Jeff, Who Lives at Home semblera d’abord vouloir recopier textuellement les grandes lignes de la prémisse du précédent opus des frères Duplass, l’excellent
Cyrus. Nous serons ainsi introduits à Jeff (
Jason Segel) qui, comme le titre l’indique, vit toujours dans la cave du domicile familial - malgré ses trente ans - en compagnie de sa mère Sharon (
Susan Sarandon) qui, elle, vit une vie de célibataire endurcie depuis la mort de son mari survenue il y a déjà plusieurs années. Mais les comparaisons entre les deux films s’arrêtent essentiellement ici, même si le présent exercice revisitera à sa manière bon nombre des thèmes abordés par le duo depuis leurs débuts dans le métier. Jeff n’est donc pas un individu entretenant une relation surprotectrice vis-à-vis sa génitrice comme le personnage qu’interprétait
Jonah Hill dans le long métrage de 2010. Le protagoniste fera toutefois part d’une obsession tout aussi excessive pour le
Signs de M. Night Shyamalan et, plus particulièrement, son discours sur la façon dont tous les éléments seraient ultimement connectés les uns aux autres dans l’univers pour orienter la destinée de tous et chacun. Une pensée à laquelle adhérera Jeff suite à un faux numéro qui le lancera sur la piste d’un dénommé Kevin, croyant ferment que cette « erreur qui n’en est pas une » débouchera éventuellement sur quelque chose de plus significatif. Cette quête sans but précis au départ progressera ainsi au fil des coïncidences qui s’enchaîneront dans des circonstances qui, elles, sembleront de moins en moins relever du hasard. Il deviendra toutefois de plus en plus clair que cette aventure improvisée ne concerne peut-être pas tant Jeff plus que son frère Pat (
Ed Helms), dont le mariage bat de l’aile depuis un certain temps.
Ainsi, ce qui constitue le coeur de ce parcours qui, même aux yeux des principaux concernés, semblera un tantinet arrangé avec le gars des vues, ce sont avant tout les liens unissant ces personnages et cette fameuse longueur d’onde sur laquelle tous aimeraient potentiellement se retrouver en compagnie d’un de leurs proches. Il y aura d’abord la relation entre Jeff et son frère qui, de son côté, prétendra entretenir un rapport beaucoup plus concret avec la réalité. Il y aura ensuite celle unissant Pat et son épouse, qui résumera parfaitement le caractère trop souvent unilatéral de leur union lorsque son mari la surprendra dans une chambre d’hôtel avec un autre homme, le questionnant alors à savoir s’il aura fait irruption dans la pièce par peur d’être trompé ou de la perdre. Et il y aura finalement Sharon qui, de son cubicule, recevra tout au long de la journée des messages d’un admirateur anonyme, ces derniers ayant pour leur part déjà plus d’un point en commun et ne devant à présent que se donner la chance d’avancer ensemble dans la même direction. Les deux cinéastes feront d’ailleurs preuve d’une grande habileté dans la façon dont ils articuleront ces différentes trames narratives autour des mécanismes déjà plus qu’apparents de ce récit s’étalant sur quelques heures, au cours desquelles tout semblera se produire pour que certains pots cassés soient enfin réparés et qu’un bonheur perdu depuis trop longtemps puisse fleurir de nouveau. Il n’aura fallu que l’un d’entre eux soit plus attentifs aux signes, aussi insensés puissent-ils paraître, que lui aura envoyés la vie pour que tout finisse par rentrer dans l’ordre, faisant ainsi ressortir cette forte thématique du destin que le duo aura su édifier avec une formidable simplicité.
La démarche visuelle des frères Duplass se révélera étonnamment apte à soutenir les rouages plus qu’inusités de cette histoire pourtant si simple en apparence afin de les rendre pertinents à l’écran. Le ton assez neutre privilégié par le duo sur le plan narratif se nourrira ainsi de la mélancolie émanant du récit comme du vide habitant ses personnages à la recherche d’une source de réconfort ou d’accomplissement, que ce soit dans la stabilité d’une relation, dans l’achat d’une voiture sport, dans cette idée que quelqu’un puisse encore les trouver attirants, ou qu’un schéma prédéfini expliquerait notre présence comme le rôle que nous avons à jouer sur Terre. Une telle approche n’est évidemment pas sans rappeler celle de leur compatriote
Noah Baumbach, reconnu lui aussi pour l’importance qu’il accorde aux rapports qu’entretiennent ses sujets, la façon particulièrement directe dont il livre son discours, et ses mises en scène généralement très sobres, mais surtout d’une grande efficacité dramatique. Quelques zooms rapides et mouvements de caméra plus brusques se fraieront tout de même un chemin à travers ce traitement d’une simplicité extrême pour un scénario qui, d’ordinaire, aurait pu uniquement paraître tiré par les cheveux afin d’appuyer cette notion d’impondérabilité. Le tout dans un ensemble évoluant à un rythme soutenu par la nature posée des événements comme le flux des dialogues propres à ce créneau de la comédie dramatique «
indie » et l’énergie et le charme que leur insufflent les individus se retrouvant à l’avant-scène. Un enchaînement de situations singulières que les deux cinéastes situeront dans un cadre plus imposant où chacun sera appelé à sortir de sa zone de confort pour faire face aux obstacles et accomplir la quête que la vie aura mis sur sa route.
Jeff, Who Lives at Home s’avère ainsi une oeuvre n’ayant aucunement besoin de déplacer énormément d’air pour faire valoir la richesse de ses idées comme l’intelligence de sa mise en images. Les frères Duplass nous offrent du coup une autre production tout ce qu’il y a de plus sentie suivant une cadence bien définie, mais néanmoins flexible, dans un contexte où l’apparente banalité du quotidien se mêlera progressivement à des circonstances aussi farfelues qu’improbables qui, au fond, ne le sont peut-être pas tant que ça. Le duo en viendra bien à justifier l’entêtement aucunement objectif de son protagoniste, qui aura enfin la chance de voir sa destinée s’accomplir sous ses yeux. De la plus simple - et possiblement de la plus effective - des façons, les deux frangins auront su nous convaincre de nous fier davantage à notre instinct dans cette vie marquée par autant de bonnes que de mauvaises décisions, soutenant qu’au final, rien n’arrive jamais pour rien. Le duo aura certainement pu mettre la main sur les deux acteurs idéaux pour mener pareil navire à bon port en Jason Segel et Ed Helms, l’un interprétant la candeur désabusée et l’autre l’excès de confiance flirtant avec l’égoïsme d’une manière aussi attachante que désarmante. Le tout tandis que Susan Sarandon fait des miracles dans un rôle pourtant assez limité.
Jeff, Who Lives at Home possède au bout du compte toutes les caractéristiques d’un petit film parvenant à de grands résultats. Dans un milieu où le mélange de drame et de comédie ne créé pas toujours les effets escomptés, les frères Duplass auront encore trouvé le moyen de tirer leur épingle du jeu en exploitant les mécaniques les plus élémentaires d’un scénario d’une manière inspirée, et surtout totalement assumée.