Furious Seven (épelé au long, en hommage naïf aux Sept samouraïs) n’était même pas sur nos écrans que d’étranges attentes l’entouraient déjà. D’une part, le suspense engendré par l’enfilade d’une quatrième, cinquième et sixième suite aux qualités pour le moins surprenantes y est pour quelque chose.
Justin Lin revitalisait la franchise dès un
Fast and the Furious: Tokyo Drift (2006) des plus ludiques, lui offrait sa consécration avec l’infiniment musclé
Fast Five (2011), puis dévoilait avec
Furious 6 (2013) l’étendue d’une mythologie et d’une ambition pour le moins saugrenue.
Furious Seven s’annonçait dès lors comme le début d’une nouvelle trilogie et l’événement de l’été 2014 pour tout initié aux plaisirs de cette surprenante franchise automobile.
Le tragique et trop soudain décès de Paul Walker vint cependant jeter de sérieux bâtons dans les roues de la production. Plus étrange encore, le décès de l’acteur de 40 ans vint en quelque sorte consolider certaines des thématiques de la série bien au-delà de l’univers diégétique de plus en plus complexe de celle-ci. Si Lin et son scénariste Chris Morgan redorèrent le blason de la saga d’un peu d’ambition, d’humour et de sérieux, tout en transformant ses enjeux du tout au tout, c’est dans leur exploration acharnée des thèmes de loyauté et de famille qu’ils dotèrent celle-ci de son plus bel atout. Certes, on passe de piètres courses d’Honda Civic modifiées aux cambriolages internationaux défiant toutes les lois de la physique, mais dès
Fast & Furious (2009), la franchise a du pathos à revendre, qui ira jusqu’à transcender l’écran suite au décès de l’acteur.
Car bien qu’on revienne à la franchise pour ses cascades de voitures tout bonnement époustouflantes (alliant démolition à l’ancienne aux moyens numériques du blockbuster contemporain), force est d’admettre que
The Fast and the Furious s’est développé comme toute bonne franchise devrait le faire : avec un souci indéniable d’étoffer ses personnages, de créer des liens forts entre ceux-ci, tout en comblant les attentes les plus farfelues d’un public désirant du carnage véhiculaire de qualité. C’est bel et bien le développement de cette idée du clan Toretto qui donna une dimension supplémentaire au cirque de furieux bolides déployé au fil des 15 ans de la série.
Furious Seven en est l’évidence : autant dire que cette fois, c’est personnel, tant le décès de l’acteur vint exacerber la ferveur des artisans impliqués. «
No more funerals» résonne tôt dans le film, tel une bonne augure. Cette loyauté et dévotion à la famille Toretto et la mémoire de Paul Walker est apparente; toute l’équipe, devant comme derrière la caméra, se dépasse ici pour clore la série avec éclat.
Ceci dit,
Furious Seven n’est pas le film élégiaque qu’il aurait pu être, bien au contraire. On y découvre plutôt une célébration déjantée de la franchise en entier, tel des funérailles célébrées à grands coups de feux d’artifices et de fusil à canon scié. Articulé tel un
greatest hits, livrant tous les racoins géographiques, toutes les thématiques pseudo-chrétiennes, et tous les moments de haute voltige véhiculaire ayant fait le succès de la série, Furious Seven met pour ainsi dire les bouchées doubles, triples, quadruples; Wan et cie s’assurent ainsi qu’on quitte ces personnages avec un sentiment de plénitude et de saturation certaine. Maintenant embarqués dans un scénario de vengeance extravagant, cette dernière aventure conduit Toretto, O’Conner et compagnie de Tokyo à Abu Dhabi, puis de retour au bercail à Los Angeles pour un combat dévastateur entre voitures et drone téléguidé (non, vraiment). Le tout implique par la bande les services secrets américains (représentés par un Kurt Russell bien dégourdi), un ancien assassin britannique (Jason Statham, en vilain exemplaire), un logiciel d’espionnage surpuissant se voulant un amalgame post-Snowden de PRISM, ECHELON, etc., ainsi qu’un mercenaire sud-africain (Djimon Hounsou) employant un expert d’arts martiaux thaïlandais (Tony Jaa) pour le pur plaisir de la chose… Cela va sans dire,
Furious Seven fait dans la surenchère pleinement assumée.
À cet égard, le volet de Wan est plus qu’une succession de séquences toutes plus excessives les unes que les autres : l’auteur de genre boucle également la boucle en s’en donnant à cœur joie, appliquant à son volet l’éthos de série B qui caractérisait les humbles débuts de la série (qu’il s’agisse du film de Rob Cohen, ou celui de John Singleton;
booty shots navrants et gros beats encore au rendez-vous). Tout en gardant les éléments que Lin et Morgan (de retour à la scénarisation) on sût introduire dans les 4 volets précédents, la formule Wan, difficile d’y croire, est plus expressément ludique, plus grandiose, plus «
camp» que celle de Lin. L’ajout à la distribution de Statham, Russell, Jaa et Hounsou, ainsi que de la remarquable championne de MMA Ronda Rousey, y est pour beaucoup, tout comme la façon que Wan a d’enfiler les séquences d’action, ou de tourner les espaces dans lesquels elles se déroulent. Dans l’optique d’une célébration, la formule est évidemment gagnante : si Lin donnait à ses «
action heroes» des airs de super-espions à la James Bond (gadgets automobiles inclus), Wan catapulte Toretto et sa bande dans la sphère des super-héros.
Fast Five demeure le haut point de la franchise, mais ici, l’effet est simplement jubilatoire. Surtout, il s’agit d’une belle façon de rendre hommage aux personnages, qui deviennent par le fait même définitivement plus grands que nature.
Conséquemment, la mise en scène chez Wan est plus agressivement stylisée que celle de Lin. Si tout bougeait, chez Lin, en parfait accord au vocabulaire du cinéma d’action contemporain, Wan y ajoute une certaine griffe propre au cinéma de genre tape-à-l’œil : le film bénéficie d’un dynamisme exalté, passant autant par des mouvements de caméras incessants (zooms vieillots, tournoiements à la Michael Bay, cadrages expressionnistes) que par les couleurs saturées qu’on a déjà pu voir ailleurs dans son cinéma :
Death Sentence (2007; cité directement à plusieurs endroits),
Dead Silence (2007), ou bien
Insidious (2011). Les scènes d’action, de combats et de destruction s’échelonnent sur plusieurs espaces, et plusieurs revirements successifs, et Wan montre sa maîtrise des lieux clos, comme des grandes routes infinies, ainsi que la limpidité avec laquelle il peut communiquer le désordre et le chaos. Chaque personnage a son moment, son combat, son vilain dédoublement (Diesel/Statham, Walker/Jaa, Rodriguez/Rousey, etc.) et le tout est fait dans le plus complet respect des règles de l’art : tout cynisme ou second degré est mis de côté au profit d’une franche efficacité.
Et puis, aussi subtilement que tout le reste (c'est-à-dire pas du tout),
Furious Seven se permet un écart, brise le 4e mur pour rétablir ce rapport personnel à l’ensemble, cette loyauté à la famille au cœur de la série. Ainsi, on se retrouve à dire adieu non seulement à des personnages, mais aussi aux acteurs dont ils sont indissociables. Sans en dire plus, le rapport est étrange, le pari risqué, mais réussi. Avec
Furious Seven, Wan, Morgan, Diesel et le reste de l’équipe relèvent leur pari, honorent leur collègue décédé. Après tout, quelle meilleure façon de rendre hommage que de se lancer, cœur et âme, dans ce que l’on fait de mieux?