L’une des séquences phares de
The Raid 2 – l’une, car celles-ci se révèlent vite innombrables – se déploie tranquillement à l’intérieur de la cour d’une prison indonésienne. La pluie battante a réduit le sol en une boue épaisse inutilisable. Lorsqu’une tentative de meurtre se dessine à l’horizon, Rama (
Iko Uwais), un agent double dont la mission consiste à tomber dans les bonnes grâces du détenu ciblé, Uco (
Arifin Putra), fils du gangster le plus redouté de Jakarta, s’interpose au dernier instant pour empêcher l’exécution. S’en suit une bagarre générale d’une violence inouïe entre deux clans de prisonniers et les gardiens du pénitencier, tous se battant et s’agitant comme des bêtes dans cette terre liquide les recouvrant peu à peu, jusqu’à ce que nous ne puissions plus différencier les deux côtés de la loi. Si la scène résume en soi parfaitement l’essence du récit prenant forme sous nos yeux, celle-ci confirme également la place de
Gareth Evans comme nouvelle figure dominante du cinéma d’action. Le réalisateur gallois revient ainsi à la source, maintenant un parfait équilibre entre style et efficacité pure, multipliant les prouesses techniques hallucinantes sans rien enlever au talent de ses interprètes, pour offrir au genre le nouveau souffle qu’il attendait depuis plus d’une décennie.
L’un des rares reproches que nous pouvions adresser à Evans et
The Raid: Redemption, c’était de ne consacrer que le strict minimum d’énergies à la trame dramatique, la majorité de celles-ci ayant été plutôt orientées vers l’élaboration d’une expérience de cinéma d’action viscérale figurant assurément parmi les plus marquantes de mémoire récente. Un manque qui a visiblement été gagné ici alors que le cinéaste nous entraîne au coeur d’une ambitieuse épopée – d’une durée non négligeable de 148 minutes – dans les coulisses du crime organisé indonésien. Un univers où la moindre erreur peut être fatale que Rama acceptera d’infiltrer suite à l’assassinat de son frère par l’organisation du sinistre Bejo. Pour obtenir vengeance et mettre la main au collet de policiers s’étant laissés corrompre par les différents gangsters régnant sur la ville, l’officier de police devra faire tout ce qui est nécessaire pour gravir les échelons à l’intérieur du clan dirigé par le père d’Uco. Les choses se compliqueront toutefois lorsque ce dernier, avide de pouvoir et voulant jouer un rôle plus important au sein de l’empire familial, complotera avec Bejo pour pousser son paternel à déclarer une guerre sanglante à un gang rival japonais.
À l’instar des scénarios les plus classiques tournant autour de l’infiltration d’un défenseur de l’ordre dans le pire des repères criminels, Evans divise habilement le drame de son film entre celui d’un héros cherchant à protéger sa famille et celui du jeune malfrat ambitieux qui finira par s’aventurer trop près du soleil.
The Raid 2 empreinte d’ailleurs une avenue pour le moins surprenante en milieu de parcours en s’éloignant passablement du parcours du héros pour explorer davantage les rouages du bouleversement que cherche à provoquer Bejo. L’adaptation à une nouvelle réalité comme la défense de certaines traditions en viendront du coup à se confondre dans l’esprit de ceux croyant que leur heure de gloire est enfin arrivée. Tout comme dans le premier épisode, Rama se retrouvera rapidement isolé au coeur d’une situation qui le dépasse complètement. Un débordement qui permettra à Evans d’explorer sensiblement les mêmes avenues narratives et émotionnelles que dans l’opus de 2011 tout en défonçant de brillante façon les murs du huis clos. Les sentiments de suffocation et de désespoir sur lesquels reposait
The Raid: Redemption sont ainsi accentués exponentiellement dans cette suite ayant su retravailler et approfondir ses moindres acquis d’une manière aussi méticuleuse que déchaînée.
