Fidèle à son titre,
Chorus cherche avant tout à éviter la discorde. Misant sur un sujet d’actualité à l’impact éprouvé, il recourt ainsi à un scénario d’une banalité exemplaire, tissu de situations et de dialogues passe-partout visant à manipuler un auditoire gavé de faits divers plutôt qu’à générer un affect véritable. Comble du malheur, il subordonne du coup le raffinement de sa mise en scène à la grossièreté des dialogues, troquant mesquinement le pouvoir évocateur d’images somptueuses contre la nature catégorique de monologues en voix off qui, plutôt que de compléter celles-ci, se bornent à la redite, transformant la perspective d’un puissant drame vécu en simple drame narré.
Irène (
Fanny Mallette) et Christophe (
Sébastien Ricard) sont les parents du jeune Hugo, disparu il y a dix ans dans des circonstances mystérieuses. Depuis lors, ils ont dépéri jusqu’au dessèchement total, apparaissant devant nous tels deux zombies désemparés, mus seulement par leur fonction narrative d’apitoiement des masses. Tandis que lui a trouvé son salut dans l’ailleurs, vivant de besognes journalières dans un hameau mexicain, elle partage maintenant sa vie entre son métier de choriste et ses soirées solitaires devant la télé, sortant de sa torpeur sporadiquement à l’occasion de prises de bec usitées avec sa mère éplorée. Étrangement, l’élément déclencheur du récit se produit lors du premier plan, avant même l’introduction des protagonistes. On apprend alors que leur enfant a été victime d’un pédophile repentant, lequel livre son témoignage à un enquêteur de police lors d’une scène simple et captivante qui n’aura finalement d’autre mérite que d’amorcer la descente aux enfers de l’entreprise tout entière. Bientôt mis au fait de cette révélation, le couple est alors forcé de se recueillir auprès des restes d’Hugo, s’épaulant tant bien que mal dans le dur processus du deuil.
Bien qu’il s’agisse d’une séquence inestimable, la scène d’ouverture explique en partie l’échec du film. On y voit une simple porte patiemment cadrée, à travers laquelle apparaît un cinquantenaire ventripotent accompagné d’un gardien de prison. L’homme prend alors place devant un interlocuteur effacé, et lui raconte sa rencontre avec Hugo. La narration est laborieuse et détaillée, si bien qu’on reste pendu à ses lèvres, obnubilé par la perspective d’une révélation sordide capable de nous piquer à vif, et de nourrir le brasier grandissant qui accapare soudain notre cœur. Aussi choquante soit-elle, cette révélation ne parvient malheureusement qu’à sectionner le nœud dramatique du récit, fournissant au spectateur une information privilégiée qui l’empêchera dès lors de partager l’appréhension et l’incertitude des protagonistes, dont le drame n’est pas seulement vécu à froid tout au long du récit, mais contraint à la nature frigorifique de monologues impersonnels platement réchauffés pour sustenter le spectateur de manière la plus économique possible.
En repoussant l’action du film dix ans après le drame, se limitant à un seul flash-back inclus pour la forme,
François Delisle fait le choix conscient d’extraire l’humanité de ses protagonistes, s’efforçant plutôt de représenter la froideur absolue de leur existence. Pour ce faire, il cultive un somptueux vide scénique, canevas idéal pour l’esquisse de ses héros désemparés dont la limpidité est malheureusement compromise par un excès de fioritures. Outre les lancinantes voix off, on note ainsi la présence abrasive de nombreuses images surdéterminées, exhibition de Christophe nu se tortillant interminablement parmi les vagues ou scène de spectacle rock, festival de la chair par le truchement duquel les personnages peuvent finalement espérer réintégrer le monde des vivants. Outre sa simple fonction narrative, cette dernière séquence sert également de vitrine au groupe The Suuns, qu’on plaque ici à la production comme de la verroterie, à l’instar des Pierre Curzi et Geneviève Bujold utilisés dans des rôles archétypiques rien que pour le lustre.
Le comble de l’abstraction dramatique et la plus grande lacune iconographique du film se trouve pourtant dans l’absence presque totale de la victime, incarnée seulement dans quelques photos et dans quelques scènes maladroites où elle sert de banal élément explicatif. Pour le reste, celle-ci n’existe qu’à travers de triviales descriptions physiques et une série d’objets desséchés (herbiers, dessins, ossements...). Une éclairante réflexion à ce sujet est d’ailleurs lancée par Christophe en fin de parcours, lorsqu’il nous livre cette énième perle de verve scénaristique : « Des fois, j’ai l’impression que cet enfant-là a existé juste dans ma tête ». Or, voilà : le jeune garçon, qu’on aurait souhaité apprendre à aimer autant que ses parents, demeure pour nous un objet inaccessible, simple stimulus pavlovien dans un scénario qui en déborde dont le destin funeste fait figure d’entrefilet au sein d’un scabreux tabloïde.
Malgré de bonnes intentions et une solide direction photo,
Chorus constitue finalement une occasion ratée. Non seulement le film ne parvient-il pas à étayer sa prémisse larmoyante, faute de justesse psychologique et poétique, mais il n’arrive pas non plus à individualiser le drame central au-delà des banalités d’usage. Le spectateur ne trouve donc pas grand-chose à se mettre sous la dent, outre une série de magnifiques cartes postales prises sur la plage mexicaine ou dans les rues enneigées de Montréal. Dignes des murs d’un musée, où leur seule qualité évocatrice saurait les mettre en valeur plutôt qu’une lourde et monotone poésie verbale, celles-ci servent finalement le même dessein que les images laissées par Hugo, souvenirs de deux victimes anonymes qui leur deviennent ainsi cruellement subordonnées.