DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Warm Bodies (2013)
Jonathan Levine

À la vie, à la mort

Par Jean-François Vandeuren
Comme l’ignoble saga Twilight et ses nombreux équivalents s’adressant à ce même public principalement composé de jeunes adolescentes l’auront démontré, voire encouragé, au cours des dernières années, le personnage mythique du vampire est désormais contraint de diviser ses apparitions à l’écran entre les frasques de monstre sanguinaire auxquelles il était toujours associé dans le passé et l’objet de tous les désirs de la gente féminine qu’il incarne à présent sous une forme, disons, plus domestiquée. À l’instar du loup-garou, il n’était pas vraiment surprenant de voir pareille figure être soudainement confinée à l’intérieur d’un tel registre étant donné l’important rapport à la sexualité que l’essence de celle-ci a toujours sous-entendu. Un lien que nous ne pouvons évidemment pas tisser avec tous les antagonistes types appartenant au vaste monde de l’horreur. Qu’en serait-il, par exemple, si une romance venait à naître entre une jeune femme en parfaite santé et un mort-vivant? Eh bien c’est précisément la question loufoque à laquelle tente de répondre Jonathan Levine (The Wackness, 50/50) avec la présente adaptation du roman Warm Bodies d’Isaac Marion. Une production qui, sans surprise, nous ait proposée par Summit Entertainment, soit le même studio derrière les piètres péripéties de Bella Swan et Edward Cullen. La feuille de route plus que respectable du réalisateur américain avait en soi tout pour nous mettre en confiance face à un film que nous devinions orienté davantage vers l’humour, et ce, sans que nous parlions nécessairement de parodie en bonne et due forme. Sans être inutilement ambitieux, Warm Bodies parvient tout de même à tirer son épingle du jeu en se penchant sur un nombre assez impressionnant d’idées et de pistes narratives.

Le cinéaste laissera présager le meilleur dès le départ alors qu’il nous introduira à un simple zombie parmi tant d’autres (Nicholas Hoult) - qui sera affectueusement rebaptisé « R » par la suite - tandis que ce dernier déambulera mollement parmi les siens dans un environnement en décrépitude. Le cadavre en mouvement nous partagera dès lors ses réflexions sur ce monde en phase terminale comme si l’âme d’un individu à part entière était désormais prisonnière de cette carcasse meurtrie, condamnée à errer sans but et à répéter les mêmes gestes jour après jour de la manière la plus apathique qui soit. Tourné dans la région du Grand Montréal, Warm Bodies capitalisera d’autant plus sur son utilisation de lieux on ne peut plus propices à la création d’une telle atmosphère de fin du monde tels l’aéroport de Mirabel et le stade olympique, lesquels auront été désertés par les vivants bien avant le début de l’apocalypse. C’est lorsqu’il partira à la recherche de chair humaine en compagnie d’un petit contingent de morts-vivants que R posera son regard sur la séduisante Julie (Teresa Palmer). Warm Bodies repoussera après coup les limites du concept de la « comédie romantique avec des zombies » auquel nous avait introduits Edgar Wright en 2004 avec le génial Shaun of the Dead. Ainsi, après avoir dévoré le cerveau du petit ami de Julie, R fera tout pour protéger la jeune femme de ses semblables. Car depuis leur rencontre, quelque chose a changé en R, lui dont le coeur semble vouloir recommencer à battre, lui qui est de nouveau capable de fermer l’oeil et de rêver ainsi que de s’exprimer avec des mots, et non plus que des grognements inintelligibles. Bref, le mort revient tranquillement à la vie, et l’effet est définitivement contagieux.

La romance prenant forme dans Warm Bodies finira évidemment par s’appuyer sur les bases les plus connues de ce type de prémisses, empruntant sans gêne au récit de La belle et la bête comme à celui de Roméo et Juliette - dont les noms des deux principaux personnages se veulent d’ailleurs des diminutifs. Nous nous retrouverons par le fait même au milieu d’une guerre sans merci entre les morts et les vivants - dirigés par le père de Julie (John Malkovich), qui, de son côté, continuera de croire fermement que le sort en a été jeté depuis longtemps déjà. Levine leur octroiera bien un ennemi commun qui permettra ultimement une réconciliation entre les deux clans - les deux familles - afin que l’humanité puisse être réellement sauvée pour une fois. Une réunion à laquelle le réalisateur conférera encore là une certaine valeur symbolique lorsque le mur entourant la cité des vivants s’affaissera tel le mur de Berlin et que les zombies retourneront progressivement à une vie normale, comme ces gens qui auront réintégré la société capitaliste après avoir vécu pendant des années sous le régime communiste de Berlin-Est. Chaque séquence orchestrée par Levine semblera d’ailleurs avoir un double sens, renforçant le discours d’un récit qui, autrement, demeure assez simplet sur le plan dramatique. Là où Warm Bodies s’avère beaucoup plus problématique, c’est dans la façon dont il se joue des conventions propres à ce sous-genre du cinéma d’horreur. Comme les films pour adolescentes auxquels il tente de faire un pied de nez, le présent exercice n’hésite souvent pas à emprunter certains raccourcis, notamment en ce qui a trait à l’évolution - beaucoup trop rapide - de son protagoniste.

La morale derrière Warm Bodies demeure évidemment tout ce qu’il y a de plus candide, dictant que seul l’amour saura sortir l’humanité du gouffre dans lequel elle s’est enfoncée. Si on a certainement fait plus dense et plus perspicace comme discours par le passé, Levine sera tout de même parvenu à malaxer cette guimauve dans laquelle il aurait très bien pu s’enliser de façon à le rendre étonnamment digeste. L’Américain n’arrive, certes, pas à tirer la même puissance émotionnelle du présent récit que des valeurs d’amour et d’amitié sur lesquelles reposaient son excellent 50/50 et des difficultés à trouver sa place dans ce bas monde dont traitait The Wackness. Il faut dire que le cinéaste rendra son zombie beaucoup trop humain et attachant dès le départ, lui qui, de son vivant, collectionnait visiblement les derniers vestiges d’un monde en ruines - dont les disques vinyles, bien entendu -, éléments qui lui permettront également de dissiper les appréhensions de sa douce avant que ne s’amorce sa miraculeuse transformation. Warm Bodies mijote ainsi à sa propre sauce le récit typique de la belle blonde tombant pour le type un peu coincé. Un scénario qui, même si Levine assume totalement la manière peu subtile dont il en anime les rouages, aurait assurément bénéficié d’un peu plus de nuance à ce niveau. Autrement, le réalisateur savait visiblement à quel genre d’entreprises il s’attaquait, et surtout les exigences de quel public il devait rencontrer. Bien joué et bien dirigé, Warm Bodies se révèle une entreprise suffisamment distrayante et étonnamment fonctionnel malgré un scénario mécanique progressant sans jamais rencontrer de réelles turbulences, mais dont le manque de constance sur le plan de l’inspiration l’empêche définitivement d’atteindre de plus hauts sommets.
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Critique publiée le 2 février 2013.