Quand il n'est pas occupé à se complaire dans les pitreries, le cinéma destiné aux jeunes publics a tendance à surfaire; à faire de ses héros juvéniles des sauveurs de l'humanité à la vertu infinie. Rarement profite-t-il du moment privilégié de la rencontre entre le film et son spectateur pour voir le monde avec une sensibilité d'enfant, s'adresser réellement à ses peurs et ses plaisirs sur une échelle plus réduite. Et c'est d'abord à cet égard que le cinéma tel qu'approché par
Hayao Miyazaki, plus particulièrement dans Mon voisin Totoro, s'avère très intéressant. Délaissant l'ampleur et le souffle de ses longs métrages précédents (
Le château dans le ciel,
Nausicaä de la vallée du vent), le cinéaste élabore une tranche de vie n'épousant pas le schéma classique du récit initiatique (format qu'il saura manier à merveille plus tard dans sa carrière), mais bien une progression plus subtile fondée sur une approche extrêmement juste des préoccupations enfantines et des rapports familiaux. Attentive aux plus infimes détails, l'animation qu'il dirige est aussi d'une qualité remarquable, multipliant le genre de subtils moments de grâce récompensant les écoutes répétées.
Signé de la main du réalisateur, le scénario de
Mon voisin Totoro est tellement simple qu'il donne presque l'impression de ne pas avoir été réfléchi. En bref, il raconte l'aménagement d'une famille dans un coin tranquille de la campagne japonaise. Attendant que leur mère revienne d'un séjour à l'hôpital le plus près, deux jeunes soeurs font alors la rencontre d'amicales créatures habitant les bois environnants. Des petites scènes élémentaires, comme un bain avec papa ou la dégustation de légumes frais en compagnie de la gentille voisine, entrecoupent les développements modestes, qui prennent néanmoins un tournant dramatique des plus achevés au cours du dernier acte. Difficile de dire exactement quel est le « sujet » du film, sinon que son articulation des divers enjeux psychologiques, de l'émerveillement à l'inquiétude, s'avère uniformément convaincante.
La clé de la réussite de
Mon voisin Totoro se trouve d'abord dans sa création d'une relation des plus crédibles entre les deux jeunes soeurs qui en sont les héroïnes. L'efficacité contagieuse de cette dynamique est d'autant plus impressionnante que les fillettes sont assez dissemblables sur le plan physique. Il y a d'abord Satsuki, qui, malgré son absence d'aspérités, fait preuve d'assez d'enthousiasme et de détermination pour gagner très vite la sympathie. Puis il y a Mei, la cadette, création animée d'une expressivité merveilleuse dont la grosse tête et la bouche aux dimensions fluctuantes donnent lieu à des moments de candeur et d'attendrissement irrésistibles. D'aucuns seront sans doute irrités par l'euphorie proche de l'hystérie avec laquelle tendent à interagir les deux personnages, mais force est d'admettre que cette énergie s'avère cruciale à l'impact du déroulement des choses. Provoquant d'abord l'adhésion lors des passages plus relâchés, l'attachement entre les deux soeurs devient en bout de course le fondement d'un suspense des plus intenses, mais néanmoins dépourvu de réelle menace physique; seule règne l'angoisse émergeant de l'amour des proches. À cette tension s'ajoute également une appréhension quant au sort de la mère malade, rendue à travers une poignée de moments d'émotion brefs, mais sidérants, et planant sur l'ensemble telle une ombre navrante, mais jamais trop pesante. « C'est la vie », dirait sans doute l'auteur.
Pour ce qui est de la mise en scène, rarement Miyazaki a-t-il été aussi branché sur le pouls de l'enfance que lors de la découverte de leur nouvelle demeure par les deux soeurs, ou encore de la scène de jeu qui mènera à la première rencontre avec l'immense Totoro. S'encombrant de maladresses corporelles et d'expressions faciales spontanées, leur illustration donne le ton qui dictera également le traitement de la dimension fantastique à venir. Dimension non seulement abordée avec un naturalisme étonnant, mais aussi avec une volonté manifeste de marquer les esprits par le biais d'épisodes tout bonnement inoubliables, qui supplantent les quelques banalités meublant le récit dans sa première partie. La séquence nocturne plus tardive où les fillettes et leurs amis à fourrure font pousser un arbre gigantesque avant de s'envoler sur une toupie magique est dotée d'un souffle onirique époustouflant, tandis que la profusion de détails et la perfection du travail d'atmosphère de la scène de l'arrêt d'autobus en font un très grand moment de cinéma. Il est aussi surprenant que dans l'élaboration de ses Totoros (et de son « autobus-chat »), le réalisateur ne se soit pas inspiré de créatures précises de la mythologie nippone, mais qu'il ait bien procédé à la création de figures originales. Décision des plus judicieuses, ceux-ci constituant de véritables incarnations d'amabilité, propices à susciter la sympathie immédiate des plus jeunes comme des plus vieux, tout en apparaissant parfaitement inédits.
Au final, on retient de
Mon voisin Totoro l'impression d'un film riche et stimulant, et ce, au-delà de son charme tout simple. Certainement moins dense qu'un film comme le génial Spirited Away, à la fois sur les plans graphique et thématique, il se démarque néanmoins de la production familiale typique grâce à son scénario d'une saisissante justesse et son illustration précise et nuancée à défaut d'être particulièrement excentrique. Moins grave qu'une oeuvre comme le magistral
Tombeau des lucioles d'
Isao Takahata (aussi produit par le Studio Ghibli la même année), il explore d'un oeil tout aussi lucide un thème similaire d'engagement familial, tout en célébrant de façon ludique l'esprit de découverte et d'initiative propre à l'enfance. Tout semble en effet accorder à cette intention de témoigner du point de vue de la jeunesse tout en s'adressant à elle, qu'il s'agisse du regard bienveillant des parents, de la façon étrange, mais amusée, d'observer la naissance du sentiment d'attirance chez les jeunes, ou encore des thèmes musicaux parfaitement mémorables encadrant et ponctuant le film, renforçant une atmosphère d'agréable familiarité. Familiarité ici non dépourvue de profondeur, méditation admirablement conciliée avec le plaisir. Un classique peut-être surestimé par certains observateurs à la formule facile, mais néanmoins tout à fait justifié.