DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Sorority Row (2009)
Stewart Hendler

Filles à papa, soeurs de sang

Par Laurence H. Collin
À l’image d’un psychopathe masqué présumé vaincu rouvrant ses paupières tout juste avant le générique de clôture, le slasher est une créature ayant subi autant de chocs fatals que de résurrections inattendues. Après avoir franchi élans de popularité (milieu des années 80, les années « post-Scream ») tout comme périodes de sécheresse, le sous-genre en question fait actuellement l’objet d’un rafistolage plutôt véreux, où il est devenu courant de voir ses plus grands succès (Halloween, Friday the 13th, A Nightmare on Elm Street) avoir droit à leur reprise tout autant qu’une panoplie de titres de la même lignée ayant à peine laissé une empreinte à leur sortie (The Hitcher, The Fog, When a Stranger Calls). Voilà une déclaration n’ayant rien d’exclusif, même pour n’importe quel cinéphile étant vaguement au courant des derniers arrimages du train des remakes de cinéma d’horreur. Le fait que les fondations de Sorority Row soient érigées sur un scénario de 1982 titré Seven Sisters, celui-ci ayant engendré le peu mémorable The House on Sorority Row l’année suivante, ne devrait pas surprendre lui non plus. Que motiverait donc une analyse dans ce produit écartant systématiquement de son public cible les détracteurs du film d’horreur pour ados et n’offrant absolument rien de neuf à ceux qui en sont friands? Étonnamment, il se dégage un plaisir évident des concepteurs derrière le tout dernier ersatz dans la branche des lycéennes ahuries aux prises avec un mystérieux meurtrier. Que ce soit dans son écriture en bon équilibre entre dérision et adoration pour son genre, ou encore dans sa réalisation soignée et confortable avec le second degré, Sorority Row se classe définitivement parmi les plus amusants (ou les moins pénibles, c’est selon) slashers des temps récents. Tout cela, et une performance d’actrice des plus machiavéliques depuis on ne sait trop combien de temps, très maîtrisée, mais flamboyante, comme pratiquement jamais dans un rôle aussi cliché, si usé, que l’on ne pouvait imaginer à ce jour quiconque lui faire prendre vie. Plus maintenant.

Mais voilà que je me devance et que je donne des airs de phénomène à une oeuvre qui ne court pas la moindre chance d’être défendable en tant que « bon film ». Arrêtez-moi si vous avez déjà entendu quelque chose de similaire : les soeurs de la sororité Theta Pi planifient une plaisanterie qui tournera au cauchemar, et devront ensuite vivre avec un secret terrible. Huit mois plus tard, quand un tueur les élimine l’une après l’autre, les collégiennes devront se serrer les coudes pour démasquer l’inconnu avant qu’il ne soit trop tard. Ces soeurs sont Chugs (Margo Harshman), ivrogne de service au langage assez coloré merci, Cassidy (Briana Evigan), honorable brunette de bonne conscience, Jessica (Leah Pipes), tête forte du groupe qui n’ouvre la bouche que pour dire des saloperies, Ellie (Rumer Willis), érudite et poule mouillée, et finalement Claire (Jamie Chung), seule minorité visible de la sororité, et toujours dans l’ombre de son leader. Cinq archétypes purs et durs nous sont donc introduits, dont approximativement un seul d’entre eux (ou deux moitiés, disons) génèrent une sympathie quelconque lorsque le péril prend son envol.

C’est une position qui pourrait devenir problématique en un rien de temps pour n’importe quel « whodunit » privilégiant autant l’interaction de ses personnages, mais Sorority Row est bien conscient du caractère exécrable (et de l'existence déplorable) de la plupart de ses demoiselles, dévoilant même plusieurs moments de curieuse acuité alors que leurs schémas psychologiques sont esquissés. J’y reviendrai. Fourmillant de vacheries du calibre des téléréalités les plus débiles (« You know Cassidy, when you're sarcastic like that, it really makes you sound like a bitch. And nobody likes a bitch. »), les échanges décrochent à plusieurs reprises des rires inattendus. Cet enchaînement de répliques carabinées, surtout lorsque placées en comparaison avec les dialogues somnifères que les prototypes de son genre nous infligent depuis longtemps, contribue largement à l’amusement procuré par le film. Sa tonalité autoréférentielle, enrobage si irritant parmi la fournée de slashers « ironiques » ayant suivi la vague Wes Craven et Kevin Williamson, ne sonne étonnamment pas forcée à travers sa distribution, celle-ci dirigée avec une finesse surprenante quant à sa capacité à savoir quand prendre une ligne à la légère et quand faire croire au désespoir. Même si la panique, les meurtres sanguinolents et la tension dramatique sont bel et bien au rendez-vous, dieu merci, la morosité et le sérieux n’ont pas leur place dans Sorority Row.

