DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Iron Man 3 (2013)
Shane Black

L'homme au masque de fer

Par Élodie François
En seulement trois jours à l'international, Iron Man 3 aura rapporté la modique somme de 198,4 millions de dollars, ce qui représente 64,5% des recettes totales du week-end. L'année dernière, The Avengers amassait quant à lui 185,1 millions de dollars soit 20,8% des recettes. Si ces chiffres ne reflètent pas la qualité des films, ni même l'appréciation du public, ils trahissent en revanche l'impressionnante stratégie qui est aujourd'hui plus que jamais à l’œuvre dans l'industrie du cinéma américain contemporain : le succès d'un film au box-office commence d'abord par un incroyable battage médiatique. L'opération est symptomatique de la direction vers laquelle tend le cinéma grand public en même temps qu'elle traduit un vaste phénomène sociologique. À titre d'exemple : le dernier opus de la saga Iron Man commence tout juste son marathon en salle, que des images du prochain Captain America (The Winter Soldier) et du mystérieux Guardians of the Galaxy circulent déjà sur la toile. Plus qu'un indice de la stratégie de marchandisation savamment mise au point par Marvel Studios, il point dans tout cela une sévère «geekification» du spectateur.

Que l'on me pardonne ce détour, il m'apparaissait nécessaire à l'énoncé car le cinéma, particulièrement le cinéma grand public, est aussi et surtout une affaire de chiffres. Ce détour, disais-je, nous aura donc permis de souligner l'évidence : Hollywood a trouvé en ce Marvel Cinematic Universe, une arithmétique du hype (ou de la frénésie) qui réconcilie dans une collaboration décomplexée l'art et l'industrie ; des films qui n'ont pas peur d'exposer leurs intérêts mercantiles tout en discourant, souvent intelligemment, sur le cinéma, l'industrie, la société.

Revenons-en donc à Iron Man, car ce que font aussi ces chiffres c'est masquer les véritables qualités des films, leur réel discours, leurs intentions les plus nobles. Or, d'une certaine manière, Iron Man 3 est un film plein de bonnes intentions – même si beaucoup penseront le contraire. Oui, Shane Black et l'armada de producteurs qui l'entoure ont pris certaines libertés quant à l'histoire qu'ils adaptent : un heureux mélange d'Extremis (scénarisé par Warren Ellis, dessiné par Adi Granov, publié en 2005) et du sempiternel affrontement d'Iron Man (Robert Downey Jr.) et de son Némésis, le Mandarin (Ben Kingsley). Non, le résultat est loin d'être celui escompté par les fans, mais en même temps, est-ce qu'un scientifique chinois aux doigts bagués d'armes inexplicablement surpuissantes tirant des lasers à ses ennemis et commandant une armée de dragons aurait trouvé sa place à l'écran ? Peut-être... mais jamais Shane Black n'aurait pu tenir le même discours.

L'attitude un tant soit peu réactionnaire qui préfigure toujours l'insatisfaction devant une adaptation de bande dessinée (d'un roman, d'une pièce, etc.) tend à oublier qu'un important éventail de contraintes modulent nécessairement son texte. Dans le cas du comic book, rappelons que l'impressionnant catalogue de Marvel a principalement été élaboré lors des années miraculeuses de Stan Lee et Jack Kirby, trois ou quatre années au début des années 1960. Depuis, cet univers et son discours n'ont cessé d'être actualisés. Les considérations politiques et sociales ne sont évidemment plus les mêmes aujourd'hui ; l'ennemi de l'Américain n'est plus le «rouge», le Soviet, le Chinois (quoique...) de même que l'ennemi de Captain America n'est plus le nazi (son film à lui en joue d'ailleurs beaucoup). Ici, le discours tenu par Shane Black jouit d'une actualité héritée du 11 septembre, et avant cela du Watergate, à savoir que l'Amérique crée ses propres ennemis et devient, du même ordre, son premier ennemi.

