Si le
8 femmes de
François Ozon s’imposait davantage comme un simple exercice de style qu’une véritable tendance dans la filmographie de son auteur, le spectateur moyen semble néanmoins continuer de n’associer la griffe du cinéaste français qu’aux élans kitsch de son opus de 2002. Un phénomène tout de même assez étrange, puisque même si l’effort témoignait bien des préoccupations du cinéma d’Ozon, ce dernier a l’habitude d’aborder celles-ci d’une manière beaucoup plus directe et contemporaine. Nous comprenons ainsi que le présent
Potiche ait pu titiller la curiosité des cinéphiles qui avaient été séduits par ce «
whodunit » qui agençait avec une certaine dextérité ses accents rétros à une mise en scène résolument théâtrale dans laquelle surgissaient à intervalle régulier une série de numéros musicaux pour le moins particuliers.
Potiche a d’ailleurs tout pour réjouir ce public qui, dès les premiers instants du film, se délectera en apercevant Suzanne Pujol (Catherine Deneuve) faire son jogging matinal au rythme d’une musique allant de pair avec un générique d’ouverture semblant lui aussi sortir tout droit d’une autre époque. Après un certain temps, Suzanne s’arrêtera pour admirer les animaux de la forêt, tel ce faon sur lequel Ozon braquait sa caméra dans
8 femmes pour donner un premier souffle de vie à son cinquième long métrage. Nous nous retrouvons cette fois-ci en 1977, dans la petite ville de Sainte-Gudule. La vie de Suzanne est tout ce qu’il y a de plus simple, bourgeoise au quotidien trop peu rempli vivant dans l’ombre des opinions de son mari, Robert Pujol (Fabrice Luchini), chef d’entreprise désagréable ne se gênant pas pour tromper son épouse dès qu’il en a l’occasion. Une situation qui sera évidemment appelée à changer et qui donnera l’occasion à Suzanne de prouver à ses proches, et au reste du monde, qu’elle n’est effectivement pas qu’une potiche.
Ainsi, les airs de comédie un peu simplette que semblera d’abord vouloir prendre cette adaptation de la pièce de Pierre Barillet et Jean-Pierre Grédy finiront par laisser la place à un discours social qui, bien qu’assez peu nuancé, se mêlera allègrement aux aspirations cinématographiques de François Ozon. Suite à une grève déclenchée par les travailleurs de sa fabrique de parapluies exigeant de meilleures conditions de travail, Robert se retrouvera en congé forcé, lui qui aura été passablement affaibli par tout le stress ayant découlé de cette situation pour le moins délicate. Une mise à l’écart qui obligera soudainement Suzanne à prendre les rênes de l’entreprise, épaulée par ses enfants (Jérémie Renier et Judith Godrèche) et un ancien amant devenu député communiste de la région (Gérard Depardieu). Les politiques beaucoup plus souples de la mère de famille sembleront faire le plus grand bien à cette compagnie autrefois dirigée d’une main de fer par un Robert antipathique et particulièrement inflexible, ce qui ne sera évidemment pas pour déplaire aux employés. Toute cette histoire se compliquera toutefois le jour où Robert sera apte à reprendre du service. Suzanne étant désormais actionnaire majoritaire, les rôles seront subitement inversés : Robert passera ses journées à la maison à ne pas savoir quoi faire de ses dix doigts tandis que Suzanne poursuivra son bon travail à l’usine. Et c’est véritablement à partir de ce moment qu’Ozon jouera le plus habilement ses cartes, lui qui ne se contentera pas que de rendre hommage à la montée historique des femmes sur l’échiquier social et économique.
Potiche se révélera beaucoup plus perspicace en ne s’en tenant pas qu’à des généralités maintes fois exploités pour alimenter sa trame narrative et en édifiant plutôt un savant labyrinthe formé de jeux de chantage et d’influence qui ébranleront considérablement les relations familiales, amoureuses et professionnelles unissant les nombreux personnages.
Ainsi, les alliés en apparence inébranlables des uns finiront tôt ou tard par servir les intérêts des autres, pour des raisons personnelles ou hors de leur contrôle, résultats d’excès de jeunesse qui n’auraient normalement jamais dû compliquer un tel portrait deux décennies plus tard. Il faut dire que la famille Pujol sera clairement divisée dès le départ en deux clans bien distincts, entre la gauche et la droite, entre une mère et un fils artiste n’ayant que faire de la politique et un père et une fille prête à tout pour servir les intérêts de son mari. S’il aurait ordinairement traité un tel récit d’une manière beaucoup plus tempérée, Ozon insuffle ici une étonnante légèreté à ses élans en laissant paraître dans ses moindres revirements les rudiments d’une comédie ayant davantage à voir avec le théâtre que le septième art. Mais contrairement à
8 femmes, le réalisateur réussit bien cette fois-ci à intégrer l’exercice dans un cadre réellement cinématographique, même si les formes du matériel d’origine font toujours sentir leur présence.
Potiche délaisse ainsi les plans larges et statiques de la pièce filmée de 2002 au profit de cadres beaucoup plus variés et inventifs dans leur composition, lesquels s’enchaînent au rythme d’un montage lui aussi beaucoup plus dynamique. Une vigueur qui s’explique évidemment par le fait que la présente intrigue ne soit pas confinée à l’intérieur d’un seul lieu, Ozon qui, encore là, composera les espaces de son film en interpellant toujours les deux médiums. La mise en scène de
Potiche s’impose du coup comme l’une des plus intéressantes que nous ait proposées le cinéaste français, qui en exploite les éléments kitsch à merveille sans en faire son principal cheval de bataille, en plus d’afficher un contrôle des plus impressionnants sur les rouages d’une histoire qu’il fait continuellement osciller entre le drame et la comédie.
Il serait évidemment quelque peu absurde d’aller jusqu’à dire que François Ozon se réinvente avec son douzième long métrage, qui, malgré une facture esthétique un peu plus extravagante, rejoint bon nombre des bases sur lesquelles le réalisateur aura bâti sa filmographie. Le Français signe en somme une oeuvre qui, même si elle récupère en soi une prémisse que nous pouvons voir à répétition sur les écrans année après année, réussit à rendre les choses suffisamment divertissantes en contournant certaines conventions qui auraient pu en faire un exercice beaucoup plus banal, voire même carrément futile. Ozon se permettra d’ailleurs d’écorcher au passage une solidarité féminine qui fera défaut durant la majeure partie du film, geste pour le moins significatif pour une histoire d’ascension se déroulant à une telle époque. Mais l’une des principales caractéristiques de l’univers de
Potiche demeure néanmoins ses traits on ne peut plus caricaturaux. Un choix de mise en scène qui transparaît essentiellement à travers la personnalité et la façon d’agir des personnages. Dans la peau de ces derniers, les interprètes prennent visiblement un grand plaisir à mettre l’épaule à la roue, eux dont le jeu se situe encore là entre deux mondes, à la recherche d’un équilibre entre les mimiques exagérées propres au théâtre et certaines nuances leur permettant d’être fonctionnels à l’intérieur d’un contexte cinématographique. Nous avons droit, entre autres, à une performance particulièrement sentie de la part d’une Catherine Deneuve incarnant un personnage aussi énergique que sympathique se situant à des lieues des femmes froides et peu commodes qu’elle a l’habitude de camper. Ainsi, avec
Potiche, François Ozon aura su faire plaisir à son public qui attendait un autre film couvrant ses airs sérieux d’une palette de couleurs particulièrement flamboyantes, lui qui aura su tirer profit de chacune de ses qualités de cinéaste pour offrir un spectacle aussi pertinent dans sa forme que dans son propos.