DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Trance (2013)
Danny Boyle

Voyage au centre de la mémoire

Par Jean-François Vandeuren
Nous avons un peu l’impression de voir une boucle se boucler en visionnant ce dixième long métrage de Danny Boyle. Il faut dire que les origines du présent exercice remontent en soi à l’époque de la sortie de l’excellent Shallow Grave de 1994. Le scénariste Joe Ahearne aura alors fait parvenir le scénario de Trance au réalisateur, qui aura jugé qu’il serait trop difficile pour de nouveaux venus de trouver un producteur pour un opus d’une telle ambition. En 2001, Ahearne tournait ses écrits en un téléfilm. Douze ans plus tard, soit près de deux décennies après la première période de gestation du projet, Boyle - maintenant un cinéaste oscarisé - sera finalement allé de l’avant afin que le récit de son compatriote puisse bénéficier de la démarche artistique des plus fougueuses qu’on lui connaît. Trance marque également la réunion de Boyle et du scénariste John Hodge, qui avait signé les scénarios des quatre premiers films du cinéaste, mais qui n’avait pas retravaillé avec ce dernier depuis The Beach en 2000. Le prolifique réalisateur à la filmographique de plus en plus hétéroclites aura certainement choisi le moment le plus opportun pour s’attaquer à pareille entreprise, la prémisse de Trance faisant certainement écho au très populaire Inception de Christopher Nolan comme à l’avalanche de productions reposant sur cette frêle distinction entre le rêve et la réalité ayant vu le jour au cours des dernières années. Le tout à partir d’une structure dramatique nous ramenant pour sa part directement au premier long métrage du Britannique en plus d’adresser la plupart des préoccupations auxquelles Boyle se sera intéressé depuis le début des années 90.

À l’image du film de Christopher Nolan, l’intrigue de Trance s’articule autour de la trame classique du vol qualifié - et ultimement de la possibilité d’implanter une idée dans l’esprit d’un individu. Le plan se mettra en marche ici à l’occasion d’une vente aux enchères, dont Franck (Vincent Cassel) et ses acolytes comptent bien déjouer les mesures de sécurité afin de s’emparer du tableau Vol de sorcières du peintre Francisco de Goya - une oeuvre ayant assurément inspiré Ahearne dans l’élaboration des rouages comme des finalités de son récit. Pour ce faire, ces derniers seront épaulés par Simon (James McAvoy), l’un des responsables de l’événement, qui aura mis Franck au parfum de cette opportunité dans le but de régler sa dette envers lui. Durant l’opération, Simon sera toutefois victime d’une commotion cérébrale qui l’empêchera après coup de se souvenir de l’endroit où il a caché la peinture. Le groupe se tournera alors vers Elizabeth (Rosario Dawson), une hypnothérapeute, qui découvrira rapidement les raisons de la visite de Simon à son cabinet. Si l’esprit de ce dernier se révélera très réceptif à l’hypnose, la procédure deviendra beaucoup plus compliquée que prévue lorsque de multiples facteurs émotionnels se mettront en travers du chemin de Simon durant son voyage au centre de sa mémoire. À l’instar de Shallow Grave, Trance se glissera progressivement sous la surface de ses trois personnages, lesquels révéleront les intentions, les traits de caractères insoupçonnés et les inquiétudes les poussant à (ré)agir d’une certaine façon. C’est également autour de ces révélations que les deux scénaristes articuleront leurs nombreux revirements de situation, lesquelles pousseront continuellement le spectateur à changer sa vision des trois principaux concernés qui, de leur côté, s’échangeront les rôles de héros, de victime et d’antagoniste dans une réalité qui pourrait très bien relever de l’imaginaire et vice-versa.

Avec Trance, Boyle signe certainement l’une de ses mises en scène les plus alertes et soignées à ce jour, à défaut d’être nécessairement sa plus accomplie. À l’image de ses meilleurs élans, le style frénétique du Britannique résonne du scénario qu’il transporte à l’écran, s’édifiant avant tout à partir de ce que capte l’appareil cinématographique, et donc pas seulement que de la façon dont est manipulée la matière filmique après coup. Ainsi, le cinéaste imprègnera déjà ses images d’une savante touche d’onirisme de par ces couleurs vives, ces cadrages souvent dignes des cases d’une bande dessinée, ces éclairages hallucinants et ces décors à la fois modernes et minimalistes. Le tout découlant du travail, certes, moins audacieux, mais néanmoins beaucoup plus réfléchi et méticuleux, d’Anthony Dod Mantle à la direction photo, lui qui, par le passé, aura pu expérimenter abondamment les nouvelles possibilités techniques de son métier aux côtés du réalisateur pour des films comme 28 Days Later… et Slumdog Millionaire. Cette importance marquée que Boyle a toujours accordée à l’esthétique sera de nouveau mise en évidence d’entrée de jeu lorsque ce dernier braquera sa caméra sur Simon, qui s’adressera alors directement au spectateur pour lui expliquer les rudiments de son boulot. Un effet de style nous rappelant les discours que tenaient respectivement les personnages interprétés par Ewan McGregor dans Trainspotting et Leonardo DiCaprio dans The Beach et dont le réalisateur démontrera toute la pertinence d’un point de vue dramatique en continuant de filmer Simon bien après qu’il ait fini de parler, alternant dès lors entre les traits immobiles de ce dernier et les méfaits perpétrés par Franck et sa bande, suggérant d’ores et déjà que le regard en apparence fragile et honnête du personnage cache quelque chose de beaucoup moins reluisant.

Comme son titre pouvait déjà le suggérer, l’expérience proposée par le film de Danny Boyle demeure essentiellement sensorielle. Hodge et Ahearne auront orchestré leur scénario tel un impitoyable crescendo dont l’ultime note se révélera particulièrement assourdissante. Le tout en ayant en tête d’offrir d’abord et avant tout un thriller des plus enlevants, à connotation aussi bien psychologique qu’érotique, en plongeant le spectateur dans un constat état de confusion, et ce, en ne s’en faisant jamais outre mesure avec l’approfondissement des pistes de réflexion relatives à la mémoire, les pulsions sexuelles, la psyché humaine, etc. Si la dynamique scénaristique de Trance demeure, certes, assez classique pour ce type d’initiatives, les deux auteurs auront su en traiter la mécanique avec un savoir-faire indéniable, tournant habilement chaque incursion dans la psychologie de leurs sujets en une pièce manquante du puzzle. Et si ce parcours grandiloquent n’a finalement rien de trop compliqué, les personnages, eux, n’ont fort heureusement rien d’unidimensionnel, ces derniers étant d’autant plus défendus par un trio d’interprètes dont l’intensité du jeu va de pair avec l’approche on ne peut plus turbulente du réalisateur. Boyle se sera d’ailleurs tourné une fois de plus vers le passé en confiant la bande originale de son film à Rick Smith (la moitié du duo techno Underworld, qui aura offert plusieurs contributions mémorables aux films de ce dernier par le passé) afin d’accentuer l’énergie des plus vivifiantes qui en émane. Trance démontre ainsi qu’on ne peut apprendre à un vieux singe à faire la grimace, Boyle continuant de n’en faire qu’à sa tête, son cinéma parvenant encore à atteindre des sommets vertigineux, mais sans toujours réussir à éviter ces quelques moments où le cinéaste se montrera soudainement sous un jour un peu trop survolté. D’un autre côté, nous ne pourrons pas non plus accuser le Britannique de s’assagir en vieillissant.
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Critique publiée le 12 avril 2013.