De quels ennemis parlons-nous dans Iron Man 3? D'un côté le Mandarin, un amalgame de Khadafi et Ben Laden incarné avec raffinement par Ben Kingsley, contrôle l'organisation terroriste des Ten Rings (astucieusement placée depuis le tout premier film); de l'autre, des ex-soldats contaminés à l'excès par un savant fou, Aldrich Killian (Guy Pearce), qui les fait littéralement éclater dans le homeland américain comme des kamikazes au Moyen-Orient. Au milieu, une entente qui place Killian dans le rôle du marionnettiste.

Par un tour de passe-passe sacrément culotté, Iron Man 3 joue des images, l'image de l'ennemi, l'image du héros, et ramène la mythologie à hauteur d'homme. Après la conclusion d'Avengers sur une vision apocalyptique du futur et la révélation de l'existence d'un monde au-delà du nôtre, il était certain que l'homme derrière le masque allait perdre pied. Se faisant, le film brise momentanément la dimension mythique que peuvent avoir ces protagonistes au profit d'un développement psychologique qui peut parfois faire défaut dans la bande dessinée. Black saccage donc quelques a priori du personnage et décide d'investir la figure d'Iron Man pour l'amener à un endroit où, à l'écran, il n'était pas encore allé; à un endroit où l'image, maintenant fracturée, lui permet d'entrevoir son véritable ennemi.

Ce que cette image lézardée laisse entrevoir, c'est la nature profonde du personnage et, par le fait même, l'intelligence du scénario de Shane Black qui a su retrouver la touche de kitsch qui faisait la saveur des Lethal Weapon et de Last Action Hero tout en développant une structure narrative qui répond point par point à celle du premier film de Favreau. Chacune des situations déjà vues dans le premier volet sont retrouvées, mais cette fois-ci d'une manière sensiblement différente. Ainsi, la traversée du désert de Tony Stark dans le premier volet culminait dans la création de l'armure d'Iron Man. Aujourd'hui, la traversée d'un désert enneigé aboutit en une exploration des particularités les plus humaines du personnage. À chaque reprise, un guide facilite cette évolution : d'abord un scientifique arabe, ensuite un petit garçon américain qui, sur fond de conte de Noël, l'aidera à se faire un nouveau cœur, le sien.

Dans Avengers, Captain America lançait à l'homme au masque de fer: «Take that suit away and what are you?». Iron Man 3 est en quelque sorte la longue réponse à cette question identitaire. Dans la scène d'ouverture se déroulant le soir du réveillon de l'an 2000, lors d'une convention scientifique où Stark rencontrait pour la première fois un Killian binoclard aux cheveux graisseux, l'on comprend que la genèse du héros est intimement liée à la création même de son antagoniste et que Tony Stark, comme l'Amérique, a créé ses propres démons. Alors qu'il annonçait fièrement à la fin du premier épisode: «I am Iron Man», la finale de Black lui fait revenir sur ses déclarations. «I am Iron Man», répète-t-il, homme cybernétique du nouveau millénaire qui lance à présent dans l'océan son cœur de machine; ce n'est plus Iron Man qui fait battre le cœur de Tony Stark, mais l'inverse. 

C'est ainsi que l'homme peut sauter d'une armure à une autre, la faire et la défaire, en porter seulement des pièces détachées, un gant, une botte; de la même manière, l'armure ne lui est plus exclusive et peut abriter, au contraire, le corps fragile de Pepper Potts (Gwyneth Paltrow) comme celui – il fallait le faire – du président américain. Il y a, dans cette surenchère des mille et un iron men qui tourbillonnent autour de Stark et éclatent en un étrange feu d'artifice, la démonstration de cette arithmétique de l'industrie: le séduisant mariage d'un discours fondamentalement lucide et actuel avec une imagerie pop, quelque peu enfantine et délibérément grossière.
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Critique publiée le 5 mai 2013.