’usage, particulièrement la misanthropie latente de ce genre de productions, celle-ci étant grossièrement exacerbée au vu de la mesquinerie extrême de l’antagoniste, dont l’acharnement sur ses victimes dépasse de loin la violence du slasher standard. Il n’y a pourtant ici aucune prétention au réalisme, tout au contraire, et c’est cela qui aide à faire passer la pilule, soit le penchant maniaque du film pour l’excès, pour la démesure, laquelle constitue finalement l’une des principales sources de plaisir pour les spectateurs. Si le monstre s’acharne à ce point sur ses victimes, ce n’est en effet que pour nous, que pour nous offrir le spectacle interminable de leur agonie (et des effets spéciaux décadents que cela implique). S’il laisse l’une de ses victimes ramper jusqu’à son téléphone après l’avoir poignardée, éborgnée, scalpée, démembrée et déveinée, ce n’est donc pas pour lui laisser une chance de survivre, mais bien pour aller chercher de la javel et du sel pour verser sur ses plaies. Le meurtre n’a ici presque aucune valeur utilitaire, dans l’absence de motivations identifiables chez l’antagoniste, autres que la pure méchanceté. Il n’a plus qu’une valeur de spectacle, comme tout le film d’ailleurs, qui multiplie à l’écran les guignoles de fête foraine pour nous rappeler que le cinéma était autrefois une attraction de fête foraine lui aussi. Et qu’il l’est toujours, pour peu qu’on se prête au jeu, pour peu qu’on apprécie la plasticité des corps meurtris, le ballet de l’acharnement sanguinaire et l’esthétique de la laideur. On a même droit, dans un élan ludique qui rappelle A Nightmare on Elm Street (Wes Craven, 1984), à une séquence musicale onirique légèrement cartoonesque où les interprètes de la chanson Clown Café sont abattus à l’aide d’une mitraillette Thompson. Ridicule, mais amusant, à l’instar de toute l’entreprise de Leone.

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Critique publiée le 7 novembre 2022.