C’est au niveau des développements du scénario que, malheureusement, le film de Stewart Hendler ne surpasse guère sa filiation. Ici, il n’est pas seulement question de familiarité - car il faudrait n’avoir jamais vu I Know What You Did Last Summer et ses dizaines de clones ou de parodies pour y distinguer les « emprunts » - mais bien d’un manque de cohérence assez taxant. Sans même aborder la question de sa finale douteuse, voire ratée, la montée dramatique est ponctuée d’épisodes franchement stupides, où même un préadolescent traumatisé par le contenu violent et sexuel de l’ensemble délaisserait momentanément ses frayeurs pour se demander : « d’accord, mais si la corde s’est brisée, comment a-t-elle fait pour sortir du puits? ». Le contraste apparent entre ce côté coriace fort apprécié entourant les personnages et les balourdises que la trame narrative tente de nous passer sous le nez assure tout de même un tout léger en temps morts. Rire d’un film, rire avec le film… tant qu’on en rit. Voilà clairement un énoncé qui, s’il sonne juste à vos oreilles, attestera fort probablement de votre appréciation de Sorority Row.

Un élément central à l'ensemble, cependant, saura certainement rallier autant ses apologistes que ses condamnateurs : Leah Pipes, nouvelle venue au sein des productions à budget confortable, et ici diablement efficace en tant que reine de la ruche. Il suffirait de taper « Leah Pipes steals the show » sur n'importe quel moteur de recherche afin de prouver cette unanimité. Paraissant animée du fantôme de la Nancy Allen de Carrie alors qu’elle matérialise l’une des plus impitoyables garces en proie à un assassin jamais filmées, Pipes semble avoir parfaitement maîtrisé les intonations et le répertoire gestique de la « bitch » traditionnelle. Pour une comédienne ordinaire, le travail se terminerait ici, mais Pipes ne fait que commencer : s’appropriant l’humour du film avec une telle aisance que l’on refuse de ne pas interpréter les dards de son personnage et sa verve comme moyen de défense désespéré, sa composition atteint à plusieurs reprises une intensité choquante alors qu’elle prend en charge le quintet de filles à papa à chaque situation hasardeuse. À cet effet, le commentaire sur la mentalité de groupe effleuré par Sorority Row et livré à travers un monologue très imposant de l'interprète en question pourrait même proposer des réflexions plutôt intéressantes. Dans une situation telle que la farce qui tourne mal du premier acte, qui est vraiment le ou la « coupable »? La défense servie par Jessica pour garder le silence (« This decision affects the rest of our lives. Every job... every relationship we will ever have. People will know. ») a-t-elle sa part de vérité? Et celles qui y étaient réticentes au départ (mais qui ont finit par suivre la majorité) ont-elles aussi tort que les autres?

La réflexion, bien sûr, ne fait absolument pas partie des buts du film de Stewart Hendler. Même lorsque la « fille facile » alcoolique du lot (il faut le mentionner, elle aussi défendue avec un panache surprenant par Margo Harshman) rejette un garçon et le traite instantanément d’homosexuel pour avoir refusé de coucher avec elle, ou encore lorsqu’il est établi que celle-ci trouve qu’il est parfaitement normal de faire des faveurs à son thérapeute pour obtenir Dieu sait quelle pilules, cette introspection des années post-adolescentes ou de l'enfer de la vie de débauche sur un campus étudiant agit bien évidemment comme toile de fond plutôt qu'à titre de substance. Ces instances de clarté, bien rassurantes pour quiconque possède l’oeil attentif, accompagnent néanmoins très bien le plat principal (meurtres inventifs, seins nus et sursauts bien troussés), celui-ci servi sans excès, mais avec un enthousiasme maintenant absent d’un genre depuis longtemps laissé entre les mains du plus navrant détachement entrepreneurial. S’il n’existe aucune façon de convaincre les allergiques au slashers de faire un petit tour à Sorority Row, alors tant pis. De toute façon, mauvaise conclusion mise à part, je ne crois pas qu'il soit possible de formuler un plus solide encouragement pour ceux qui les apprécient. À part peut-être en rajoutant que Carrie Fisher, soit Princesse Leia elle-même, à un certain point du récit, menace le tueur avec un fusil de chasse en hurlant « Come to momma! ». En faut-il vraiment plus?
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Critique publiée le 10 mai 2010.