Malgré la personnalité magnétique de la vedette titulaire et le caractère indéniablement intrigant de la prémisse, ce premier film de
Jules Falardeau, fils de Pierre, ne s’avère guère plus qu’un exercice de style, oeuvre tronquée et frustrante qui ne manquera pas de laisser le spectateur sur sa faim. La qualité directe et intimiste de la caméra n’est ici d’aucun secours puisque celle-ci ne parvient jamais à entrer dans le vif du sujet, l’effleurant plutôt d’une manière superficielle et exaspérante. Quant à la surenchère de scènes pittoresques ponctuées d’une pointe d’humour noir parfois délicieuse, elles n’aident pas non plus, car elles ne s’inscrivent jamais dans un tout cohérent, créant au demeurant le portrait désespérément fragmentaire d’un être d’exception qui restera insaisissable jusqu’à la toute fin du récit.
Gaetan Gordon est un jeune homme incroyablement charismatique à la verve intarissable, ex-tôlard rescapé du quartier centre-sud devenu étudiant universitaire avide de littérature. C’est aussi un tueur à gages impitoyable qui discutera ici de son modus operandi avec la même aisance avec laquelle il nous entretiendra des tomates du Québec et de son fétiche pour
L’art de la guerre de Sun Tzu. S’incarnant comme un hybride entre l’assassin philosophe de
Ghost Dog: The Way of the Samurai (1999) et le souriant psychopathe de
C’est arrivé près de chez vous (1992), il nous livrera ici ses moindres impressions à propos de son métier, mais aussi de la vie en général. Il accaparera ainsi l’entièreté de l’écran pour la majorité du film, unique sujet de la caméra de Falardeau et pierre d’assise chancelante d’une oeuvre univoque et maladroite qui ne daignera jamais explorer le monde environnant.
Bien que le discours du protagoniste demeure fascinant du début à la fin, porté par l’enthousiasme débordant d’un jeune acteur d’une virtuosité inespérée, le film se heurte violemment au poids de l’histoire ainsi qu’à sa propre crise de réalisme interne. À ce titre, il est important de noter l’ombre immense que projette le film-phare du genre au-dessus de son humble successeur. Faux documentaire devenu un film culte incontournable depuis sa sortie,
C’est arrivé près de chez vous de Belvaux, Bonzel et Poelvoorde ne manque pas ici de modeler nos attentes, nous préparant ainsi pour une amère déception. On constatera donc vite que la méthodologie du tueur ne fait ici l’objet que de brèves incursions, incursions obligatoires et incongrues qui nous font sourire à défaut de fournir une exploration perspicace du sujet, évoquant avec nostalgie la regrettée leçon de lestage de cadavres fournie si gracieusement par l’exécrable Ben dans le film mentionné plus haut. Pire encore, le fait qu’on évite ici de mettre en scène un seul meurtre, aussi banal ou exsangue soit-il. Cette ennuyeuse omission ne manquera, certes, pas de frustrer les spectateurs avides de sensations fortes intrigués par la prémisse pourtant très évocatrice du film, mais elle se révèle néanmoins comme la pointe de l’iceberg d’une crise de réalisme qui traverse le récit en entier.
Le protagoniste est, certes, un personnage intrigant, mais il ne nous apparaît jamais comme une entité réaliste. Nombreuses de ses répliques semblent en effet trop scénarisées pour la bouche d’un jeune voyou, faisant buter l’interprète sur des termes fleuris qui parviennent ainsi sans cesse à nous extirper d’une diégèse pourtant naturaliste. On notera également l’absence d’attaches relationnelles dans la vie de Gaetan. On ne rencontrera donc jamais la copine dont il discute lors d’une séquence de popote, pas plus que ses comparses étudiants ou ses sombres employeurs, faisant de l’assassin titulaire un être hors du monde, hors du temps, un être humain non pas pour sa capacité à interagir avec les autres, mais seulement pour son discours éditorial sur le monde. Même le caractère profond de l’homme demeurera insaisissable jusqu’à la fin, créature affable dont l’amour pour la violence ne se manifeste que d’une façon enjouée et ludique. Malgré une ouverture tentée in extremis à la toute fin lors d’une scène de saoulerie où ses bas instincts semblent vouloir prendre le dessus, la violence intrinsèque de son art demeure une caractéristique étrangère à sa nature, faute d’un soin particulier affecté au développement véritable de son personnage.
Au final,
Gaetan n’est pas un film désagréable, série presque ininterrompue de scènes pittoresques misant sur le charisme apparemment sans fin de sa vedette, mais il s’agit néanmoins d’une oeuvre inaccomplie, tentative honnête mais humble de Falardeau de s’inscrire au panthéon des auteurs québécois, à la droite d’un père légendaire à l’oeuvre intouchable. Malheureusement, le tout manque cruellement de profondeur, si bien qu’il stagne dans l’univers de la blague juvénile, semblable d’ailleurs au réalisateur lui-même dont la casquette vissée au crâne n’a pas fini de compenser pour la tignasse hirsute du regretté Pierre, réalisateur tout aussi superficiel, mais dont la passion débordante et la prédilection pour la satyre grinçante ont fini par en faire l’un des artisans incontournables de notre cinématographie nationale.