(Web) Zombie 2.0
Par
Mathieu Li-Goyette
Ayant fait une sortie peu médiatisée au Festival du Film de Toronto en 2007, le dernier épisode de la saga zombie de Romero a depuis fait beaucoup jaser en Europe. On y retrouve le questionnement à la mode de l'image facétieuse et du cinéma subjectif; l'avènement d'un nouveau ciné-œil cybernétique. Romero est donc encore de la partie. Après le racisme, la consommation, le militarisme et le marxisme social, il précède la vague entamée dans son champ d'action par le gargantuesque Cloverfield, le simple et efficace [Rec], pour s'affirmer au final comme le plus sage et pertinent des cinéastes s'étant penché sur la question. En fait, le sacré maitre de l'horreur semble être parmi les seuls représentants de son art à ne pas être tombé dans le piège de «la mort du cinéma». Bien que l'état d'alerte soit bien utile et serve surtout à donner la rampe de lancement à des oeuvres plus singulières, l'alibi propose surtout de sauver les meubles d'un art en état de crise si médiatisé dans les milieux cinéphiliques que ce sont, au final, les spectateurs qui y perdent au compte. Quelqu'un a déjà entendu l'histoire de l'agneau qui criait au loup? Allez dire à un littéraire que l'écriture est en danger, il vous répondra probablement que si le cinéma se permet un questionnement de la sorte, c'est parce que de sa courte histoire, il cherche encore à assumer des qualités que lui seul, pris dans l'oeil de la tempête, semble incapable de déceler. Et si on manque peut-être un peu tous de confiance pour le futur du cinéma de genre, il fait bon de se rabattre sur l'homme qui ne panique jamais, qui avance les bras en l'air en méditant sur l'avenir que son genre ne lui appartenant plus peut bien encore lui procurer.
Après un Land of the dead intéressant, mais sans plus, Romero revient aux amours de la production indépendante avec un tournage sur le pouce complété en 23 jours. Équipé d'acteurs inconnus et d'un dispositif particulier étant ici la caméra-récit, le cinéaste réussit à mettre en oeuvre tout au long de son road trip macabre une atmosphère chère aux mondes post-apocalyptiques aux bords du gouffre. Comme à l'habitude, les portes de l'Enfer se sont ouvertes pour laisser déferler sur la Terre des mortels pêcheurs (cette fois-ci des agents de la surconsommation médiatique) transformés le temps d'un long-métrage en appâts d'une divine vengeance carnivore. La prémisse de Diary of the Dead agit en mise en abime de son propre mécanisme narratif. Des étudiants tournent un film d'épouvante à l'orée d'une forêt lorsque les morts se mettent à se relever. Aucune épidémie, aucun rituel satanique, les morts-vivants de Romero ont toujours eu cette qualité de n'être qu'un contexte, qu'un paysage à l'analyse de la conscience humaine et cette fois-ci à son interaction avec le milieu des grands médias. Youtube, Facebook, les caméras de téléphones portables, le montage vidéo accessible à tous, bref la facilité de filmer, de façonner et de diffuser une image construite de par le monde semble ici inquiéter notre créateur. C'est par cette lubie technologique que semble s'édifier les grands instants dramatiques de son opus au sourire noir qui offre, au fil de ses 90 minutes, assez de changements d'atmosphères (du rire caricatural à l'effroi toujours efficace) pour mériter à elle seule de discuter du talent de réalisateur rarement démontré de Romero.
On réduit en effet régulièrement ce dernier à des films bien modestes bien que ceux-ci semblent toujours offrir assez de clichés pour justement parvenir à les surmonter. L'arrivée incongru d'un Amish sénile, le professeur mélancolique chassant les morts à coup d'arc ainsi que les adolescents de l'équipe permettant le gag facétieux non loin des stéréotypes du tournage amateur provoquent le rire à répétition. Avec ses stupidités apparentes, il n'y qu'une conclusion possible et c'est que Romero ne s'y prend, pour la première fois de sa carrière, aucunement au sérieux. Soit par dépit face à un débat qu'il juge enfantin (revenons alors à notre histoire du énième questionnement du cinéma) ou soit les contraintes du renouvèlement lui semblait passer par l'auto-dérision hybride. Descendant d'un joyeux compromis entre [Rec] et Shaun of the Dead, le réalisateur y démontre peut-être de la sorte une certaine grandeur à s'offrir un tel champ d'amusement qu'est celui de ses propres monstres. La finale de [Rec] montrait la reporter survivante tirée vers les ténèbres artificielles procurées par l'infra-rouge. À l'opposée, Diary of the Dead se termine par un plan d'une tête de zombie se balançant au bout d'une potence. On dissimule dans la noirceur grâce à l'appareil dans l'un, on donne le cliché choquant effectué en plein jour et permis par un prolongement de cette même aptitude multiforme et flexible qu'est le partage des images dans l'autre. Le fait est, au final, qu'autant le cauchemar des espagnols Balagueró et Plaza existe grâce à la conscience diégétique de l'image, autant le petit bijou de Romero cible cette conscience comme moteur de l'extermination lucide de la race humaine. Peu importe où les étudiants se trouvent, ils ont accès à un suivis de la chute des autres nations, aux vidéos de survivants s'amusant à torturer ces dépouilles animés par divers jeux malsains. La propagation des snuff movies et des images abjectes se répand au grand jour pour permettre enfin à l'imaginaire collectif un défoulement qui n'est plus honteux, qui est au contraire excusé par l'alibi de l'annihilation. C'est un peu tout ça qui dégoute Romero et qui lui permet, chose rarissime, de tracer les origines anthropologiques d'une nouvelle tendance cinématographique.
Ce sont ces vidéos qu'on reçoit dans notre boite de réception montrant un chien mort sous les rails, un extrait du viol d'Irréversible (2002) tristement célèbre grâce au corps meurtrie de Monica Bellucci, c'est aussi le dernier planchiste se fracturant le cou contre une demi-lune de béton. C'est le voyeurisme parfait. Nous sommes à présent dissimulés derrière une fenêtre impossible à briser, sur une cour dont il est impossible de concevoir les limites. Le plaisir coupable de regarder la mort d'autrui et l'expiation à proprement parler des émotions sauvages imposent un rapport entre la réalité et notre personne passant par une relation pornographique avec l'information. Du voir et se savoir non vu du cinéma est devenu le voir et se savoir unique à posséder l'image de façon privilégiée. Si on comprend bien, l'expérience collective se transforme en expérience individuelle, en peepshow du savoir. Rendu capable par ce dispositif auquel nous revenons toujours, Romero a su injecter son film d'un sens particulier du solitaire et c'est pourtant de Diary of the Dead que ses personnages se sont vus permis la plus grande marge de manoeuvre en continent américain. Cernés par les écrans et une caméra dilatant le temps du film au moyen de plan-séquences, Diary of the Dead n'est finalement pas privé de défauts, mais comme quelques rares oeuvres, la densité de l'information proposée par le cinéaste ramène à l'essai, non plus au jugement de l'éclairage ou du traitement musical. Mince cri de mécontentement dans une mer de complaisance, la prophétie qu'annonce ici Romero ne tient en fait qu'au futur des grandes compagnies de blogues et d'engins électroniques; voilà une réalité, à mon avis, bien plus effrayante que quelques morts-vivants lobotomisés.
Critique publiée le 6 février 2009.