DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Chasse, La (2012)
Thomas Vinterberg

Sans paroles

Par Maxime Monast
La moralité : ce principe d’honnêteté, de justice et d’incorruptibilité qui est souvent remis en question par un tiers, un chemin qui regorge d’impasses riches en sujets qui peuvent être difficile à naviguer. 
 
L’absence de parole : le manque de nécessité à se justifier auprès des autres quant à son comportement pour défaire les soupçons.
 
C’est avec ces principes en tête que Thomas Vinterberg place La chasse dans le monde du mélodrame. Comme sa consœur Susanne Bier, il plonge en terrains connus. Aucunement étranger à ce type de cinéma moraliste, c’est ici qu’il se laisse complètement immerger. En plus, c’est la première fois qu’il délaisse complètement les éléments qui rendaient si unique son cinéma. On n’y retrouve plus l’atmosphère dépravée de Submarino ou bien la déconstruction des conventions de Festen. Les traits de ce réalisateur danois sont quasi absents et ne provoquent plus les mêmes réactions crève-cœur que nous nous étions finalement habitués à endurer. 
 
Lucas (Mads Mikkelsen) travaille dans une garderie. Aimé par tous les enfants et ses collègues, il est satisfait de cet environnement. Soudainement, une des enfants et la fille de son meilleur ami le dénonce comme étant un agresseur sexuel. Klara (Annika Wedderkopp) invente le tout. Étant le seul homme sur les lieux, cette accusation est rapidement prise au sérieux : la suite du film témoignera des retombés suite à ce type d’allégations.
 
Si le sujet vous semble familier, c’est que le très sous-estimé The Woodsman de Nicole Kassell avait un point de départ similaire. Par contre, là où le film de Kassell traitait de la réinsertion sociale du coupable plutôt que de la réhabilitation d'un accusé à tort, ici, on ne cherche pas à comprendre le fond de l'accusation et l'on se contente d'observer les protagonistes tenter de vivre avec ce nouveau fardeau. « Que faire lorsqu’un de nos proches est accusé (de pédophilie)? » devient la grande question que pose l'auteur. Les émotions – la rage, la curiosité, la peur – se mélangent pour s’emparer de ce petit village autrefois paisible. 
 
Avec cette prémisse, Vinterberg propose une approche plus réservée qui travaille en symbiose avec les réactions de son personnage principal. En effet, ce long métrage nous présente une moralité chrétienne, une infaillibilité où l’exactitude de la parole vraie fait foi d'une vérité absolue. Bien qu'il nie l'acte, Lucas n’essaie jamais de prouver son innocence; il ne joue pas à l’avocat, il choisit une approche beaucoup plus douloureuse qui affectera finalement ses amis et sa famille. Il laisse aux autres le droit de le juger, que leurs opinions et leurs réactions aient autant de valeur que la sienne. Véritable martyr de sa propre cause, le résultat s'avère perturbant et la violence, le doute ne sont plus que les conséquences les plus évidentes. Par contre, ce qui endommage demeure bel et bien irréversible : cette idée, ce préjugé seront pour toujours implantés dans l'esprit des gens du village. Dans une conclusion parfaite, Vinterberg avance que nous ne pouvons pas simplement effacer l’histoire, mais que l'on doit apprendre à vivre avec celle-ci. 
 
Un aspect impeccable de La chasse est bel et bien le jeu des acteurs. De Mads Mikkelsen - honoré à Cannes pour son interprétation - à la petite Annika Wedderkopp, nous avons droit à une classe de maîtres toute en subtilité. Un homme qui comprend la psychologie des enfants, mais qui est évidemment dépassé par ce qui se passe. Une jeune fille qui est mélangée, qui ne comprend que les émotions les plus primaires. C’est avec cette dichotomie sensible que Vinterberg tire le maximum de ses acteurs. Le but n’est pas de créer un choc entre les deux, car Lucas n’est jamais fâché ou violent envers Klara alors qu'à son tour, elle l’aime d’une manière pure, innocente. Ne comprenant pas la portée de ses accusations, elle l'aime toujours comme on aime quelqu’un qui nous est agréable, qui nous fait du bien, un proche rassurant.

Avec ces informations en mains, l’auditoire n’est jamais appelé au banc des jurés. Le spectateur n’a aucun doute sur l’innocence de Lucas. Nous sommes choyés de l’information que les autres personnages ne possèdent pas. Entre Klara et Lucas, le doute est présent pour les habitants du village et l'exercice devient peu à peu frustrant, voire bêtement manipulateur. En enlevant le doute de cette affaire, nous agissons de manière divine et omnipotente, scrutant les lieux pour nous ranger sans aucun doute dans le camp de Lucas. Son voyage devient notre voyage, mais, de cette manière, on perd de vue l'objectivité mystérieuse qui aurait été plus intéressante dans ce type de confrontation. Les réactions des autres familles, de son fils et sa copine nous paraissent étranges. La perplexité est une arme puissante, mais dont Vinterberg ne sait tirer profit ici, car il l'a défait trop rapidement.
 
En somme, le procès de la moralité n’a jamais vraiment lieu. Chaque camp tient à ses opinions jusqu’à la toute fin. Ce dénouement, tragique pour l’auditoire qui connaît tous les détails, rend crédible ce village ébranlé par cette affaire où tous ont réagi selon la norme des préjugés. Il est difficile d’oublier. Il sera encore plus difficile de défaire ces doutes et ces soupçons qui seront profondément ancrés dans l'imaginaire des lieux. L’image qu’on a peinte de Lucas est celle d’un monstre. La chasse nous fait sentir la puissance de son combat et même si l'homme se tient droit devant cet obstacle aussi gigantesque, tôt ou tard, il est inévitable qu’il fléchisse. Même si l'on est certain de sa personne, les murmures s'entendent toujours, les regards de dédain se remarquent encore et il appartiendra à Lukas de les endurer...
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Critique publiée le 15 octobre 2012.