15 080 330, c'est un gros nombre. C’est aussi un nombre impressionnant... Et c’est le nombre de pièces de Lego utilisées pour la création du long-métrage
The Lego Movie. Réalisé par Phil Lord et Chris Miller (la série
Clone High,
Cloudy with a Chance of Meatballs,
21 Jump Street), ce film – même avant ses premières images – nous fait poser de sérieuses questions. Des questions qui ne sont pas intrinsèques à ce dernier, mais qui apparaissent comme étant des plus problématiques...
Dans un premier temps, comment faire un film mettant en vedette une série de jouets? Il est difficile de bien visualiser ce qui pourrait être au cœur d’un film sur les Lego. Ce questionnement a certainement dû travailler l’esprit des deux cinéastes qui ont récemment redéfini les films policiers, les dits «
buddy cop movies », avec leur adaptation de
21 Jump Street. Leur approche étant souvent celle de la parodie, ils jouent avec les stéréotypes et la grammaire d’un genre pour en tirer une nouvelle matière. Le travail de Lord et Miller est exemplaire, s’acharnant sur la conception d’une histoire solide et de son efficacité dramatique. Évidemment, mise à part des exceptions comme la série
Transformers de
Michael Bay ou bien le piètre
Battleship de
Peter Berg, l'univers diégétique d'une série de jouets est aussi vaste qu'il est difficile à prendre au sérieux. En effet, les possibilités sont infinies par le simple fait qu’on peut tout faire avec nos Lego. Outil de création ultime pour les enfants, ils incarnent l'idée même de la naissance. Ceci se traduit en toute liberté pour Lord et Miller qui réussissent à modeler leur histoire à partir de cette idée. Et cette idée, positive et joyeusement naïve, transforme
The Lego Movie en l’un des rares exemples de blockbuster où la simplicité de sa prémisse est un atout, utilisant l’imagination à son plein potentiel tout en ne sous-estimant jamais son auditoire.
À son essence,
The Lego Movie est l’histoire d’un constructeur nommé Emmett (
Chris Pratt) qui découvre un artéfact mystérieux qui l’aidera à sauver son monde. Aidé par Wyldstyle (
Elizabeth Banks) et Vitruvius (
Morgan Freeman), il devra apprendre à devenir plus qu’un simple automate pour vaincre les forces du mal incarnées par Lord Business (
Will Ferrell). Une prémisse simple qui se retrouve au centre d'un grand débat : ce film ne peut-il qu'avoir une seule et unique mission, le marketing?
Autrement dit, est-ce que The Lego Movie est simplement une bien longue annonce publicitaire? On peut facilement accuser ce film d’être un véhicule pour vendre plus de Lego... Et ce serait sans doute une manière assez simpliste de réduire le travail et le défi surmonté par ces deux réalisateurs pour rendre ce long métrage d’animation plus qu’un simple 30 secondes publicitaires étalées sur une centaine de minutes. Comme plusieurs films ou émissions télévisuelles – House of Cards en est un exemple assez récent – où les créateurs se font déjà accuser de n’être qu’un véhicule pour placer différents produits comme Apple, Blackberry, Sony, etc…, ce film a le malheur d'être la mire de plusieurs critiques simplement parce que le nom d’un produit de marque figure dans son titre. De la même manière que la série Hunger Games a procuré plus d’inscriptions à une organisation comme USA Archery, le simple fait d’utiliser des objets du monde réel ne doit pas être nécessairement associé à la mise en marché ou à un gain de capital. D’une même manière, nous sommes maintenant, plus que jamais, conditionnés à voir ce type de comportements. Par contre, cela ne veut pas non plus dire que chaque logo vu est une victoire pour le capitalisme...
À tous les niveaux, la grande force de The Lego Movie est non seulement de ne pas ignorer ces questions d’éthique, mais aussi d’y répondre avec brio. À l’image de ce cinéma jeunesse modelé récemment par Pixar, les créateurs font en sorte que le récit soit parsemé de gags destinés plus spécifiquement aux parents accompagnateurs ; ici, tout se joue sur deux niveaux sans néanmoins gâcher le plaisir de l’un ou de l’autre. Plus spécifiquement, Miller et Lord gagent sur l’idée qu’une histoire simple, mais bien expliquée, avec plusieurs degrés de significations peut laisser une marque positive sur un grand public. N'importe quel enfant n'y verra que du feu, alors que ses parents, tordus de rire face aux mauvaises prononciations de « nail remover » ou bien de « band-aid », y trouvera toujours son compte. Mais au final, ce ne sont pas ces différentes strates qui sont les plus mémorables, mais bien les messages et les émotions véhiculées par ce film qui, elles, s'échaufaudent constamment à l'aide de cet humour ambivalent.
Ici, la vraie faiblesse du film se trouve plutôt dans le traitement de ses personnages féminins. Avec ces deux protagonistes les plus présents (le constructeur et Batman), le film devient par moment rétrograde et rate une belle opportunité de ne pas propager des archétypes plus égalitaires. Wyldstyle – une héroïne forte et directe au début du film – est rapidement réduite à n'être que le désir d’Emmett et tandis que Batman (Will Arnett), lui, l’objectifie sans cesse. Pour sa part, Unikitty (Alison Brie) est peut-être le personnage le plus insultant en incarnant une grossière métaphore du stéréotype de la femme hystérique, bipolaire, tour à tour calme et colérique en un clin d’œil. Il ne faut pas creuser très loin pour voir que The Lego Movie se tire dans le pied en représentant les femmes de cette manière. Ce type de représentation n’est certes pas unique à ce film (l’archétype féminin chez Disney est un exemple phare de niaiserie), mais lorsqu'on souhaite s'extraire de la masse informe des blockbusters, et ce, particulièrement en accrochant les enfants, il y a un certain devoir de montrer l’exemple par le biais d'un film comme celui-ci où, dans un monde de blocs neutres, peut s'instaurer facilement la parité et des idéaux justes pour la prochaine génération... Mais peut-être que je rêve un peu trop.
Finalement, les répercussions d’un film comme The Lego Movie sont multiples. En attendant les imitations médiocres comme – et je spécule ici – Crayola : The Drawing Adventure, on peut se réconforter en se disant que Lord et Miller ont su établir des fondations fortes et un plan de construction assez clair qui donne une lueur d’espoir pour ces prochains efforts hypothétiques. Peut-être qu'après tout, le film de jouets n'était pas que l'affaire de Woody.