Le vrai du faux ne pouvait nous être proposé à un moment plus opportun, le cinéma québécois attirant de moins en moins les foules, tandis que Vincent Guzzo continue de provoquer l’ire de l’industrie en incitant celle-ci à « produire des films que le public veut voir ». Si nous aurions pu croire, a priori, que le film d’
Émile Gaudreault, tiré de la pièce
Au champ de Mars de Pierre-Michel Tremblay, aborderait dans le même sens que le riche propriétaire de salles, celui-ci s’efforce plutôt de mettre de l’avant un discours moins réactionnaire, et surtout beaucoup plus nuancé. L’exercice ose ainsi aborder la question de front, prenant pour personnage principal Marco Valois (
Stéphane Rousseau), un réalisateur ayant fait fortune en donnant dans la série B à l’Américaine, en plus de placer continuellement sur son parcours des individus ne se gênant pas pour faire part du peu d’intérêt qu’ils portent généralement au cinéma d’ici. Ne cherchant pas simplement à plaider pour la cause du cinéma commercial, Gaudreault, qui a signé certains des divertissements estivaux les plus populaires des dernières années au Québec, tente plutôt ici d’adresser un problème fondamental de l’industrie cinématographique – de même que de la condition – québécoise.
L’essence du discours tenu par Gaudreault et Tremblay repose en soi sur une réplique plutôt bête en apparence, mais pourtant on ne peut plus révélatrice. Éric Lebel (
Mathieu Quesnel), ce soldat souffrant d’un trouble de stress post-traumatique dont l’ambitieux réalisateur désire s’inspirer pour son prochain long métrage, déclarera que le génie du cinéma de Valois repose sur la simple idée d’avoir intégrer des Québécois à une recette typiquement américaine.
Le vrai du faux s’interroge du coup sur le genre d’hommes et de femmes dans lesquels les cinéastes de la Belle Province nous demandent actuellement de nous projeter. Le tout à une époque où les rouages de la toute-puissante machine hollywoodienne repose fondamentalement sur le processus d’identification du public aux différents personnages de fiction qui lui sont présentés. Autrement dit : y a-t-il encore des « héros » dans notre cinéma national? S’il s’avère, certes, de plus en plus difficile de mener « le bon combat », de faire une différence au quotidien, les réalisateurs québécois nous confrontent de plus en plus à des personnages de survivants, de victimes des circonstances, plutôt qu’à des battants dont les gestes permettraient ultimement de changer ne serait-ce qu’un tant soit peu la donne.
Le premier réflexe d’Éric face à la proposition de Marco sera de s’assurer en ce sens que ce dernier ne tourne pas son histoire en un documentaire ennuyant, exigeant plutôt que le réalisateur en tire un film d’action explosif comme il a l’habitude de le faire. L’ancien soldat ayant été confronté à la réalité de la guerre en Afghanistan cherchera ainsi à améliorer son sort par l’entremise du médium cinématographique, lui qui remplacera ultimement l’événement tragique à l’origine de son traumatisme par un acte de bravoure perpétré dans des circonstances beaucoup plus spectaculaires. Chacun des principaux personnages du film de Gaudreault désirera d’ailleurs s’imposer à sa manière comme une figure héroïque, que l’on pense à cette psychiatre (
Julie Le Breton) voulant à tout prix sauver la vie de son patient, où à ce fonctionnaire – un peu trop – conscientisé (
Charles-Alexandre Dubé), bien déterminé à « faire la guerre à la guerre ». De son côté, après avoir mis au monde des personnages de fiction ayant entraîné des conséquences dramatiques dans la réalité, Marco cherchera à renverser la vapeur en partant en quête d’un héros tangible et authentique auquel il pourrait faire faire le chemin inverse.
Le tout permet par la même occasion à Gaudreault de se jouer de la notion de protagoniste au coeur d’un récit se révélant aussi bien le reflet qu’une réflexion sur les rouages du septième art. La distinction entre la réalité et la fiction que présente
Le vrai du faux est d’ailleurs constamment nourrie d’une tragique ironie; Marco s’extasiera devant le potentiel visuel de bâtiments en ruine et d’une région en faillite, tandis que l’incident à l’origine du trouble d’Éric ne sera pas suffisamment abracadabrant au goût de son ancienne amie de coeur. L’ensemble du propos tenu par Gaudreault et Tremblay s’avère ainsi présenté d’une manière étonnamment lucide et cohérente, même si parfois un peu trop appuyée. Mais si
Le vrai du faux met certainement le doigt sur un bobo que nous pouvons difficilement nier ou ignorer, l’essai finit malheureusement par s’égarer à l’intérieur de ses propres obligations de divertissement grand public, prenant ici la forme d’une suite de séquences routinières et maladroites ne possédant pas le souffle nécessaire pour supporter – et enrichir – les ambitions du duo.
Aussi pertinent puisse être le discours, l’expression de celui-ci s’effectue ici par l’entremise d’un périple monotone et peu inventif, plus souvent qu’autrement inefficace sur le plan du drame comme de la comédie. Il y a bien quelques éléments dont nous pouvons certainement nous réjouir, à commencer par le simple fait de voir autant d’importance accordée au propos dans une production où les mécaniques scénaristiques prennent généralement toute la place. Nous pourrions également saluer le retour à la comédie de
Guylaine Tremblay, à qui Gaudreault aura d’ailleurs réservé les moments les plus mémorables de son film.
Le vrai du faux demeure néanmoins une étrange proposition où tout semble évoluer en deux temps, suivant deux lignes de pensée diamétralement opposées. La mise en scène peu inspirée, mais suffisamment fonctionnelle, d’Émile Gaudreault se révèle en ce sens à l’image des performances très inégales d’une distribution campant des personnages caricaturés au possible, mais déjouant en même temps nombre de clichés auxquels ils sont généralement associés.
Au-delà du cinéma,
Le vrai du faux dresse au final un portrait peu emballant d’un monde nous ayant déjà réduit à l’état d’engrenage d’une machine extrêmement bien huilée. La simplicité de la vie loin des grands centres encensée à un certain moment par le fonctionnaire ne se révélera pas le fruit de convictions profondes, mais la conséquence d’années de difficultés financières. Une population n’ayant pas été en mesure de joindre les deux bouts depuis trop longtemps ne pourra que se réjouir de l’arrivée d’une pétrolière albertaine dans sa région. C’est pourquoi la quête du protagoniste ne pouvait que se terminer dans un cul-de-sac. Car il est déjà assez difficile de mener ses propres combats au quotidien. Un tel sens de la répartie et une telle propension à l’autocritique ne sauraient toutefois sauver complètement une production accumulant les maladresses à un rythme aussi effarant.
Le vrai du faux est ainsi continuellement rattrapé par son incapacité à aller au bout de ses convictions, mettant de l’avant plusieurs idées inspirées, mais négligeant leur développement, identifiant clairement nombre de problématiques sociales et cinématographiques, mais laissant à d’autres le soin de trouver des solutions.