Évidemment, malgré un scénario aux mécaniques classiques, mais parfaitement huilées, et une étonnante propension à relever le drame des principaux personnages de manière concise et jamais superficielle,
The Raid 2 s’impose avant tout grâce à l’exécution phénoménale de ses scènes de combat sanglantes et d’une extrême violence. Evans cherche, certes, une fois de plus, à communiquer avec le spectateur sur une base essentiellement viscérale et sensorielle, conviant celui-ci à un cinéma de la douleur et de l’endurance en soulignant de façon particulièrement graphique chacune des blessures infligées à ses têtes d’affiche, tandis que s’empileront à leurs pieds les corps meurtris de leurs adversaires. Le cinéaste redonne ainsi ses lettres de noblesse à un genre en perte de vitesse en transcendant l’action pour relier ses moindres effets de style, ses moindres ralentis haletants et gros plans angoissants, à la perception de tout ce qui compose l’environnement entourant le personnage central de chaque scène et à l’appréhension de la suite des événements. Le Gallois se révèle en ce sens un formidable créateur de tension de par la patience et le sens du rythme inouï avec lesquels il déploie chaque acte de ses séquences maîtresses.
L’exercice se révèle d’ailleurs un accomplissement technique et artistique absolument colossal. Nous trimballant cette fois-ci entre la façade la plus crasseuse et la plus luxuriante d’un même univers, la direction artistique vient considérablement amplifier les tensions sous-jacentes de chaque confrontation (physique ou psychologique) en plus d’en exposer clairement les mécaniques hiérarchiques. Le tout vient également renforcer l’aura de personnages aux traits facilement reconnaissables, mis en valeur par l’entremise d’un simple geste, de leur disposition dans le cadre ou de leur façon de dominer, voire de découper, celui-ci. Des qualités s’ajoutant à l’ingéniosité et à la créativité qu’Evans et son équipe auront su déployer au niveau des séquences d’action, elles-mêmes marquées par les chorégraphies hallucinantes imaginées par Yayan Ruhian et Iko Uwais. Ces derniers poursuivent d’une nouvelle façon ce qu’ils avaient entrepris avec
The Raid: Redemption, cherchant continuellement à situer leurs combats dans l’endroit le plus étroit, qu’il s’agisse d’un couloir, d’un cabinet de toilette ou du siège arrière d’une voiture. De son côté, Evans atteint une fois de plus la cible en minimisant les coupures au montage afin de ne jamais dénaturer les prouesses de ses interprètes, se permettant à cet égard quelques plans séquences impeccablement exécutés révélant l’ampleur de ses ambitions.
The Raid 2 possède ainsi toutes les qualités d’une suite parfaite, faisant mieux ce qu’un premier opus prenant désormais la forme d’un simple prologue faisait déjà très bien en soi tout en élargissant un univers qui, jusque-là, avait allègrement pris racine dans une prémisse beaucoup plus restreinte. L’ensemble est d’ailleurs mené avec le plus grand sérieux alors que les conséquences et la fatalité de la tragédie qu’il met en scène se voient soulignées à chaque instant d’une nouvelle façon, conférant à ses archétypes cinématographiques un lustre auquel nous ne pensions plus les voir associés. Au centre de
The Raid 2 se débat donc le corps humain, manifestation suprême de ténacité, de puissance, de fragilité et d’impulsivité que le cinéaste gallois mettra continuellement à rude épreuve, lui faisant subir les pires sévices tout en poussant ses sujets à toujours poursuivre leur route sans jamais regarder en arrière. Le film de Gareth Evans n’a rien d’une mince affaire, accumulant les séquences de marque jusqu’à ce que nous ne puissions plus les dénombrer. Nous arrivons au terme de cette oeuvre majeure du cinéma d’action à bout de souffle, ébranlé et abasourdi. La route aura parfois été sinueuse, mais jamais confuse, jamais éreintante, et surtout jamais banale.