L’adolescence telle que définie par la horde de teen movies hollywoodiens qui défilent sur les écrans chaque année est en soi un bien drôle de phénomène. Loin des préoccupations beaucoup plus sérieuses d’un Larry Clark, les artisans de ce type de cinéma - dont les standards semblent tout simplement inexistants - nous proposent la plupart du temps des récits sans saveur ne témoignant d’aucune réalité concrète, si ce n’est de celle idéalisée par les médias et les magazines. Nous n’avons du coup affaire qu’à des individus beaux et bêtes parmi lesquels naîtra une histoire d’amour improbable devant enfin rendre justice à toutes ces personnes si généreuses et attentionnées qui passent pourtant toujours complètement inaperçues. C’est dans une telle conjoncture que le cinéaste et bédéiste français Riad Sattouf nous livre aujourd’hui en guise de premier long-métrage ce délirant ovni que constitue Les Beaux gosses. C’est d’ailleurs en amplifiant d’une manière volontairement ridicule les moindres caractéristiques de son univers et de ses personnages que le réalisateur réussit à se rapprocher du quotidien de ces jeunes gens aux prises avec tous les problèmes et symptômes reliés à la puberté. Le film suit les mésaventures d’Hervé, un adolescent de quatorze ans un peu coincé, et de Camel, un amateur de musique heavy metal arborant une « coupe Longueuil » particulièrement imposante. Deux garçons impopulaires d’un collège de Rennes qui tenteront par tous les moyens de se rapprocher des membres de la gent féminine. Le souhait d’Hervé sera un jour exhaussé alors qu’il commencera à fréquenter Aurore, l’une des filles les plus en vue de sa classe. Leur histoire n’aura cependant rien d’un conte de fées alors qu’Hervé devra vite composer avec sa maladresse et une série d’humiliations qui l’amèneront, évidemment, à prendre de la maturité, mais aussi à saisir le sens de ses propres actions.
L’image faussement proprette défendue par la majorité des productions états-uniennes est d’ailleurs brisée dès les premiers instants du présent effort. La caméra de Sattouf se trouve à ce moment à une distance particulièrement intimidante du visage d’un étudiant boutonneux et de celui de sa copine qui, pour leur part, ne se gênent pas pour s’embrasser goulûment. Le tout sous les regards abasourdis d’Hervé et de Camel, condamnés à assister impuissants à cette scène dans laquelle ils auraient sûrement bien aimé jouer. C’est aussi à partir de cette séquence que les talents de bédéiste de l’artiste français commenceront à se faire sentir à l’écran. Il faut dire qu’il n’y a en soi aucun détail de ce spectacle farfelu qui ne semble pas avoir été « soigneusement » caricaturé par le réalisateur. Une initiative qui est évidemment visible d’emblée dans l’apparence de ses protagonistes, notamment au niveau des traits du visage et des costumes, mais aussi dans la façon dont ceux-ci se comportent et interagissent avec leurs pairs. L’un des meilleurs exemples à cet effet demeure la série de passages savoureux mettant en vedette Hervé et sa mère quelque peu envahissante, qui ne se gêne jamais pour tourner en dérision les moindres facettes de la vie de son fils. Ainsi, au-delà d’une facture nous donnant souvent l’impression d’avoir affaire à un véritable dessin animé ambulant, l’essence des Beaux gosses se situe dans cette façon étonnamment franche et lucide dont l’artiste parle de l’adolescence en conférant une âme et un caractère propre à chacun de ces personnages qu’il aura d’abord vus grandir sur l’une de ses planches à dessin. En plongeant ceux-ci dans une suite d’événements incongrus et légèrement déphasés, Sattouf et son coscénariste Marc Syrigas seront parvenus à exprimer toute la bêtise, la naïveté et la cruauté propres à cette période ingrate et on ne peut plus trouble de l’existence humaine.
Le film de Riad Sattouf constitue également un étrange objet de mise en scène alors qu’il s’inscrit dans cette catégorie d’efforts évoluant en marge d'une réalité présente à laquelle ils cherchent pourtant par tous les moyens à se conformer. Les Beaux gosses est ainsi constitué de situations et de personnalités avec lesquelles n’importe quel spectateur se sentira immédiatement familier, même si la nature de celles-ci a évidemment été ici quelque peu exagérée, pour ne pas dire carrément parodiée. Sans nécessairement jouer dans les mêmes ligues, le présent effort arrive malgré tout à un moment opportun alors que les productions traitant de préoccupations purement adolescentes ont connu un certain regain de vie au cours des dernières années grâce, entre autres, à la vulgarité parfaitement assumée du Superbad de Greg Mottola. Mais si les personnages de Sattouf ne se gênent pas pour débiter une quantité tout de même assez impressionnante d’obscénités, les dialogues de ce dernier s’inscrivent pour leur part dans un contexte qui se veut, lui, réellement juvénile, et donc forcément immature. Il y a également certains liens à tisser entre Les Beaux gosses et le désopilant Napoleon Dynamite de Jared Hess. Délaissant les teintes flamboyantes et délavées de l’opus de 2004 au profit d’une palette de couleurs beaucoup plus ternes, le film de Sattouf révèle néanmoins un goût tout aussi affirmé pour le kitsch et les éléments rétro. La facture visuelle de ce dernier se démarque également de par la façon dont la composition de chaque plan semble vouloir faire directement écho à celle d’une case de bande dessinée. Un concept qui est d’ailleurs parfaitement appuyé par un montage fluide et dynamique jouant un rôle primordial dans l’efficacité comique de l’ensemble, tout comme cette impressionnante distribution formée en majeure partie de non-acteurs, dont le jeu demeure toujours dans le ton voulu.
Surprise pour le moins inattendue de la dernière cuvée cannoise, Les Beaux gosses se révèle une oeuvre hilarante, et même étrangement attendrissante. Possédant visiblement un don inné pour la comédie, l’artiste français réussit à garder un parfait équilibre tout au long de son premier long-métrage en misant autant sur la remarquable efficacité de ses dialogues que sur une forme d’humour un peu plus cabotine, laquelle ne se révèle fort heureusement jamais forcée. Il faut dire que la maîtrise exercée par Sattouf sur son univers filmique lui permet d’aller soutirer constamment une nouvelle situation comique dans les moindres recoins de sa production, que celle-ci soit inhérente à l’action ou qu’elle se déroule en arrière plan. Ainsi, ce divertissement qui aurait très bien pu n’être qu’un simple plaisir coupable pour un public mineur s’avère être au final un véritable bonheur de cinéphile. Sujet de prédilection depuis le début de sa carrière, Sattouf se sert ici de sa grande compréhension de l’adolescence pour traiter avec la même intégrité tous les personnages de son film, n’hésitant pas à pointer du doigt la superficialité et le manque d’empathie d’Hervé, lui qui en aura pourtant payé les frais plus tôt dans le récit. Le tout en ne cherchant jamais à être moralisateur ou à faire de fausses promesses à son public, mais en réussissant tout de même en bout de ligne à livrer une belle leçon de vie. Le réalisateur se montrera particulièrement habile lors d’une séquence étonnamment touchante durant laquelle Hervé récoltera finalement le fruit de ses propres erreurs, enchaînant aussitôt avec un montage musical qui catapultera son histoire un an dans le futur alors que tout aura fini par reprendre son cours. Ce dernier aura bien compris qu'un drame personnel est nécessaire dans l'évolution de tous et chacun, et surtout qu’il ne s’agit pas forcément de la fin du monde, comme nous sommes souvent portés à le croire à cet âge…