Sur
Austerity Blues, pièce maîtresse du plus récent album du Silver Mt. Zion Memorial Orchestra intitulé
Fuck Off Get Free We Pour Light On Everything, on peut entendre le groupe entonner ce refrain : «
Lord let my son live long enough to see that mountain torn down. »
Come Worry With Us! se termine sur cet espoir, fragile mais primordial, que l'avenir peut être meilleur que le présent – que les générations futures hériteront d'un monde qui n'est pas d'emblée condamné. Quiconque étant familier avec la musique de la formation montréalaise saura qu'il s'agit d'un sentiment qui traverse son oeuvre, composée d'odes à la résistance dédiées à ceux qui croient l'apocalypse imminente.
« Venez angoisser avec nous. » Cette invitation lancée par le groupe et la cinéaste
Helene Klodawsky donne le ton au film, qui pose une série de questions fondamentales auxquelles il n'existe pas de réponses simples, plaçant par la même occasion sa démarche sous le signe du doute et de l'inquiétude. Peut-on réconcilier ses croyances personnelles et ses obligations? Vivre dans un monde duquel l'on désire de dissocier? Éviter de reproduire en pratique les modèles auxquels on ne s'était jusqu'alors opposé qu'en théorie? Ici, la famille et le groupe deviennent des modèles réduits de la société – des espaces d'expérimentation où l'utopie confronte le réel.
Car plutôt que le sempiternel documentaire de tournée dans lequel seraient retracés sur le mode emphatique les exploits sur scène d'une formation culte, la réalisatrice nous propose une réflexion ouverte sur la difficulté d'élever un enfant dans un contexte qui n'est pas celui de la famille traditionnelle. C'est en effet le défi auquel font face Efrim Menuck et Jessica Moss, tous deux membres de la formation, qui ont décidé que leur fils Ezra les accompagnerait sur la route malgré les nombreux problèmes qu'implique ce choix pour le moins inhabituel. Ils découvriront, par la même occasion, qu'il est plus difficile que l'on ne pourrait le croire a priori d'éviter de se conformer aux normes établies – en particulier en ce qui a trait aux rôles généralement associés aux deux sexes dans ce contexte précis.
Ainsi, la figure d'Efrim disparaît temporairement du portrait lorsqu'il doit partir en tournée avec son autre groupe Godspeed You! Black Emperor, laissant Jessica seule à la maison où elle doit bien malgré elle remplir la fonction de mère au foyer alors que l'homme travaille pour subvenir aux besoins de sa famille. La résurgence inattendue de cette dichotomie masculin/féminin aura un impact sur l'ensemble du film, qui dès lors sera ponctué d'une série de rencontres entre Jessica et d'autres musiciennes, notamment Matana Roberts et Julie Doiron, avec lesquelles elle discutera de la place qu'occupent les femmes dans cet univers, des tensions qu'exerce ce rôle de mère sur une carrière artistique. C'est d'ailleurs à travers ces échanges que la position de Jessica sur cette question se précisera.
En captant le quotidien d'Efrim et de Jessica, le film de Klodawsky révèle le prix intime des principes et des convictions, l'impact d'un engagement politique et artistique constant sur certaines considérations plus terre à terre. «
This fence around your garden won't keep the sky from falling », chantait le groupe il y a de cela plus de dix ans sur
American Motor Over Smoldered Field. Les craintes qu'articule le Silver Mt. Zion Memorial Orchestra n'ont pas changé depuis. Sauf que, plus que jamais, les membres du groupe semblent avoir compris que c'est ce que l'on fait dans ce jardin qui, éventuellement, empêchera peut-être le ciel de tomber. En ce sens,
Come Worry With Us! s'avère une oeuvre résolument optimiste sur le potentiel des cultures alternatives – ainsi que sur leur capacité à survivre et proliférer. «
We will not sing in your damn parade. »