DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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En solitaire (2013)
Christophe Offenstein

Il chante la terre

Par Jean-François Vandeuren
Lorsque le navigateur Frank Drevil (Guillaume Canet) est incommodé par une blessure, Yann Kermadec (François Cluzet) est aussitôt appelé en renfort pour prendre sa place à la ligne de départ du prestigieux Vendée Globe. À peine quelques jours après le début du long périple autour du monde, le voilier de Yann heurte quelque chose au milieu de l’océan qui endommage considérablement son safran. Ce dernier doit alors retraiter aux Îles Canaries pour effectuer les réparations nécessaires, et être ainsi en mesure de poursuivre la course. De nouveau au large, le skipper découvre que Mano (Samy Seghir), un jeune Mauritanien, a profité de son arrêt pour se faufiler à bord de l’embarcation, croyant à tort que celle-ci se dirigeait vers la France, où il espère rencontrer un docteur pour traiter une grave condition médicale. Conscient que la découverte du passager clandestin le disqualifierait automatiquement Yann prévoit d’abord déposer l’adolescent sur une autre île en cours de route. Une option qui deviendra toutefois de moins en moins envisageable à mesure que Yann rattrapera les autres compétiteurs, et prendra conscience de l’ampleur de la responsabilité humaine dont il hérita bien malgré lui.

Si l’option s’offrait certainement à lui, Christophe Offenstein aura choisi de ne pas confiner son public à l’intérieur de l’embarcation de Yann, répétant plutôt les allers et venues entre le monocoque, les quartiers de l’équipe au sol et les différents lieux où évoluera la relation – d’abord tumultueuse – entre la fille et la nouvelle amie de coeur (Virginie Efira) du navigateur. Le cinéaste relève néanmoins d’une manière suffisamment effective et pertinente la transformation du sentiment d’isolement au coeur d’une époque dominée par les technologies de télécommunication tout comme la charge de travail constante qu’implique la participation à un événement de cette nature. François Cluzet livre à cet égard une performance des plus physiques, lui dont le personnage, dont l’humanité reprendra peu à peu le dessus,  aura d’abord dû se transformer corps et âme en l’engrenage grâce auquel pourraient fonctionner tous les autres. Au-delà d’un recours récurant au plan rapproché et d’un découpage du cadre souvent asphyxiant, c’est un travail colossal au niveau du son qui permet au spectateur d’évoluer aux côtés du protagoniste, cerné par le bruit constant des vagues se heurtant au navire, du vent faisant danser ses voiles, et de toute la mécanique permettant à l’homme de livrer son combat contre une nature n’ayant pas l’habitude de faire de compromis.

Offenstein propose ainsi une relecture intrigante, mais somme toute assez convenue, des grandes lignes du drame sportif en confrontant son protagoniste aux éléments de même qu’à sa propre nature plutôt qu’au reste du peloton – que nous n’apercevrons d’ailleurs que très rarement. La compétition ainsi que le classement final se révéleront subitement on ne peut plus secondaires lorsqu’une navigatrice (Karine Vanasse) sera victime des conditions météorologiques dans ce contexte où le sentiment de contrôle ne tient souvent qu’à un fil – ou une corde, plus précisément. Il sera alors du devoir de Yann de dévier de sa trajectoire pour venir en aide à la jeune femme. Celle-ci sera évidemment la première personne extérieure à prendre connaissance de la situation à bord, elle qui créera alors un pont entre les deux hommes, faisant comprendre à son comparse le véritable sens du tournant qu’a pris son aventure en haute mer. Le cinéaste illustre d’ailleurs l’évolution de la relation entre les deux hommes avec une retenue pour le moins étonnante, partant du fait que Yann demeure un homme essentiellement bon s’étant tout simplement retrouvé coincé entre des responsabilités de nature totalement opposée.

Si le parcours d’En solitaire se révèle en soi des plus engageants, celui-ci laisse néanmoins paraître très rapidement les limites de la démarche privilégiée par Offenstein lorsqu’associée à une telle mise en situation. Il faut dire que le cinéaste donne lui aussi l’impression d’être pris entre deux chaises, cherchant à se démarquer par le biais d’une approche plus tangible, mais ne parvenant guère à conférer ce souffle épique à un récit où la progression des personnages s’effectue toujours de manière extrêmement linéaire, sans surprises ni grands bouleversements. Le recours au montage elliptique s’avère en ce sens aussi logique que problématique, ne nous laissant malheureusement pas la chance d’être confrontés aux impératifs d’un tel engagement avant que ceux-ci ne soient altérés par les événements du récit. La traversée demeure malgré tout aussi captivante que bouleversante, relevant en toute simplicité la grandeur du défi en communiquant à travers chaque plan le choc comme l’union des forces humaine, naturelle et matérielle d’une façon absolument foudroyante. Offenstein n’aurait pu trouver en ce sens de meilleur complice pour prendre la barre de son navire – au sens propre comme figuré – que François Cluzet, l’acteur livrant ici une performance plus vraie que nature en incarnant d’une manière aussi rude et maladroite que profondément bien intentionné cette volonté de poser le geste le plus sensé, le plus humain.

À travers les brèves interactions entre la quinzaine de skippers prenant part à l’événement, il devient vite évident que ceux-ci ne sont en compétition que pour le bien du spectacle, le résultat final important davantage aux membres de l’équipe au sol analysant leur progression jour après jour. La partie plus « sportive » du film de Christophe Offenstein s’interroge du coup sur la notion de victoire dans un contexte où le respect des règlements peut totalement altérer la valeur d’un accomplissement. Une idée que le cinéaste résumera parfaitement en fin de parcours lorsque Yann sera confronté à une ligne d’arrivée on ne peut plus étroite, mais surtout à la réaction du public suite à l’ultime manoeuvre d’un navigateur désormais conscient que personne ne pourra jamais lui enlever ce qu’il aura su réaliser contre vents et marrées. En solitaire tient ainsi ses promesses en n’oubliant jamais la nature de sa proposition et en ne poussant jamais outrancièrement la note sur le plan de la morale pour offrir une épopée menée avec adresse et intelligence d’un point de vue technique, mais n’arrivant malheureusement pas à relever l’essence de même que les convictions de son discours d’une manière réellement transcendante.
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Critique publiée le 23 avril 2014.