Beef jerky au navet
Par
Alexandre Fontaine Rousseau
Le « film de minuit » est un genre en soi, entraînant son lot d'attentes spécifiques et ses propres critères de qualité pour le moins particuliers ; son public de jeunes carnivores espère que le sang giclera généreusement et que les coups voleront bas. Ici, un scénario trop fignolé pourrait détourner le film de sa mission première qui est d'offrir au public un spectacle de mauvais goût, à la limite dégradant. Entrer dans la salle implique que l'on abandonne, l'instant d'un film, l'état de créature civilisée pour redevenir une bête assoiffée d'immoralité. Certains classiques de l'horreur étonnent parce qu'ils surpassent ces attentes d'arène romaine - que ce soit par leurs relents de critique sociale (Dawn of the Dead) ou par leur sous-texte freudien explicite (Dead Alive) ; mais ce sont des exceptions qui confirment la règle. La meute de spectateurs payant pour voir un film gore bien con espère surtout que ses plus bas instincts seront comblés. Or, malgré son titre prometteur, Trailer Park of Terror déçoit l'animal en quête d'un festin de minuit riche en boyaux tranchés et en blagues politiquement incorrectes sur l'Amérique profonde. Trop timide pour décoiffer l'habitué, mais trop mauvais pour être pris au sérieux, le film de Steven Goldmann occupe l'espace ingrat entre le royaume du culte et le « bon » cinéma. Plutôt que d'exalter le plaisir dégénéré, il suscite l'ennui le plus profond qui soit.
Adaptation d'une bande dessinée publiée par Imperium Comics, Trailer Park of Terror débute en 1981 dans un trou à rats que la belle Norma (Nichole Hiltz) s'apprête à quitter en compagnie de son fiancé. Mais ses exécrables voisins, en cherchant à l'intimider, tuent accidentellement le nouveau venu. Dévastée, Norma prend la fuite et croise sur la route un homme mystérieux, tout de noir vêtu, qui l'incite à se venger et place entre ses mains un fusil qu'elle s'empresse d'aller décharger... Une fois le crime accompli, la jeune femme éplorée met fin à ses jours - ou, du moins, c'est ce qu'elle croit. Mais les années passent et les disparitions se multiplient dans les environs. La petite communauté recluse s'est transformée en colonie de goules n'ayant rien perdus des mauvaises habitudes qu'ils avaient de leur vivant ; et, par chance, un autobus bondé de chaire fraîche vient d'avoir un accident aux abords de leur patelin malfamé.
Alors qu'il devrait choquer et insulter, Trailer Park of Terror déçoit plutôt par le chemin très convenu - et sécuritaire de surcroît - qu'il choisit en fin de compte d'emprunter. Le scénario multiplie les promesses que l'exécution, lâche et ronflante, n'arrive jamais à tenir. On envoie en pâture à notre bande de zombies rednecks de jeunes pécheurs rejetés d'un camp de vacance chrétien et leur bien-pensant moniteur. Mais cette formidable mine d'or de farces décapantes n'est aucunement exploitée par l'écriture de Timothy Dolan, qui manque franchement de mordant ; ses personnages humains sont d'insupportables clichés, fades et mal campés, tandis que les caricaturaux habitants du fameux « parc à roulottes de la terreur » sont désagréables et insalubres à souhait mais dépourvus de cette saveur caractéristique du Sud qui épiçait par exemple The Devil's Rejects de Rob Zombie. Goldmann s'aventure en plein coeur d'un paysage culturel déjà bien prospecté, sans perspicacité particulière. Ni dérisoire, ni authentique, le ton est confus, jamais assumé, à la fois bassement condescendant et bêtement glorificateur.
Par conséquent, les personnalités soi-disant charismatiques de la troupe de mort-vivants, sur lesquelles capitalise essentiellement le film, tournent à vide : Roach, le rockabilly pourrissant, sent le succédané cool à plein nez et Stank le boucher pornographe se contente d'être un énergumène stupide même lorsqu'il transforme ses victimes en beef jerky. Cette famille reconstituée de ratés a beau brandir le drapeau confédéré, rouler en pick-up et s'approprier l'accent coloré du fond du rang, mais elle dégage l'impression d'une mauvaise imitation en panne d'inspiration. Ses membres sont des contrefaçons, à l'instar de cette production qui derrière ses fières allures de gros film trash et méchant cache un médiocre petit avorton d'horreur qui ne s'assume jamais vraiment - et où la caméra se sauve plus souvent qu'autrement lorsque les choses se gâtent réellement. D'emblée, Trailer Park of Terror commet l'erreur fatale de s'appuyer sur les conventions du slasher adolescent générique sans les remettre en question ou les tourner en dérision ; il les applique scrupuleusement et sans férocité.
Bref, le même vieux mélange de moralisme conservateur et d'hormones adolescentes est au rendez-vous derrière un voile de rébellion tendancieuse mais sans conséquences. Bien entendu, l'ensemble est vulgaire et violent ; mais il l'est tout en respectant les normes, d'une manière complaisante donc plus dégoûtante d'opportunisme qu'enthousiasmante. Trailer Park of Terror, au-delà du concept, ne livre jamais la marchandise ; il escamote les moments vraiment horribles, manque de générosité quand vient le temps de verser du sang et ne pousse jamais ses blagues assez loin pour être vraiment excessif. Issu du monde du vidéoclip country, Goldmann signe une réalisation masquant ses failles derrière un montage tapageur qui devient vite lassant. Lourdaud, son film s'essouffle - à court de trouvailles et de surprises - mais s'étire. Ne soyons pas indulgents. Il existe déjà de bons films dans le créneau du cinéma ordurier, vicieusement ingénieux et véritablement obscènes ; celui-ci sent plutôt les égouts. Pourquoi se contenter des restes alors que la table est pleine?
Critique publiée le 22 juillet 2008.